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Le match des baisses d'impôts : France 18 milliards, Allemagne 63,1.

Le Conseil national de productivité vient de rendre public son second rapport relatif aux effets de la crise Covid-19 sur la productivité et la compétitivité. Sitôt publié, sitôt critiqué, mais ce qui était moins attendu c’est que cette volée de bois vert soit venue du Gouvernement. En jeu, la remise en cause dans le rapport du « Quoi qu’il en coûte » français, mettant en exergue que « la réponse budgétaire en 2020 de la France » se situait « dans la moyenne basse des six plus grandes économies de l’Europe ». Il faut dire que les chiffres compilés parlent d’eux-mêmes (même si des critiques quantitatives demeurent (décompte de baisse des impôts de production en France, niveau du chômage partiel en Allemagne etc…). Nous nous sommes pour notre part concentré sur l’analyse de l’activation des leviers fiscaux.

Les principaux plans de relance et d’urgence en Europe

Tout d’abord, les montants bruts affichés. On relève que la France en matière de plan d’urgence met sur la table près de 91,6 milliards d’euros, soit 3,8% de PIB. C’est beaucoup moins que l’Allemagne (4,8%) et moins proportionnellement que l’Espagne (5,4% du PIB) et au Royaume-Uni (8% du PIB). Nous sommes également moins puissants dans l’urgence que les Pays-Bas (4,5% du PIB), au niveau de l’Italie (3,8% du PIB).

Mesures d'urgence comparées

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume-Uni

Pays-Bas

Italie

Offre

14,7

8,3

6,6

17,9

2,7

15,9

Demande

16,5

42,9

32,9

81,6

14,9

15,0

Mixtes

60,3

113,0

27,2

101,6

18,8

37,0

TOTAL

91,6

164,2

66,7

201,1

36,3

67,9

Mesures sans effet sur le déficit public

Reports d'impôts directs et de cotisations sociales

52

32,7

0,699

0,00

16,4

19,1

Autres reports fiscaux et assimilés

14,5

13

0

41,80

0

0

Outils d'intervention en capital

21

102

10

0,00

0

44

Prêts garantis par l'Etat PGE

300

357

141,7

330,01

40,00

310

Autres mesures de garanties en faveur des entreprises

15

430

3

33,00

20,00

215

Report des obligations fiscales des ménages

0

0

0

12,98

0

0

Garanties de paiement des loyers pour les locataires vulnérables

0

0

1,2

0

0

0

Transferts et garanties au profit des collectivités locales

3,2

73

5

0

0,135

9,5

Autres mesures de garanties et de liquidités

405,7

1008

161,6

417,79

76,50

597,6

Source : CNP 2021.

Mesures de relances comparées

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume-Uni

Pays-Bas

Italie

Mesures de protection

14,2

41,6

4,9

12,5

1,3

0,0

Mesures de réallocation

77,3

83,3

67,0

13,9

24,9

0,0

Mesures de liquidité et de garantie

8,7

17,4

0,0

0,0

0,0

0,0

TOTAL

100,2

142,2

71,9

26,4

26,2

0,0

Source : CNP 2021.

Mais cette vision est partielle parce que certains pays ont plutôt décidé de « mettre le paquet » sur le plan de relance, ou inversement, passer leurs dispositifs uniquement dans le cadre du plan d’urgence.

Mesures d'urgence comparées

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume-Uni

Pays-Bas

Italie

Offre

0,6%

0,2%

0,5%

0,7%

0,3%

0,9%

Demande

0,7%

1,2%

2,6%

3,2%

1,8%

0,8%

Mixtes

2,5%

3,3%

2,2%

4,0%

2,3%

2,1%

TOTAL

3,8%

4,8%

5,4%

8,0%

4,5%

3,8%

Mesures sans effet sur le déficit public

Reports d'impôts directs et de cotisations sociales

2,2%

1,0%

0,1%

0,0%

2,0%

1,1%

Autres reports fiscaux et assimilés

0,6%

0,4%

0,0%

1,7%

0,0%

0,0%

Outils d'intervention en capital

0,9%

3,0%

0,8%

0,0%

0,0%

2,5%

Prêts garantis par l'Etat PGE

12,4%

10,4%

11,4%

13,1%

4,9%

17,3%

Autres mesures de garanties en faveur des entreprises

0,6%

12,5%

0,2%

1,3%

2,5%

12,0%

Report des obligations fiscales des ménages

0,0%

0,0%

0,0%

0,5%

0,0%

0,0%

Garanties de paiement des loyers pour les locataires vulnérables

0,0%

0,0%

0,1%

0,0%

0,0%

0,0%

Transferts et garanties au profit des collectivités locales

0,1%

2,1%

0,4%

0,0%

0,0%

0,5%

Autres mesures de garanties et de liquidités

16,8%

29,3%

13,0%

16,6%

9,4%

33,4%

Source : CNP 2021.

Mesures de relances comparées

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume-Uni

Pays-Bas

Italie

Mesures de protection

0,6%

1,2%

0,4%

0,5%

0,2%

0,0%

Mesures de réallocation

3,2%

2,4%

5,4%

0,6%

3,1%

0,0%

Mesures de liquidité et de garantie

0,4%

0,5%

0,0%

0,0%

0,0%

0,0%

TOTAL

4,2%

4,1%

5,8%

1,0%

3,2%

0,0%

Source : CNP 2021.

Il apparaît ainsi que la France met sur la « relance » 4,2% du PIB, contre 0% pour le moment en Italie (l'Italie n'avait pas de plan de relance à la date de l'étude, celui n'existe que depuis le 13 janvier 2021 pour un montant d'environ 220 milliards d'euros.). Le Royaume-Uni ne mise que très peu sur la relance (1,1% du PIB). Par contre l’Allemagne après avoir mis 4,8% du PIB en urgence met 5,9 points de PIB dans la relance. La France se retrouve donc en cumulé autour de 8% de PIB de mesures de « soutien » de son économie (hors mesures sans effet sur le déficit public), tandis que l’Allemagne est à 8,9%, l’Espagne est à 11,2% du PIB, le Royaume-Uni à 9%. Les Pays-Bas dont la situation budgétaire est « maitrisée » affichent un total de 7,7% du PIB tandis que l’Italie dont la situation financière est plus critique en reste à 3,8% au total.

Les mesures fiscales comparées des « plans de soutien »

Si maintenant on se focalise sur les mesures fiscales, il apparaît que la France dans les mesures d’urgence met en place pour 8 milliards d’euros de mesures fiscales, contre 8,3 milliards pour l’Allemagne et 14,9 milliards d’euros au Royaume-Uni. Pour l’ensemble des pays comparés il s’agit de mesures d’exonérations d’impôts et de cotisations patronales. Le Royaume-Uni y rajoute des mesures de souplesses fiscales avec report de règles fiscales plus contraignantes en matière de paiements.

Mesures fiscales d'urgence comparées (CNP)

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume-Uni

Pays-Bas

Italie

Mesures fiscales pour les entreprises

8,0

8,3

6,4

14,9

0,0

6,4

Exonération de cotisations en faveur des travailleurs indépendants

0

0

2,7

0

0

0

Total des mesures fiscales

8,0

8,3

9,1

14,9

0,0

6,4

Proportion par rapport au plan d'urgence

8,7%

5,0%

13,6%

7,4%

0,0%

9,4%

Mesures fiscales sans effet sur le déficit public (CNP)

Reports d'impôts directs et de cotisations sociales

52,0

32,7

0,7

0,0

16,4

19,1

Autres reports fiscaux et assimilés

14,5

13,0

0,0

41,8

0,0

0,0

Report des obligations fiscales des ménages

0

0

0

13,0

0

0

Total des mesures fiscales

66,5

45,7

0,7

54,8

16,4

19,1

Proportion par rapport aux mesures

22,2%

12,8%

0,5%

16,6%

41,0%

6,2%

Mesures de relances fiscales comparées (CNP)

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume-Uni

Pays-Bas

Italie

Mesures de protection

0,0

25,3

0,0

2,8

0,0

0,0

Mesures de réallocation

20*

16,5

0

1,43

2

0

Mesures de liquidité et de garantie

0

13

0

0

0

0

Total des mesures fiscales de relance

20,0

54,8

0,0

4,2

2,0

0,0

Proportion par rapport aux mesures

20,0%

38,5%

0,0%

15,8%

7,6%

0%

Source : CNP 2021.* Les 20 milliards de baisse d’impôts de production sont comptabilisés deux fois (en 2020 et 2021) ce que nous contestons car la 2ème année il s’agit d’une modalité de calcul de l’impôt.

S’agissant des mesures d’urgence sans effet sur le déficit public les mesures fiscales (notamment des reports d’imposition et reports fiscaux et assimilés (carry-back et remboursement anticipé des crédits d’impôts) sont les plus importants en France, soit 22,2% des mesures et 66,5 milliards d’euros. Puisque la France a choisi via le chômage partiel de soutenir le revenu des ménages, il n’y a aucun report d’obligations fiscales des ménages, contre 13 milliards d’euros au Royaume-Uni en la matière qui a assumé d'appuyer sur les deux leviers. Par ailleurs l’Allemagne ajoute des dispositifs de suramortissement dégressif (6 milliards d’euros) et un décalage du paiement de la TVA à l’importation (5 milliards d’euros).

Si maintenant on regarde les mesures « fiscales de relance », la France mise tout sur le double compte des 10 milliards de baisse des impôts de production. Notons que cette présentation nous semble critiquable à partir du moment où la mesure est nouvelle en 2021, mais devrait être considérée comme « une modalité de calcul de l’impôt » à compter de 2022 (et non être calculée 2 fois). Les Allemands eux mettent au contraire le « paquet » sur le plan fiscal de relance (alors qu’ils faisaient jeu égal avec la France s’agissant de l’urgence, au moins nominalement, donc moins en volume). Ils affichent 54,8 milliards d’euros de mesures fiscales. Celles-ci sont extrêmement variées : les effets de baisse des taux normaux et réduits de TVA représentent 20 milliards d’euros. Des mesures de compensation des entreprises (remboursement de cotisations sociales) représentent 5,3 milliards. S’y ajoute des mesures d’allègement de la fiscalité énergétique sur l’électricité « taxe EEG » pour 11 milliards, l’option de l’imposition à l’IS pour les sociétés de personnes (0,3 milliard), une fiscalité allégée en matière de R&D (1 milliard), une aide fiscale à l’achat de véhicule propre (2,2 milliards), un bonus pour les investissements écologiques des constructeurs automobiles et leurs fournisseurs (2 milliards), des reports de taxes à l’importation (5 milliards), des reports en arrières de pertes fiscales (carry-foward) pour 2 milliards ainsi qu’un suramortissement exceptionnel complémentaire de 6 milliards d’euros additionnel.

Match fiscal France-Allemagne

Si l’on recalibre à sa juste proportion l’effort français en matière de baisse des impôts de production, les montants affichés par la France dans la crise (urgence et relance) est faible, de l’ordre de 18 milliards d’euros tout au plus (0,7 points de PIB). La comparaison avec l’Allemagne est cruelle. Il s’agit d’un rapport du simple à plus du double (1,8% du PIB).

Répartition des mesures fiscales par destinataire Urgence et Relance (Fondation iFRAP)

 

France

Allemagne

Entreprises

18,0

40,9

% de PIB

0,7%

1,2%

Ménages

0,0

22,2

% de PIB

0,0%

0,6%

Total

18,0

63,1

% du PIB

0,7%

1,8%

 

En particulier la France priorise (et elle a raison) la baisse des impôts de production pour améliorer sa croissance potentielle et la capacité de rebond de ses entreprises. Mais elle ne le fait qu’à dose homéopathique (10 milliards, quand les impôts de production dépassent même les 100 milliards d’euros, tous secteurs économiques confondus[1]). Surtout, elle n’a pas les moyens d’en faire plus. Ainsi elle ne propose aucune mesure sectorielle fiscale puissante (contrairement à l’Allemagne) pour ses entreprises (baisse de fiscalité sur l’électricité etc…), ni en direction des ménages (baisse de la TVA pour relancer la consommation), alors que l’Allemagne y consacre près de 22,2 milliards d’euros (dont une aide fiscale à l’achat de véhicules propres) etc.

Conclusion 

La France apparaît donc avec des plans de soutien à l’économie (urgence, relance) somme toute en position moyenne par rapport aux autres. Par ailleurs ses mesures fiscales directes ne sont pas les plus ambitieuses. Elles sont par ailleurs très peu diversifiées contrairement aux mesures allemandes par exemple. Dans le cadre du plan d’urgence, la couverture des frais fixes des PME n’a pas été mise en place au contraire de l’Allemagne pour 25 milliards d’euros (lui préférant un mécanisme de crédit d’impôt au bénéfice du bailleur en cas de suspension des loyers). Il n’y a pas de mesures fiscales sectorielles, ni pour les ménages, ni pour les entreprises. Au contraire de l’Allemagne qui sort l’artillerie fiscale lourde sur la consommation et les entreprises. Par ailleurs même le Royaume-Uni a prévu pour son plan de relance une mesure de réduction temporaire de TVA de 20% à 5% sur le tourisme et la diminution du droit de timbre pour l’achat de biens immobiliers (1,43 milliards d’euros).

Enfin une hypothèque existe sur le budget 2021 à cause de l’importance des reports d’imposition qui pourraient pour une partie indéterminée se matérialiser en créances fiscales irrecouvrables (nécessitant leur classement en admissions en non-valeur se traduisant en remboursements et dégrèvements d’impôt, donc en minoration de recettes). Enfin on relèvera qu’en matière de soutien aux TPE/PME et travailleurs indépendants, les sommes fiscales ou non sont moins élevées que dans les pays comparables. Les aides déployées en France représentent 25,5 milliards d’euros (fonds de solidarité pour près de 18,9 milliards d’euros, réabondement du fonds pour 5,6 milliards et aide exceptionnelle supplémentaire en faveur des indépendants et commerçant pour 1 milliard), contre 81 milliards pour l’Allemagne (25 milliards pour le sauvetage des indépendants, 25 milliards pour la prise en charge des frais fixes des PME (la France pourrait faire bientôt de même), 22 milliards d’aides supplémentaires aux TPE et indépendants et 9 milliards votés pour ces mêmes publics pour les Länder). Enfin, le Royaume-Uni met quant à lui 43,34 milliards d’euros sur la table : 16,7 milliards pour les autoentrepreneurs, 15,6 milliards de subvention aux entreprises en particulier aux PME et 11 milliards d’extension des dispositifs d’aides au soutien des TPE/PME.

Cela permet de remettre les idées en place, sur les avantages de l’orthodoxie et de la rigueur budgétaire pour effectuer des dépenses de soutien plus importantes en temps de crise (Allemagne), ou de la diversification des outils proposés en direction des indépendants, TPE et PME, pour le Royaume-Uni et l’Allemagne.


[1] Voir note France Stratégie, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-rapport-politique_industrielle-novembre.pdf#page=136