Actualité

Loi pour accélérer le nucléaire : un pas en avant, deux pas en arrière

L’Europe entière et la France en particulier sont plongées dans une crise de l’électricité à deux dimensions : l’une est économique due à l’envolée des prix, l’autre est technique et liée à la capacité de production insuffisante résultant de décisions malheureuses de ces dernières années.

  • Sur le premier volet, force est de constater que la voix de la France est peu considérée à Berlin et à Bruxelles, alors que depuis plus d’un an les Autorités françaises appellent à une réforme en profondeur du marché de l’électricité. Une réforme qui n’a pas l’heur de séduire l’Allemagne, alors même que notre industrie, nos emplois et toute l’économie sont en grand péril.
  • Sur le second volet, la France porte seule la responsabilité d’un risque de pénurie d’électricité pouvant conduire à des délestages ou même au blackout qui résulte de l’insuffisance de nos capacités de production pilotable. Une situation que les gouvernements successifs ont créée en décidant de la fermeture de plus de 14 GWe de capacités pilotables depuis 2010, soit 10 % de la capacité totale, sans autre mesure de compensation que le déploiement de 3,2 GWe de centrales à gaz et, à coût élevé, de capacités renouvelables intermittentes (EnRi). Les mises en garde ont été nombreuses et fréquentes, y compris de la part de l’Autorité de sûreté nucléaire, mais les ministres en charge avaient la réponse toute trouvée : « Soyez tranquilles, il y aura toujours du vent quelque part ! ». Une faute grave de la part de responsables dont la devise aurait dû être : « Gouverner, c’est prévoir ».

Nos sociétés modernes ne peuvent fonctionner sans électricité, même dans les gestes les plus simples de la vie courante. Le coût économique et social d’un blackout est considérable, se chiffrant en milliards d’€ et tout doit être fait pour réduire au maximum son risque d’occurrence. Dès son installation au printemps dernier, la simple logique aurait dû conduire le nouveau gouvernement à étudier en priorité les décisions concrètes à prendre pour redresser la barre et accélérer la construction de moyens de production pilotables. Trop simple sans doute, trop logique peut-être : la priorité dans le domaine énergétique a été de préparer un projet de loi pour accélérer le développement d’énergies intermittentes qui n’apportent pas de garantie d’approvisionnement ! Si la lourdeur de la réglementation française, avec tous les freins à l’initiative qu’elle implique, justifie une simplification, c’est dans tous les domaines qu’elle devrait s’appliquer et certainement pas à ce domaine en priorité.

Enfin, 18 mois après le discours du Président de la République à Belfort annonçant sa volonté de relancer un programme nucléaire, alors qu’aucune action concrète n’a été entreprise, un projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs est présenté en Conseil des ministres le 2 novembre dernier. Mieux vaut tard que jamais ! Dans ce domaine, plus encore que pour les EnRi, la réglementation a été délibérément alourdie avec un empilement de procédures voulu (?) pour ralentir la réalisation des projets. Comment rendre efficace et non pesante la consultation des citoyens ? Comment associer sûreté nucléaire et sécurité nationale ? Comment stabiliser le cadre législatif et réglementaire au moment où la nécessité d’une relance du nucléaire, socle de notre production d’électricité, est enfin reconnue ? 

C’est dans cet esprit que le projet de loi présenté doit être amendé sur de nombreux aspects afin que les obstacles supprimés par cet acte législatif le soient non seulement pour les premières unités mais également pour celles qui seront indispensables plus tard, le vecteur électrique étant reconnu comme l’outil principal de la décarbonation du pays. Ainsi :

  • Dès l’Article 1er, il apparait que le gouvernement vise une réforme a minima. Autant est pertinente la décision d’implanter sur des sites existants les premiers réacteurs afin de bénéficier des acquis et gagner du temps, autant il n’est pas prudent de limiter par la loi les sites retenus, certains nouveaux sites pouvant être très favorables à la robustesse de la production nucléaire (s’il n’y a pas de limites climatiques locales par exemple), à un équilibre régional (un site proche des zones de consommation limite les pertes d’acheminement) ou à un moindre investissement dans les réseaux. La rédaction devrait d’ailleurs veiller à ne pas interdire l’installation de SMR.
  • Il n’y a pas lieu de limiter chaque site à une paire de réacteurs EPR (article 1).  La limite fixée arbitrairement à 200 ha doit donc être supprimée et relève d’une autorisation et non d’une loi. De même, limiter dans le temps l’application des bénéfices de la loi est injustifié, d’autant plus que le délai de 15 ans annoncé pour le dépôt d’une DAC est inférieur à celui reconnu par la taxonomie européenne qui fixe à 2045 la limite de dépôt d’un permis de construire, soit dans 23 ans. Une politique énergétique ne peut être conçue et conduite qu’avec une vision à long terme.
  • Le projet prévoit (article 3) – et c’est une avancée notable - que les travaux ne concernant pas les bâtiments nucléaires et leurs fondations pourraient être autorisés avant la clôture de l’enquête publique. Mais cette disposition reste ambigüe, et il serait préférable d’autoriser, sous la responsabilité du Maître d’ouvrage, les travaux de terrassement de l’ensemble des bâtiments et la construction des bâtiments auxiliaires non nucléaires et de prévoir la possibilité d’accorder des autorisations d’engagement de travaux sur le bloc nucléaire (réacteur, bâtiment combustible et auxiliaires nucléaires), en fonction des accords de l’Autorité de sûreté (ASN) : le chemin critique de réalisation des constructions porte en effet sur cet ensemble.
  • L’application de cette loi ne doit pas être limitée aux sites en bord de mer (article 4), certains sites fluviaux étant parfaitement éligibles, en particulier avec des aéroréfrigérants.
  • L’ASN insiste sur la nécessité de préparer le futur du cycle du combustible, essentiel pour l’ensemble du projet, les EPR étant conçus pour fonctionner au moins 60 ans. Les installations concernant le combustible et les déchets devraient donc être concernées par cette loi.

Les années de retard prises pour décider ces nouvelles centrales nous ont mis dans une situation d’urgence. Avec une loi de relance votée en 2023, le premier nouveau réacteur sera en production au plus tôt en 2035. Un délai de 12 ans, dont 7 à 8 de construction effective et 4 à 5 en procédures administratives qu’il faut donc lancer et accélérer au maximum. Le temps de relance de la filière, la complexité des EPR-2 et le renforcement des règles de sécurité expliquent que sa durée de construction ne soit pas inférieure  à celle des premiers réacteurs 900 MWe malgré les progrès technologiques réalisés.

Les choix qui seront faits dans la future Loi de Programmation Energie-Climat (LPEC) engageront la France pour des décennies, et le nucléaire y occupera une place importante. Il importe donc que le Gouvernement et le Parlement aient une ambition de long terme qui doit se traduire dans la mise au point de ce projet de loi. En l’état, les simplifications projetées sont certes appréciables mais notoirement insuffisantes. Les limitations de toutes sortes énoncées dans ce texte doivent être gommées pour permettre la réalisation efficace du programme d’équipements dont la France a besoin.

Une loi doit ouvrir le futur et non le restreindre, ceci d’autant plus que la France doit se préparer à proposer à la Commission européenne une révision radicale de la taxonomie européenne en faveur d’une énergie qui est durable et décarbonée, et se projeter, dans une industrie du temps long, menant à la fin du siècle.