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Retraites publiques/privées : les curieux calculs du COR

Le 26 novembre 2013 est le jour où le Parlement a adopté le projet de loi du gouvernement sur les retraites. C'est aussi le jour où le COR - Conseil d'orientation des retraites - a diffusé une série de 12 fiches thématiques sur les régimes de retraite au cœur desquelles il reconnait que le taux de cotisation de l'Etat employeur est de 74,3% quand il est de 16% dans le privé. Hasard du calendrier, selon le COR, qui précise que ce dossier s'inscrit dans un programme de travail pour l'année 2013 et "a pour objet de fournir des éléments permettant de mieux apprécier la diversité des situations entre les quelque trente régimes de retraite de base et complémentaires". On peut regretter que ces éléments n'aient pas été versés plus tôt au débat. On peut aussi se réjouir de la diffusion par le COR de données aussi essentielles que les structures de financement des régimes qui permettent de mesurer quelle part des dépenses de retraite est couverte par les cotisations encaissées. Mais ce dernier rapport permet-il vraiment d'en tirer toutes les conclusions ?

Les chiffres issus de ce dernier rapport ont suscité de nombreux débats. En témoigne un sondage paru fin novembre :

Les Français s'avèrent très critiques sur la réforme : 78% la jugent insuffisante, 70% pas assez ambitieuse et 69% injuste. 63% d'entre eux auraient souhaité une remise à plat du système de retraites avec une harmonisation des régimes publics et privés, un nouveau mode de calcul des pensions et de nouveaux prélèvements pour les retraités.

12ème édition de L'Observatoire des retraites UMR-Corem / Liaisons Sociales Magazine / Ipsos réalisée auprès de 1.025 personnes âgées de 15 ans et plus, rendue publique le 28 novembre 2013.

Les 37,3 milliards de cotisations de l'État

En témoigne également l'intérêt de la presse qui s'est focalisée sur les 37,3 milliards d'euros qui seront nécessaires en 2013 pour financer les retraites des fonctionnaires. Ces 37 milliards correspondent à la cotisation employeur de l'Etat au régime de retraite, l'équivalent d'un taux de cotisation de 74,3% alors que ce taux est de 16% pour un salarié du privé. Et surtout qui grimpe chaque année à mesure que les dépenses de pensions du régime des fonctionnaires de l'Etat (FPE) augmentent : la part du budget général de l'Etat consacrée aux pensions civiles et militaires était de 8% en 1990, elle est aujourd'hui de 12%, et entre 2006 et 2012, 26% de la progression des dépenses du budget général est dû à l'accroissement du besoin en financement. Pourtant, on notera que le problème a été finalement peu adressé dans le cadre de la dernière réforme. A part l'augmentation du taux de cotisation et encore lissé dans le temps pour ménager le pouvoir d'achat des fonctionnaires (et qui ne rapportera que 300 millions d'euros en 2014 et 800 millions en 2020) et l'allongement de la durée de cotisation à 43 années à partir de 2020, rien n'a été entrepris pour redresser la situation.

Les ajustements calculés par le COR

Le COR a-t-il permis de ce point de vue d'éclairer le débat ? L'organisme précise à juste titre dès le début de sa note que "les différences de structures de financement ne permettent pas une comparaison directe des taux de cotisation des régimes de retraite" : explication, l'écart ne serait pas vraiment la différence entre 16% et 74%. Il explique que des charges spécifiques (prise en compte des périodes d'éducation des enfants), des risques particuliers (chômage) ou encore des déséquilibres démographiques peuvent justifier des écarts de ressources venant s'ajouter aux cotisations sur lesquelles est censé s'appuyer notre système de retraite par répartition.

Le COR explique ensuite que les 3/4 des ressources des régimes de retraite pris dans leur ensemble proviennent de cotisations ; certains régimes assurant leur financement de façon quasi-autonome comme le régime de la Fonction publique d'Etat (98% de cotisations) et d'autres où les cotisations représentent moins des 2/3 des ressources (comme la CNAV). Cette présentation, bien qu'exacte, est cependant ambiguë puisqu'elle tendrait à démontrer que le problème se situe plutôt du côté du privé alors que les chiffres issus du budget montrent l'urgence d'agir sur les retraites publiques.

Le COR propose de régler le débat en estimant des "taux de cotisations harmonisés comparables entre régimes corrigés des différences d'assiette et de périmètres de dépenses" qui "relativisent fortement [les taux] obtenus en comparant directement les taux légaux de cotisation".

Au total, au terme de calculs complexes, le COR estime que les taux de prélèvement d'équilibre seraient en réalité de 17% pour les salariés du privé contre 24% pour les fonctionnaires d'État (11% pour les professions libérales, 27% pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers). Même si, après ces ajustements, le taux de cotisation pour les fonctionnaires d'État est de 42% supérieur à celui du privé, il est clair que ces chiffres tendent à minimiser l'impression d'écart entre les régimes.

Que penser d'un tel calcul ? Pour parvenir à de tels chiffres, le COR pose plusieurs hypothèses pour le moins discutables :

  • Tout d'abord, le calcul est rapporté aux rémunérations superbrutes c'est-à-dire incluant les charges sociales employeurs : mécaniquement, on voit que plus le taux de cotisation employeur est élevé, plus cette méthode tendra à réduire le taux de prélèvement. La note du COR publie aussi le taux de prélèvement plus classique par rapport au net ; Fonction publique d'État : 43%, Secteur privé : 28,7 % soit 50% de plus que le privé.
  • Ensuite, il convient de préciser que, d'une part, le RAFP (régime additionnel de la fonction publique qui prévoit 10% de cotisations obligatoires sur les primes) n'est pas pris en compte dans le rapport. Également, les données portent sur 2011. Or, entre 2011 et 2013, le taux pour le public est passé de 68 à 74%. Celui des salariés du privé est pratiquement inchangé.
  • Alors que même en employant cette méthode, il subsiste un écart entre privé et public, le rapport du COR n'hésite pas à souligner que "certains régimes bénéficient d'apports financiers d'organismes tiers (Etat ou taxes affectées) alors que d'autres se financent de façon autonome : certains régimes sont équilibrés (fonction publique d'Etat) alors que d'autres sont déficitaires (régimes des salariés du secteur privé, des non salariés agricoles…)". Il est choquant que le texte écrive que le régime de retraite de la fonction publique est "équilibré" car il faut le répéter, le taux de cotisation est fixé de telle façon à ce que les dépenses soient compensées et en l'absence d'une caisse de retraite en bonne et due forme, le fait qu'il n'y ait pas de déficit n'est juste qu'une question de vocabulaire !
  • Le COR propose de calculer un taux de prélèvement pour rendre les champs de dépense homogènes, il souligne notamment que les cotisations du privé servent à financer les charges de gestion ou l'action sociale qui n'existe pas partout, notamment dans le régime FPE. Et il propose de corriger en fonction du rapport démographique plus mauvais pour la FPE que pour les salariés du privé. Mais ce rapport est mauvais en partie à cause de l'âge de départ plus précoce dans la FPE. Comme nous l'avions déjà souligné dans une précédente note, près de 12% des fonctionnaires d'Etat (hors militaires) sont classés en catégorie active ce qui leur permet de partir en retraite en moyenne 4 ans plus tôt. L'autre explication du déficit démographique tient à la politique de non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Mais l'on ne peut décemment recommander pour les finances publiques une politique de fuite en avant qui consisterait à ré-embaucher des fonctionnaires au prétexte d'équilibrer les cotisations.

Conclusion

Quels que soient les exercices de comparabilité auxquels souhaite se livrer le COR, ce rapport démontre que le financement des retraites des fonctionnaires (et des autres régimes spéciaux) requiert des cotisations employeurs très élevées pour financer les avantages notamment les départs anticipés dont bénéficient leurs salariés. C'est d'ailleurs ce qu'en a retenue la presse. La conclusion qui s'impose et que pourtant le COR n'évoque pas c'est l'alignement des régimes publics sur le régime général des salariés qui serait équitable et conduirait à des économies d'au moins 10 milliards d'euros.