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Opérateurs de l'Etat : -3,7 Mds de déficit en 2024 et une aggravation à prévoir d'ici 2027

Malgré les améliorations portées au « jaune budgétaire » opérateurs de l’Etat annexé au PLF 2024, des lacunes sont toujours très importantes en matière de suivi des finances de ces établissements publics rattachés à l’Etat. Le recoupement avec les ODAC est amélioré mais toujours lacunaire. Par ailleurs, on ne dispose pas de budgets prévisionnels pour 2024 de l’ensemble de ces entités, ni de l’exécution de leurs comptes pour les exercices passés. En conséquence, les données statistiques doivent être utilisés avec prudence. Et pourtant leur situation financière globale est intéressante à raison de leur participation au solde public général. En comptabilité nationale, ces entités sont en déficit pour 2024, à -3,7 milliards d’euros. Pis, la situation se dégrade depuis 2022 et des déficits récurrents au-dessus de 3 milliards d’euros devraient perdurer jusqu'en 2027.

En comptabilité nationale, un solde négatif des ODAC de -3,7 milliards d’euros

Pour comprendre la trajectoire budgétaire globale des ODAC, il faut « neutraliser » l’effet sur leur solde de la reprise de la dette de SNCF Réseau intervenue en 2022 par l’Etat. Le solde doit être corrigé de 10 milliards d’euros pour disposer d’une perspective « non faussée ».

En Milliards d’euros. 

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Recettes des ODAC* hors reprise SNCF Réseau

105,7

113,8

112,7

116,7

118,3

122,2

123,1

Dépenses des ODAC hors reprise SNCF Réseau

107,2

111,8

115,3

120,4

121,3

125,3

126,4

dont rémunération des salariés

20,0

20,8

     
Solde des ODAC

-1,5

2,0

-2,6

-3,7

-3,0

-3,1

-3,2

Note : RESF 2024 et INSEE.

En 2024 les dépenses des ODAC représenteraient 120,4 milliards d’euros pour des recettes de 116,7 milliards. Le solde des ODAC se dégraderait de 1,1 milliards, passant de -2,6 milliards d’euros à -3,7 milliards. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de la rémunération des salariés (D1) anticipées par le PLF 2023 sur ce champ, pas plus que pour 2024. Il n’est donc pas possible de souligner ou non sa contribution au creusement du déficit affiché. Cette situation déficitaire est largement dû à un seul opérateur, France Compétences, dont le déficit pour 2023 est attendu à -2,13 milliards d’euros, soit près de 82%. La hausse de 5,1 milliards en dépenses serait en particulier portée par la montée en puissance du PIA4 et de France 2030, mais aussi par les mesures arrêtées de revalorisation salariale intervenues en juin 2023 et juillet 2023. La Hausse des recettes en 2024 serait quant à elle due à une augmentation des dotations de l’Etat dans le cadre des PIA4 (symétrie), mais aussi de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), et des dotations aux agences régionales de santé (ARS), mais aussi des recettes de France compétence et de l’AFITF[1].

En comptabilité « budgétaire », le solde des opérateurs n’est estimable que jusqu’en 2023 et il est fortement négatif

Tout est quasiment fait pour que les parlementaires ne puissent saisir le solde global des opérateurs de l’Etat en comptabilité budgétaire. Tout d’abord certaines entités n’y sont pas soumises tout en étant considéré comme des opérateurs. Aucun retraitement n’est effectué (on ne dispose que du compte de résultat et du bilan). Ensuite on ne dispose que des budgets initiaux (n) de ces entités et pas des budgets prévisionnels (n+1) ni exécutés (n-2) pour les années antérieures. Enfin aucun solde « budgétaire » global n’est définit, ce qui permettrait de mettre en évidence les contributions d’entités extrêmement hétérogènes. Ces biais de présentation se reportent sur la consommation des plafonds d’emplois. Enfin, le périmètre des « opérateurs » ne correspond pas à celui des ODAC : certains opérateurs ne sont pas des ODAC, certains ODAC ne sont pas des opérateurs, mais en outre, certains opérateurs très importants financièrement sont classés soit dans les ODAL en comptabilité nationale (Société du Grand Paris) ou des les ODASS (Pôle Emploi).

Milliards €

2020

2021

2022

2023 (p)

2024 (p)

Financement par le budget de l'Etat des opérateurs

65,1

70,2

76,2

76,6

81,0

Fiscalité affectée mais plafonnée

16,4

17,7

19,6

21,7

23,5

dont versements touchés par les opérateurs

15,6

16,8

17,5

19,2

21,0

Ressources propres

13,3

11,9

14,0

14,9

15,5

Total ressources Opérateurs

94,0

98,9

107,6

110,7

117,5

Dépenses des opérateurs

102,7

106,0

119,0

121,5

 
dont charges de personnel

28,8

30,8

32,0

34,2

 
Solde des opérateurs

-8,7

-7,1

-11,4

-10,8

 
Solde hors SGP (ODAL) - A

-5,4

-3,4

-7,7

-6,6

 
Solde hors SGP et France Compétence - B

-1,7

-2,2

-4,0

-4,4

 
Solde B - Pôle Emploi

-1,7

-2,2

-3,7

-4,3

 
Trésorerie des opérateurs

27,5

38,4

39,8

  

Note : Jaunes « opérateurs » PLF2024 et précédents, calculs Fondation iFRAP.[2]* Données parfaitement fiables, calculs de la Fondation iFRAP pour les ressources propres de 2023 et 2024. ** Il ne s’agit pas des soldes exécutés mais des soldes initiaux, dont on déduit par rapport aux ressources, les dépenses. Il faut donc prendre les soldes et les dépenses comme des ordres de grandeur. 

En 2024, le solde des « opérateurs » n’est pas déterminable faute de pouvoir disposer des budgets prévisionnels pour 2024 de ces entités[3]. En revanche en reconstituant le solde des opérateurs pour 2023 (avec les limites évoquées en note et commentaire) serait fortement déficitaire de près de -10,8 milliards d’euros. Cette situation provenant de la contribution de plusieurs entités avec soldes parfois très dégradés : la société du Grand Paris (ODAL) qui affiche un solde de -4,1 milliards d’euros en 2023, mais aussi France Compétence qui affiche pour 2023 de -2,13 milliards d’euros (bien que constituant un ODAC), enfin Pôle emploi (ODASS) avec un solde de -0,1 milliards en 2023. S’agissant de la Sté du Grand Paris, il s’agit de la résultante de la courbe financière de l’entité qui a choisi une stratégie de financement par endettement et qui creuse le solde des APUL (administrations publiques locales) ; Pour France Compétence, le solde déficitaire relève de la stratégie retenue consistant à élargir le statut d’apprentis mêmes aux étudiants universitaires lors de la crise Covid afin d’améliorer encore leur insertion professionnelle quitte à financer ces emplois en entreprise tous azimuts[4]. Il en a résulté un mécanisme de guichet à fonds perdu, que la subvention exceptionnelle de l’Etat à l’organisme n’a pas suffis à résorber. 

Le solde des opérateurs extournant ces entités (C), affiche toutefois toujours une dégradation constante, passant de -1,7 milliards d’euros en 2020 à près de -4,3 milliards d’euros en 2023. Entre 2022 et 2023 hors SGP et France Compétences, les variations négatives de soldes cumulés (-1,9 milliards d’euros) dépassent les variations positives (+1,44 milliards), expliquant l’aggravation de -0,6 milliards d’euros constatés (à -4,3 milliards d’euros).

Par ailleurs s’agissant de l’endettement des opérateurs, leur niveau de dette atteindrait 79,1 milliards d’euros, soit une augmentation régulière malgré la reprise de la dette de SNCF Réseau en 2022. S’agissant cette fois des opérateurs, leur endettement semble baisser en 2022 de 21,5 milliards d’euros à 35,3 milliards. Il s’agit du retraitement comptable des emprunts de la Société du Grand Paris inscrits à son bilan (qui passent de 25,2 milliards à 26,78 millions d’euros). La reprise de cette dette n’est pas précisée, ni vers quelle entité celle-ci a eu lieu (Etat, collectivités territoriales). 

Dette portée par les agences de l’Etat

2020

2021

2022

2023 (p)

2024 (p)

Organismes divers d'administration centrale

72,9

76,3

74,6

78,9

79,1

Dette des opérateurs

40,0

56,8

35,3

  
Engagements hors bilan des opérateurs

15,4

32,3

21,4

  

Source : INSEE, comptes nationaux, et Jaunes « opérateur » PLF 2024 et antérieurs. Milliards d’euros. 

Par ailleurs, on voit que les engagements hors bilans restent forts, près de 21,4 milliards d’euros en 2022, en baisse de 10,9 milliards d’euros. 

Des plafonds d’emplois en hausse de +2.984 ETPT en 2024

S’agissant maintenant des plafonds d’emplois et de la masse salariale des opérateurs de l’Etat. Les premiers sont connus jusqu’en 2024, mais la masse salariale elle n’est disponible que jusqu’en 2023. S’agissant de cette dernière, son évolution explique quasiment les augmentations de dépenses constatées, puisqu’elle augmente de 2,2 milliards d’euros quand les dépenses totales des opérateurs augmentent de 2,5 milliards d’euros. D’où l’importance accordée à l’évolution des schémas d’emplois. 

Milliards d’euros 

2020

2021

2022

2023

Var 23-22

Masse salariale des opérateurs

28,79

30,76

32,01

34,20

2,20

Source : Jaune « opérateur » PLF 2024 et calculs Fondation ifrap novembre 2023.

Les plafonds d’emplois augmentent de 1.295 ETPT entre 2023 et 2024. Par ailleurs les emplois hors plafond augmentent de +1.689 ETPT. Il s’agit majoritairement d’apprentis rémunérés par les opérateurs (soit +1.136 ETPT). Le suivi des emplois sous plafonds est donc très insuffisant car ces emplois évoluent moins rapidement que ceux hors plafond. Le total des emplois rémunérés par les opérateurs (sous et hors plafond) augmente de 2.984 entre 2023 et 2024. 

Par ailleurs on constate que les emplois rémunérés directement par les ministères et collectivités sont quasiment stables (+11 ETPT). Sur plus large période, entre 2020 et 2024, les emplois sous plafond augmentent de +6.284 ETPT mais de +15.269 ETPT pour les emplois hors plafond. Par ailleurs la pratique de la rémunération directe par les ministères diminue drastiquement entre 2020 et 2024 (-9.639 ETPT) effet entre 2020 et 2021 les emplois rémunérés par les programmes de rattachement baissent de -7.962 ETPT (il s’agit de sorties de périmètre et de rebudgétisations). 

 

2020

2021

2022

2023

2024

Var 24-23Var 24-20

En ETPT

LFI

LFI

LFI

LFI

PLF

 

 

Emplois rémunérés par l'opérateur sous plafond

401 997

405 143

406 054

406 986

408 281

1 295

6 284

Emplois rémunérés par l'opérateur hors plafond

56 136

56 840

66 451

69 716

71 405

1 689

15 269

dont contrats aidés rémunérés par l'opérateur

1 050

343

794

532

483

-49

-567

dont apprentis rémunérés par l'opérateur

1 270

1 034

2 110

2 079

3 215

1 136

1 945

Total des emplois rémunérés par les opérateurs

458 133

461 983

472 505

476 702

479 686

2 984

21 553

Emplois rémunérés par l'Etat par le programme 

de rattachement de l'opérateur

17 953

9 991

8 437

8 352

8 314

-38

-9 639

Emplois rémunérés par l'Etat par d'autres programmes

3 457

3 562

3 850

3 518

3 549

31

92

Emplois rémunérés par d'autres collectivités

159

326

285

223

241

18

82

Total des emplois en fonction dans les opérateurs de l'Etat

479 702

475 862

485 077

488 795

491 790

2 995

12 088

Source : Jaune « opérateur » PLF 2024.

Le renseignement précis de l’évolution des emplois en fonction dans les opérateurs n’est bien détaillée que pour les emplois sous plafond (en ETPT) :

 

Extension en année pleine du schéma d'emploi de la LFI n-1

Impact du schéma d'emploi n

Solde des transferts T2/T3

Solde des mesures de périmètre

Corrections techniques

Abattements techniques

Autres (var PLF/LFI)

Total

Evolution des emplois sous plafond entre 2020 et 2024

1 323

3 268

3 367

411

30

-3 008

777

6 168

Source : Jaunes « opérateurs » PLF 2021-2024

Sur la variation enregistrée de +6.284 ETPT, il est possible d’en expliquer 98,15%, soit +6.168 ETPT. Les principales raisons viennent des embauches nettes des départs (extension en année pleine du schéma d’emploi de l’année précédente et schéma d’emploi de la présente année), mais aussi les transferts intervenant entre les subventions pour charges de service public (T3) en dépenses de titre 2 (T2). Par ailleurs, les mesures de périmètre contribuent à augmenter les emplois sous plafonds – ce qui montre les limites de la rationalisation du nombre de ces derniers- puisqu’entre 2020 et 2024 le nombre d’opérateur baisse 483 opérateurs à 438, tandis que les périmètres ajoutent 411 ETPT sous plafond. Enfin, lors des discussions budgétaires entre PLF et LFI, les effectifs augmentent au total sur la période de +777 ETPT.  L’ensemble n’est compensé que par des abattements techniques de -3.008 ETPT. Cela montre que les rationalisations sont avant tout « optiques » et « techniques » sans véritable « compression » des effectifs et recherche d’efficience. 

Ainsi est-il possible d’affirmer que la rationalisation budgétaire des opérateurs devrait reposer sur une analyse à nouveau frais des grands centres de coût dont France Compétence dont l’Etat contrairement à la SGP a la maîtrise directe[5], ainsi que Pôle Emploi dans le cadre de la gestion partagée avec l’Unedic. Mais cela n’est pas suffisant. Le solde résiduel reste négatif, ce qui montre qu’un pilotage plus resserré des effectifs sous plafond et surtout hors plafond est nécessaire. Il devrait se traduire par une modération de l’évolution de la masse salariale. 


[1] Sénat, tome 1 du rapport provisoire du rapporteur général du budget, p.46, https://www.senat.fr/fileadmin/Commissions/Finances/2023-2024/Textes_legislatifs/Rapport_provisoire_Tome_1.pdf 

[2] Les éléments présentés doivent être dissociés : les ressources sont exécutées, ou prévisionnelles. Par contre les dépenses sont déduites du solde qui résulte de l’association des soldes budgétaires issus des autorisations budgétaires initiales et des résultats (variations des fonds propres) en cas de soumission unique des entités aux règles de la comptabilité générale à partir des budgets initiaux. 

[3] Ce qui supposerait d’imposer une synchronisation obligatoire des exercices comptables de ces entités et des adoptions de leurs documents financiers via des dates butoirs homogènes. 

[4] Et améliorer ainsi indirectement les statistiques du chômage. Puisque ces jeunes actifs ne sont plus à la recherche d’un emplois au sens du BIT. Voir Cour des comptes, note thématique, Recentrer le soutien plublic à la formation professionnelle et à l’apprentissage, 7 septembre 2023, https://www.ccomptes.fr/fr/publications/recentrer-le-soutien-public-la-formation-professionnelle-et-lapprentissage dans le cadre de sa contribution au lancement de la revue des dépenses, https://www.ccomptes.fr/fr/actualites/renforcer-la-qualite-de-la-depense-publique-9-notes-thematiques 

[5] Bien que le niveau de trésorerie (39,8 milliards pour 2022) montre en réalité qu’il s’agit également de déficits de présentation comptable dans la mesure où le financement par endettement suppose qu’en face des dépenses budgétaires se retrouvent des recettes d’emprunts qui sont considérées comme des recettes financières et donc n’entrant pas dans le calcul du déficit budgétaire (ou même public). Cependant, ce mode de financement n’est pas neutre car les emprunts devront être remboursés et que ces remboursements constitueront des dépenses pérennes.