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Crise de l’Agriculture : à quand les mesures structurelles ?

Les barrages sont levés, les agriculteurs sont rentrés travailler dans leurs entreprises et les responsables politiques et syndicaux sont soulagés : encore un incendie d’éteint grâce au largage de 600 millions d’euros plus ou moins virtuels sur les manifestants. La précédente crise majeure date de 2009. La prochaine n’aura peut-être lieu que dans trois mois ou trois ans, mais si aucune mesure structurelle n’est prise, un tiers au moins des agriculteurs français continueront au mieux à survivre. Et l’agriculture française continuera d’être distancée par celle de nos voisins européens, puis celle de pays plus lointains.  

Des mesures conjoncturelles étaient inévitables face au désespoir des agriculteurs. D’autant plus que les responsables politiques qui, depuis des décennies ne leur disent pas la vérité, ont une lourde responsabilité dans ce drame. Comme d’habitude, ce sont les mêmes mesures qui sont annoncées au bout de quelques jours de contestation : baisse des taux d’emprunt, retructuration de la dette, annulation de dettes de charges sociales, report de l'imposition (IR et TVA), tentative de redressement du prix de vente de la viande dans les hypermarchés, etc. Avec deux nouveautés dans le discours, tout de même, la promotion du "made in France" et la "valorisation de l'environnement (voir  le détail des 24 mesures du Plan de soutien à l'élevage français du gouvernement).

Des situations désespérantes

Dans le secteur lait/viande bovine, le revenu moyen par personne des agriculteurs exploitants (donc chefs d’entreprise) était, en 2013, de 2.000 euros par mois, confirmant que  plus du tiers ont un revenu très inférieur au SMIC. Et des agriculteurs qui touchent le RSA en travaillant 60 à 70 heures par semaine cela existe. De 1988 à 2010, le nombre d’exploitations des secteurs lait/bovin a diminué de 299.999 à 121.000 (source Agreste 2013). Une réduction effectuée dans la douleur faute de politique proactive des pouvoirs publics et des syndicats.

Pour le secteur du lait par exemple, la crise de 2015 se produit dans des circonstances presque habituelles. Négatives : la crise avec la Russie, la guerre en Ukraine et le développement de la production en Chine dans des exploitations modernes. Positives : la forte baisse du prix des produits pétroliers et une légère baisse du prix des aliments du bétail. Le prix du lait qui avait fortement augmenté en 2014 jusqu'à 400 euros les mille litres, retrouve ses niveaux de 2012-2013. La fin des quota laitiers, effective que depuis le 1er avril, a encore peu d’impact, la production européenne ayant été inférieure au niveau des quota depuis longtemps

source : Observatoire des prix et des marges

 

Mais le désespoir d'une partie des agriculteurs est bien réel et montre que trop d’entreprises agricoles de ces secteurs ne sont pas assez rentables ni en mesure de surmonter, faute de capitaux, des variations inévitables dans le domaine agricole.  

Encore des mesures conjoncturelles

La tentation du gouvernement de fixer lui-même les prix à payer aux agriculteurs, les marges acceptables des industriels et des grandes surfaces, sont encore des mesures conjoncturelles inefficaces. Il y a cinquante ans déjà, la célèbre campagne Suivez le bœuf avait tenté cette démrache. Elle n’est restée que comme une expression humoristique. Et chaque année, les très intéressantes 200 pages de l’Observatoire des marges n’ont  conclu à aucun dysfonctionnement scandaleux. Comment d’ailleurs juger si une marge est « normale » alors qu’elle dépend de la qualité de la stratégie et de la gestion des différentes entreprises, des capitaux investis et des risques pris ? Imagine-t-on une règlementation des marges dans d’autres secteurs comme l’automobile, où il faudrait mesurer comment elles sont réparties entre le constructeur final et ses centaines de sous-traitants ? On entrerait dans une nouvelle économie administrée si le gouvernement commençait à prétendre être capable de juger si Renault achète son acier et Peugeot ses amortisseurs au juste prix.

L’autre suggestion, faire appel au civisme des acheteurs publics et privés, voire contraindre les acteurs publics (collectivités locales, écoles, armées, administration, hôpitaux ..) à « acheter français », est aussi inconséquente. Ces mesures sont illégales, surtout avec des arguments protectionnistes qui frisent la xénophobie, et contradictoires avec les déclarations visant à renforcer l'intégration europénne. Mais elles sont aussi contre productives. À l’intérieur c’est la garantie d’une baisse générale de niveau de vie, immédiate et à long terme : faute de repère, l’écart de prix et de qualité avec les productions extérieures ne fera que s’accroître aux dépens des Français. Toutes les expériences d’autarcie l’ont montré. À l’extérieur c’est la certitude de mesures de rétorsion de la part de nos partenaires, et surtout une formidable contre-publicité pour nos produits labélisés automatiquement « pas assez bons pour supporter la comparaison ». 

Des mesures structurelles     

Puisque les  agriculteurs des pays voisins ne rencontrent pas de telles difficultés, c’est que de véritables solutions de long terme sont possibles.  En Allemagne par exemple où se sont développés les hard-discount les plus actifs (ex. Lidl, ALDI), exerçant une forte pression sur les prix des produits agricoles, l’agriculture du pays[1] est beaucoup plus rémunératrice qu'en France.

En France, quatre secteurs agricoles (lait, porc, bovin, volaille) ont des problèmes de compétitivité vis-à-vis de nombreux pays : Allemagne, Danemark, Irlande, Espagne, Pays-Bas par exemple pour s’en tenir aux seuls pays européens. Ces pays étant si différents les uns des autres, il est très probable que la cause principale de nos problèmes se situe en réalité chez nous, et non pas chez eux.

  • Niveau des prélèvements obligatoires : 10 points supérieurs à nos principaux concurrents ;
  • Législation sociale : des milliers de pages de plus que nos concurrents ;
  • Normes et règlementations : toujours plus que nos voisins ;
  • Structuration des exploitations agricoles : contrôlée par l’État et les syndicats agricoles.

Les trois premiers handicaps sont communs à toutes les entreprises, agricoles ou non, du pays. Mais le quatrième est tout à fait spécifique à l'agriculture. Face au chômage, et par nostalgie des fermes de leurs grands-parents, les responsables français ont fait le choix de conserver de nombreuses exploitations de taille moyenne et petite, utilisant beaucoup de main-d’œuvre et peu capitalisées. La dernière loi a expressément insisté sur cette vision déjà présente dans les lois précédentes : lutter contre l’agrandissement. L’objectif d’installer de jeunes agriculteurs a prévalu sur celui d’avoir des exploitations rentables, alors qu’il n’existe pratiquement aucun risque de délaissement des terres en France. Les autres pays ont fait le choix inverse : d’abord favoriser les entrepreneurs dynamiques, disposant de suffisamment  de capitaux ou ayant des projets assez crédibles (petits ou grands) pour pouvoir emprunter. En clamant « agro-écologie ! agro-écologie ! » et en maintenant les agriculteurs sous leur dépendance à coup de « Contrôle des structures », « SAFER (1000 salariés)  »,  « Chambres d'Agriculture (8.000 salariés) », « Loi d’avenir », « autorisations d’installation », « surface minimum », « surface maximum », et un ministère de l'Agriculture qui compte toujours 38.000 fonctionnaires alors que le nombre d'agriculteurs est en chute libre, les responsables politiques n’ont pas empêché l’Allemagne d’exporter plus de fromage que la France, les Pays-Bas, le Danemark, l’Allemagne et l’Espagne d’accroître fortement leur production de lait ou de porcs pendant que la nôtre baissait.

Quels responsables politiques et syndicaux auront le courage de dire aux Français qu’il faut prendre des mesures structurelles drastiques sur ces quatre classes de handicaps, pour que nos agriculteurs cessent d’être des victimes et que l’agriculture française retrouve son rang dans l’Europe. Traiter le quatrième (Structuration administrative des exploitations agricoles) est particulièrement simple : il suffit de supprimer cette sur-administration qui n'existe dans aucun autre pays d'Europe, ni du monde développé. L'État fera de sérieuses économies, et les entreprises agricoles retrouveront leur liberté d'agir. 

Note : Le récent rapport d'information des sénateurs  MM. Claude HAUT et Michel RAISON, fait au nom de la commission des affaires européennes n° 556 (2014-2015) - 25 juin 2015 et réalisé après avoir rencontré des agriculteurs et responsables de plusieurs pays européens souligne le décalage entre l'enthousiasme des étrangers et l'absence de préparation de la France face à l'évolution actuelle de l'agriculture. 

Rapport : La France sera-t-elle encore demain un grand pays laitier ?

[1] http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1523#inter5