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Emmanuel Macron, n'oubliez pas de libérer l'agriculture

Défiance, complexité, corporatisme. Décidé à lutter contre ces trois plaies de la société française, Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, a annoncé toute une série de réformes. Mais rien encore sur l'agriculture, pourtant le secteur le plus sur-administré de notre pays. Une seconde vague de liberté est annoncée pour dans un mois : il faut qu'elle traite des blocages de l'agriculture.

Le secteur agro-alimentaire ne représente que 5,8% de l'économie française et des emplois. Mais, hors enseignement agricole, trente-deux mille fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ou employés par ses opérateurs publics, le contrôlent. C'est cinq fois plus de « surveillants » que pour l'industrie qui contribue pourtant trois fois plus au PIB français, et dix fois plus que pour le secteur des services marchands qui contribue dix fois plus au PIB. En 2014, l'agriculture emploie moins d'un million de personnes sur 400.000 exploitations alors qu'ils étaient 6,2 millions de personnes sur 4 millions d'exploitations en 1955. Si en 60 ans, les agriculteurs ont amélioré leur productivité de façon spectaculaire, l'administration de l'agriculture a au contraire dégradé la sienne de façon encore plus spectaculaire. Son nombre d'employés a doublé malgré la baisse du nombre d'agriculteurs et malgé les progrès de la technologie.

195519882010
Nombre d'exploitations 4.000.000 1.067.000 515.000
Nombre d'agriculteurs 6.000.000 2.00.000 997.000
Nombre de salariés du ministère de l'Agriculture [1] 17.000 34.000 33.000
Nombre d'exploitations par employé du ministère 200 31 15

Source : rapport 2009 de la Cour des comptes, Agreste GraphAgri 2013, budget 2010

Rapport de la Cour des comptes de 2009 (Philippe Seguin) : l'effectif du ministère de l'agriculture n'a suivi ni la décroissance sensible du nombre des agriculteurs (la population active agricole est passée de 1,9 million en 1980 à 0,9 million en 2005), ni la diminution de la part du secteur agro-alimentaire dans l'économie (2% du PIB en 2005 contre 4,2% en 1980). Il s'est au contraire accru de 6,5% si on prend en compte les emplois budgétaires du seul ministère et il a doublé si on intègre dans le calcul les agents des opérateurs du secteur agricole (18.480 en 1980 et 35.646 en 2006 selon les éléments sur les effectifs gérés communiqués par le ministère). Résultat : les services « de l'arrière » (l'administration) entravent de plus en plus le travail de ceux qui sont sur le front (les agriculteurs)

Emmanuel Macron dénonce trois maladies en France

« Pour réussir, notre pays doit affronter trois maladies. La défiance, d'abord : les Français sont les plus pessimistes du monde en ce qui concerne leur avenir économique. La complexité, ensuite : le poids des lois et des règlements est devenu insupportable. Les corporatismes, enfin : ils entravent notre capacité à nous transformer. Pour libérer l'activité, il faut donc faire confiance et laisser ceux qui sont sur le terrain, au plus près de la réalité, faire les choix qui les concernent. Il faut aussi simplifier, drastiquement : la complexité et l'opacité sont toujours une protection pour les plus riches et les plus connectés, alors que les plus fragiles en sont les premières victimes. Il faut enfin retrouver le sens de l'intérêt général : pour y parvenir, il est impératif de nommer les problèmes et de poser les choses à plat, afin de réunir toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté. Voilà les trois principes qui guident ce projet de loi pour l'activité et l'égalité des chances économiques. »

Complexité

Les agriculteurs européens bénéficiant de subventions européennes importantes, le contrôle de leur attribution est inévitable. Certains pays ont choisi de minimiser cette tâche administrative en distribuant presque uniquement les aides en fonction du nombre d'hectares. La France a milité à Bruxelles et a obtenu de pouvoir complexifier au maximum la répartition de ses 10 milliards d'euros par an. Cette politique justifie l'existence d'une administration nombreuse, mais impose une surcharge administrative aux agriculteurs français qui les handicape par rapport à leurs concurrents européens. Et une complexité qui favorise les fraudes pour lesquelles la France est régulièrement condamnée par Bruxelles.

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Schéma Directeur des structures agricoles du département de la Seine-Maritime

À cette complexité "comptable", s'ajoute les contraintes sur la rotation obligatoire de cultures, la gestion des bandes en herbes ou les plantes admises pour les jachères fleuries, mais la France est la seule à ajouter des règles fixant le droit de vendre, d'acheter et d'exploiter les propriétés agricoles. Pour l'exploitation, les règlementations sont fixées non seulement au niveau de chaque département mais à un niveau beaucoup plus fin comme le montre le document joint applicable dans le département de Seine-Maritime. Une administration peut-elle savoir, à ce niveau de précision, ce qui est souhaitable pour l'économie agricole, surtout dans un monde en mutation ?

Extrait de la réglementation sur le contrôle des structures en Seine-Maritime

Chaque demande d'exploiter est soumise au Contrôle des Structures et est examinée par la Commission départementale d'orientation de l'Agriculture (CDOA) au regard du Schéma directeur départemental des structures agricoles (SDDA). Une réponse est fournie après un délai de 4 mois, pouvant être prolongé de 2 mois.

Corporatisme

En place depuis plus d'un demi-siècle, la cogestion de l'agriculture par le ministère de l'Agriculture et le syndicat agricole, a construit une forteresse proche des corporations de l'ancien régime. Le syndicat et ses annexes -chambres d'agriculture (8.000 salariés), contrôle des structures, droits d'exploiter, sociétés d'aménagement foncier et rural (1.000 salariés) -, gèrent l'économie agricole du pays à la place des agriculteurs-entrepreneurs, et décident en plus de qui a le droit de s'installer pour exploiter une propriété agricole, et qui a le droit d'en acquérir une.

Défiance

Faute de règles simples, les agriculteurs sont soumis à une surveillance tatillonne des administrations françaises et bruxelloises. Et la multiplication des règlementations et des organismes de cogestion a considérablement alourdi le climat dans les campagnes. Les intéressés estiment que pour obtenir satisfaction, il est nécessaire d'être « bien vu » par le système en place, et donc d'y pénétrer. Avec pour conséquences, les soupçons de connivence, les conflits d'intérêt ou copinages liés à l'appartenance syndicale, politique, familiale, géographique ou autres, comme toujours quand les politiques empêchent un fonctionnement normal et régulé du marché (HLM, hôpitaux, école, etc.). La violence des commentaires publiés sur Internet par des agriculteurs pour dénoncer cette situation dépasse tout ce qui peut se lire dans d'autres secteurs de l'économie (exemple). Les témoignages et les analyses publiées par la presse professionnelle (France Agricole, Fédération Nationale de la Propriété Privée Rurale, SAF-agriculteurs de France), par des organismes officiels (Cour dans comptes) ou des groupes de réflexion (Fondation iFRAP) expliquent les raisons de ce mécontentement et de cette défiance envers le système.

Conclusion

Pour que l'agriculture française retrouve son rang en Europe et les agriculteurs leur moral, il est urgent de traiter ce secteur économique comme tous les autres. Responsabilité de l'État : recherche agronomique, contrôle de la sécurité des modes de production (produits dangereux, hygiène), respect des normes sociales pour les travailleurs, respect des labels de qualité et respect des lois fiscales. Mais il faut mettre un terme à la prétention de l'administration et de la profession de se mettre à la place des agriculteurs-entrepreneurs. Les résultats de cette arrogance vis-à-vis des agriculteurs sont mauvais. En 2015, le ministère de l'Agriculture ne réduira ses effectifs que de 25 emplois (soit de 1/1000ème ). C'est plusieurs milliers d'emplois qu'il faut supprimer dans ce ministère et les autres organismes associés (chambre d'agriculture, SAFER) pour réduire les dépenses de l'État, alléger la charge administrative sur les agriculteurs et libérer leurs initiatives.

[1] nombre de salariés du ministère et des opérateurs hors enseignement agricole, chiffre de 17.000 estimé pour 1955, selon les sources, les données incluent ou non les DOM/TOM