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Réduction du nucléaire : combien ça coûte ?

Mercredi 18 juin, Agnès Verdier-Molinié, directeur de la Fondation iFRAP, et Philippe François, spécialiste des questions énergétiques à la Fondation et auteur de l'étude La France face aux choix énergétiques signent une tribune sur le coût de la réduction du nucléaire dans les pages Champs Libres du Figaro, à retrouver ici

Le double objectif du gouvernement qui vise, dans le cadre de la transition énergétique, à ramener la part du nucléaire dans la production d'électricité de 75 % à 50 % tout en réduisant la consommation d'électricité de 25 % à l'horizon 2025 peut-il être tenu et surtout à quel prix ?

Cette date de 2025 est très proche et, pour atteindre l'objectif de réduction de la part du nucléaire, il n'existe que trois méthodes. La première consisterait à réduire d'un quart la consommation d'électricité, à arrêter la moitié des réacteurs nucléaires et à accroître de moitié la production des autres sources d'électricité. La deuxième, pour maintenir le niveau de consommation actuel, entraînerait l'arrêt du tiers des réacteurs et obligerait à doubler la production des autres sources d'électricité. La troisième, enfin, ferait augmenter de moitié la consommation d'électricité, maintiendrait en activité les réacteurs existants et ferait tripler la production des autres sources d'électricité.

Réduire de 25 % en onze ans la consommation d'électricité alors que la population aspire légitimement au plein emploi, à la résolution de la crise du logement et à l'augmentation de son niveau de vie, est non seulement irréaliste mais choquant. La France n'a ni le temps ni les moyens financiers de réduire sa consommation d'énergie en rénovant de fond en comble un million de bâtiments publics et privés par an et en remplaçant sa flotte de véhicules par des modèles très performants qui n'existent pas encore. Un rationnement autoritaire (coupures, tickets) serait la seule méthode permettant d'atteindre ce niveau de réduction en 2025. Il tente certains responsables mais serait, à juste titre, violemment rejeté par les Français.

Comme le gouvernement est hostile à l'augmentation de la consommation d'électricité, la seule solution acceptable pour lui consisterait donc à remplacer la production d'une vingtaine de réacteurs nucléaires par des productions alternatives. À l'horizon 2025, seules les centrales à gaz et au charbon ou les centrales éoliennes et solaires seraient à même de produire l'électricité en quantité nécessaire. Il serait étrange de remplacer, comme en Allemagne, le nucléaire par des centrales utilisant de l'énergie fossile et produisant du CO2. Ne restent donc que les énergies renouvelables (EnR), pour lesquelles se posent deux questions : quel délai, sachant que le temps de mise en place de ces infrastructures se chiffre en décennies ? et surtout quel coût ?

En 2012, le surcoût dû aux diverses nouvelles énergies renouvelables est évalué par la Cour des comptes à 2 milliards d'euros par an, pour une production représentant 3,4 % de la production d'électricité. Les prix d'achat par EDF étant garantis pour des périodes de quinze à vingt ans, ces charges se perpétueront au-delà de 2025. Progressivement, le principal contributeur aux surcoûts, le solaire, de cinq à dix fois plus coûteux que le nucléaire, sera remplacé par l'éolien. Par l'éolien marin notamment, dont les coûts sont cinq fois supérieurs à ceux du nucléaire. En 2025, remplacer 25 % de la production nucléaire par autant d'EnR conduirait à un surcoût d'environ 18 milliards d'euros par an.

À ce coût brut, il faut ajouter ceux liés à l'intermittence : adaptation du réseau, construction et maintien de centrales à gaz de secours, production d'électricité inutile faute de technique performante de stockage. Ces coûts augmentent très rapidement avec la proportion d'EnR aléatoires injectées dans le réseau. À 40 %, on estime que l'utilité de la production de ces énergies aléatoires est deux fois moindre que celle des énergies planifiables. Par exemple, un Mwh éolien terrestre dont le prix d'achat par EDF est de 89 euros, coûte en fait le double au consommateur, soit quatre fois plus que les 45 euros du Mwh nucléaire. Dans le contexte envisagé pour la France en 2025, cette surcharge serait de 9 milliards d'euros par an. Soit un surcoût total de 27 milliards d'euros par an à la charge des consommateurs ou des contribuables. Un montant approximatif mais crédibilisé par le coût actuel des EnR en Allemagne (24 milliards d'euros par an), pays qui se trouve actuellement dans une situation proche de celle d'une France en 2025 qui aurait fermé le tiers de ses centrales nucléaires.

Réduire notre dépendance envers des pays (parfois instables) producteurs d'hydrocarbure, diminuer le déficit de notre commerce extérieur, contribuer à la baisse de production des gaz à effet de serre et se passer du nucléaire sont des perspectives séduisantes. Mais à condition de le réaliser de façon très progressive et raisonnée. Pas en pénalisant notre compétitivité, en aggravant le chômage et en réduisant notre niveau de vie. Notre pays est déjà un des pays développés qui consomme le moins d'énergie par personne, et celui qui produit le moins de gaz à effet de serre par personne. Passer de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité coûtera de l'ordre de 27 milliards d'euros par an aux Français, qu'on utilise la poche du contribuable ou celle du consommateur…