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Déficit autour de 7%... ça fait toujours 173 milliards d'euros

Olivier Dussopt et Bruno Le Maire par média interposés ont levé un coin du voile sur l’exécution des comptes publics en 2021. Sans surprise – la croissance attendue étant plus importante que celle actualisée lors du PLF 2022 et de la LFR (2) 2021, soit 6,7% contre 6,25%, les comptes publics apparaissent en nette amélioration. Une « aubaine » savamment construite à trois mois de l’élection présidentielle.

Une croissance estimée à 6,7% en volume contre 6,25% en novembre 2021

La révision de la croissance à 6,7% du PIB en 2021 comme l’indique le dernier point de conjoncture de la Banque de France[1] serait en hausse de près de 0,45 point par rapport à la révision de la prévision de croissance de novembre[2] (soit 6,25%) : « Après avoir retrouvé son niveau d’avant‑crise durant le troisième trimestre, nous estimons que le PIB dépasserait ce niveau de 3/4 point en décembre. La hausse du PIB serait d’environ + 0,6 % au quatrième trimestre par rapport au trimestre précédent et cela confirme notre prévision d’une croissance de 6,7 % en moyenne annuelle en 2021. »

Le PIB en niveau ressortirait ainsi assez nettement augmenté par rapport à la prévision de la LFI 2022, mais à déflateur de PIB inchangé (0,5%) :

PIB

2017

2018

2019

2020

2021 – LFI

2022

2021 (p)

Exécution

Var 2021

Nominal

2 297,2

2 363,3

2 437,6

2 302,9

2 457,8

2 468,7

10,9

Croissance en valeur

2,8

2,9

3,1

-5,5

6,8

7,2

0,45

Croissance en volume

2,3

1,9

1,8

-7,9

6,25

6,70

0,45

Déflateur de PIB

0,5

1,0

1,3

2,5

0,5

0,5

0,0

Source : INSEE et fondation iFRAP (exécution 2021).

Rappelons qu’en novembre le Haut Conseil des finances publiques portait cette appréciation sur la croissance révisée par le Gouvernement : « Pour 2021 le Haut Conseil considère que l’hypothèse de croissance du Gouvernement (+6 ¼%), révisée en hausse d’un quart de point par rapport au PLF initial pour 2022, devrait être dépassée, au vu des résultats, nettement meilleurs qu’attendu, des comptes trimestriels du 3ème trimestre publiés après la saisine. »

Reste que le déflateur de PIB pourrait lui-même être révisé fortement à la hausse. Sa valeur de 0,5% semble assez faible par rapport à l’inflation (IPC) constatée, à 2,8% sur un an. D’ailleurs le projet budgétaire actualisé 2022 envoyé à la Commission européenne[3] par la France, tablait encore sur une inflation de seulement 1,5% sur un an ce qui devrait normalement fixer un déflateur de PIB potentiellement significativement plus élevé en exécution, induisant un PIB en valeur encore plus haut.  

Les fondamentaux des finances publiques pourraient être alors encore améliorés pour 2021 fin janvier 2022 (publication du 4ème trimestre des comptes nationaux 2021 par l’INSEE) et dans le rapport public annuel de la Cour des comptes de mi-février 2022… à 2 mois de l’élection présidentielle.

Un déficit proche de 7% du PIB en 2021 contre 8,2% au dernier pointage

S’agissant du déficit public[4], celui-ci serait finalement « proche » de -7% du PIB[5] en 2021 alors que la prévision finale de la loi de finances pour 2022 était de -8,2% du PIB. Cette amélioration étant due à « des recettes fiscales plus importantes qu’attendu », en lien avec la croissance plus robuste qu’estimé (voir supra) et au redressement des comptes de la sécurité sociale, permettant une augmentation des cotisations et contributions payées aux ASSO (administrations de sécurité sociales).

 

Nouvelles estimations 2019-2021

 
 

2019

2020

2021

2021

Variation

 

Exécuté

Exécuté

LFI 2022

Exécu (p)

2021

Evaluation du solde public - avis HCFP PLFR2 2021

-3,1

-9,1

-8,2

-7,0

1,2

Evaluation du solde public - en Mds €

-74,7

-209,2

-200,4

-172,8

27,6

Dépenses publiques totales y.c. CI pt de PIB

55,4

61,6

60,5

60,1

-0,4

Dépenses publiques totales y.c. CI en Mds €

1349,3

1 419,6

1484,8

1484,8

0,0

Niveau des dépenses publiques hors CI en pt de PIB

53,8

60,8

59,8

59,5

-0,3

Niveau des dépenses publiques hors CI en Mds €

1311,1

1400,7

1468,7

1468,7

0,0

Recettes publiques en pt de PIB

52,3

52,6

52,3

53,1

0,9

Recettes publiques en Mds €

1274,6

1210,4

1284,4

1312,0

27,6

Prélèvements obligatoires y.c. CI pt de PIB

45,3

45,6

44,7

45,8

1,1

Prélèvements obligatoires y.c. CI en Mds €

1104,5

1050,6

1 104,1

1 131,7

27,6

Prélèvements obligatoires hors CI pt de PIB

43,8

44,5

43,8

44,9

1,1

Prélèvements obligatoires hors CI en Mds €

1 068,6

1 024,5

1 081,7

1 109,3

27,6

Sources : INSEE, LFI 2022 et calculs de la Fondation iFRAP janvier 2022 pour l’estimation (provisoire) 2021.

Nous avons pour plus de clarté, et en fonction des données disponibles, bloqué les dépenses publiques en valeur en estimant que l’ensemble des crédits seraient consommés (puisque l’exécutif ne parle pas à ce stade de sous-consommation, notamment à cause des nouvelles dépenses à financer liées à la vague Delta et Omicron) au contraire des recettes qui permettraient à elles seules de redresser les comptes.

Sous ces hypothèses, un déficit à 7% du PIB représenterait un déficit public nominal de -172,8 milliards d’euros, en amélioration par rapport à la prévision de 27,6 milliards d’euros… liés aux hausses de recettes publiques et en leur sein à l’augmentation technique des prélèvements obligatoires.

Dans ces conditions, les dépenses totales baisseraient de 0,4 point de PIB à 60,1% du PIB y compris crédits d’impôts, tandis que les recettes publiques totales augmenteraient de 0,9 point de PIB à 53,1% du PIB. 

Les prélèvements obligatoires avec et hors crédits d’impôts s’apprécieraient de +1,1 point de PIB. Hors crédits d’impôts, les P.O atteindraient 44,9% du PIB soit un niveau digne de celui du premier budget de François Hollande en 2013 (44,9% aussi), effaçant les promesses de baisses structurelles de prélèvements obligatoires sur le quinquennat. Entre 2017 et 2021 le niveau de prélèvements obligatoires ne baisserait que de 0,2 point, le point haut du quinquennat Hollande étant atteint en matière fiscale en 2017 à 45,1%.

 

Décomposition du solde public

En points de PIB

2019

2020

2021

2021 (p)

Solde public

-3,1

-9,1

-8,2

-7,0

Composante conjoncturelle

0,4

-4,3

-1,3

-0,85

Mesures ponctuelles et temporaires

-1

-2,8

-0,1

-0,1

Solde structurel

-2,5

-1,9

-6,7

-6,1

Sources : INSEE, LFI 2022 et calculs de la Fondation iFRAP janvier 2022 pour l’estimation (provisoire) 2021

Enfin, la baisse du solde public à 7% devrait améliorer significativement le solde structurel, (avec croissance potentielle révisée par le Trésor), ce qui devrait déboucher sur un solde « structurel » à -6,1% du PIB. Le solde stabilisant (hors flux de créances) pouvant être établie à -8,3%, le désendettement serait assez puissant en 2021.

Des conséquences mécaniques sur l’endettement public à 113,5% du PIB en 2021

L’endettement public lié à la baisse du déficit public en volume et à la hausse du PIB en valeur devrait baisser par rapport à la dernière prévision soit 115,1% de -1,6 point, à 113,5%. Le gouvernement atteindrait donc avec un an d’avance l’objectif de 113,5% fixé pour 2022. L’endettement en 2022 pourrait baisser à nouveau à 111,1% du PIB.

 

2019

2020

2021

LFI 2022

2021 (p)

2022

LFI 2022

2022 (p)

Dette publique

97,5

115

115,1

113,5

113,5

111,1

Dette publique - en niveau - en Mds €

2375,7

2649,3

2828,9

2801,3

2944,0

2916,4

Sources : INSEE, LFI 2022 et calculs de la Fondation iFRAP janvier 2022 pour l’estimation (provisoire) 2021

En valeur la dette publique devrait atteindre (ou dépasser) les 2.800 milliards d’euros, n’éloignant pas cependant le franchissement l’année suivante le seuil des 2.900 milliards (2.916 milliards (hors effets stock flux en 2022). Les effets « positifs » perçus en volume ne seraient donc pas constatés en valeur[6].

Un déficit de l’Etat en nette réduction à 171 milliards d’euros en comptabilité budgétaire

Le ministère des comptes publics communique sur un déficit budgétaire maîtrisé à 171 milliards d’euros. Un déficit en comptabilité budgétaire qui serait très proche du déficit public en comptabilité nationale (à 2 milliards d’euros près…).

 

2021

 

LFI 2021

LFR1

PLF 2022

LFR 2

Exécution (p)

Dépenses du BG de l'Etat et PSR

455,5

503,8

494,8

499,8

499,8

Dépenses du BG

384,9

433,9

424,7

429,8

429,7

Prélèvements sur recettes

70,6

69,9

70,1

70,1

70,1

Recettes fiscales nettes

257,9

259

278,6

277,6

311,9

Recettes non fiscales

25,3

26,5

22,2

22,4

22,4

Solde des comptes spéciaux - hors FMI

-0,9

-1,7

-3,5

-5,2

-5,2

Solde Etat - hors FMI

-173,3

-220,1

-197,4

-205,2

-170,7

Sources : Cour des comptes, LFI 2022 et calculs de la Fondation iFRAP janvier 2022 pour l’estimation (provisoire) 2021

Le rebond de recettes fiscales serait très important, soit près de 34,3 milliards d’euros si les crédits de l’Etat n’étaient pas sous-exécutés mais intégralement consommés (hypothèse centrale de la note). Dans le cas contraire une partition de l’amélioration du déficit s’établirait entre recettes fiscales et économies budgétaires en exécution, mais ces dernières ne pourraient pas s’élever à plus de 10 milliards d’euros sans doute (étant donné les dépenses supplémentaires votées en LFR (2) 2021 afin de poursuivre sectoriellement le « quoi qu’il en coûte » et de financer des mesures sanitaires exceptionnelles).

Qu’elles s’élèvent à +34,3 milliards ou à +20 milliards d’euros, les recettes fiscales seraient très dynamiques portées par la TVA (effet inflation) et les recettes énergétiques (TICPE, taxes sur le gaz et l’électricité malgré la mise en place de primes et du bouclier tarifaire). En tout cas le déficit exécuté serait inférieur à celui budgétisé en LFI 2021, soit +2,6 milliards d’euros.

Une amélioration sensible du solde de la sécurité sociale (-25 milliards d’euros)

Enfin le solde de la sécurité sociale « redescendrait à environ 25 milliards. Nous nous attendions à près de 33 milliards » dixit Olivier Dussopt. Le périmètre devrait être celui du régime général (RG) et du FSV (fonds de solidarité vieillesse). Ainsi entendu l’évolution devrait être la suivante à dépenses constantes :

 

2020

2021 (LFSS 2022)

2021 (prévision d'exécution)

Var 2021

Régime général de la sécurité sociale + FSV

Recettes

Dépenses

Solde

Recettes

Dépenses

Solde

Recettes

Dépenses

Solde

Exécution/LFSS

Maladie

208,3

238,8

-30,4

202,4

232,1

-29,7

210,9

232,1

-21,2

8,5

Accidents du travail et maladies professionnelles

12,1

12,3

-0,2

13,2

12,5

0,7

13,2

12,5

0,7

0

Vieillesse

135,9

139,6

-3,7

140,8

143,7

-3

140,8

143,7

-2,9

0,1

Famille

48,2

50

-1,8

50,8

49,4

1,4

50,8

49,4

1,4

0

Autonomie (création de la 5ème branche en PLFSS 2021)

 

 

 

32

32,4

-0,5

32

32,4

-0,4

0,1

Toutes branches (hors transferts entre branches)

391,6

427,8

-36,2

425,4

456,4

-31

433,9

456,4

-22,5

8,5

Idem y compris FSV (fonds de solidarité vieillesse)

390,8

429,4

38,7

424,5

458

-33,5

483

458

-25

8,5

Sources : LFSS 2022 et calculs de la Fondation iFRAP janvier 2022 pour l’estimation (provisoire) 2021

La bonne tenue de l’emploi permettrait un rebond des recettes de la sécurité sociale de près de 8,5 milliards d’euros, permettant de rabaisser le solde d’un prévisionnel en LFSS 2022 à -33,5 milliards d’euros à -25 milliards d’euros. Il faudra attendre la publication des comptes arrêtés par l’ACOSS pour disposer d’une vision définitive pour 2021.

Conclusion

Cette approche par la croissance et les soldes ne permet pas d’apporter de prévisions révisées sérieuses sur les dépenses et d’imputer l’essentiel de l’amélioration des comptes publics à un ressaut inédit des recettes publiques. Cependant c’est globalement ce que nous disent les pouvoirs publics à date.

Pour le gouvernement l’affichage est très favorable, -7% de déficit public (+1,2 point), baisse de l’endettement public de -1,6 point (à 113,5% du PIB soit le niveau à atteindre en 2022 avec 1 an d’avance). Enfin des comptes en apparence « maîtrisés » sur le plan du budget de l’Etat avec un déficit budgétaire à -171 milliards d’euros (soit +34,5 milliards d’euros par rapport à la LFR (2) 2021) et une baisse du déficit de la sécurité sociale à -25 milliards d’euros (+8 milliards par rapport à la LFSS 2022)…

Mais cet « affichage » est largement « survendu » par une prévision de croissance volontairement déprimée pour 2021 dans le PLF 2022. Le gouvernement pourra plaider la « prudence », mais les effets mécaniques qui découlent d’une croissance plus importante sont naturellement importants pour les finances publiques. Rajoutons qu’ils pourraient être encore meilleurs si le calcul du déflateur de PIB par rapport à l’inflation constatée est encore plus haut… ce qui ne manquera pas d’arriver juste avant l’élection présidentielle.

Cependant les « fondamentaux » sont encore extrêmement dégradés : le solde structurel est toujours extrêmement déficitaire -6,1% du PIB. La dette en valeur atteindra « inexorablement » les 2.900 milliards d’euros en 2022, enfin les prélèvements obligatoires sont au plus haut à 44,9% qui (hors sommet atteint 2017) est à son niveau de 2013. C’est le 3ème plus haut taux de prélèvements obligatoires depuis 1996 et une dépense qui resterait en 2021 située au-dessus des 60% du PIB… Bref les fondamentaux des finances publiques bénéficient à fonds de la croissance, mais restent structurellement très fortement dégradés et le redressement pérenne des comptes est renvoyé au-delà de l’élection présidentielle.


[1] https://www.banque-france.fr/statistiques/conjoncture/enquetes-de-conjoncture/point-de-conjoncture, ainsi que l’intervention du Ministre de l’Economie et du Ministre du budget et des comptes publics, https://www.lefigaro.fr/conjoncture/le-deficit-public-proche-de-7-en-2021-selon-olivier-dussopt-20220116

[2] Haut Conseil des finances publiques, avis n°5, https://www.hcfp.fr/liste-avis/avis-2021-5-lois-de-finances-2022-et-loi-de-finance-rectificative-2021

[3] Et qui remet à jour des éléments publiés dans le RESF 2022 (rapport économique, social et financier, annexe qui accompagne le PLF de l’année suivante) : https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/economy-finance/2022_dbp_fr-update_fr.pdf

[4] https://www.lejdd.fr/Politique/olivier-dussopt-ministre-des-comptes-publics-au-jdd-la-reprise-diminue-le-deficit-de-letat-4088035

[5] https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/16/le-deficit-public-de-la-france-ramene-a-pres-de-7-du-pib-en-2021_6109665_3234.html

[6] Et ce d’autant plus que les programmes des émissions à moyen/long terme de l’AFT sont systématiquement calibrée et consommées à hauteur de 260 milliards d’euros/an depuis 2020 et jusqu’en 2022 inclue. Voir tableau de financement actualisé de l’Etat en LFI 2022.