«Nos retraités devraient être dans la rue en faveur du report de l’âge de départ à la retraite»

Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation IFRAP et auteur de l'ouvrage Face au mur, appelle à freiner la dépense sociale. Et à agir sur les retraites. Parmi les pistes : repousser l'âge de départ à la retraite, désindexer entièrement les pensions publiques et partiellement les pensions privées, et geler totalement des minima sociaux.
Cet entretien a été publié dans le journal Valeurs Actuelles le mercredi 4 juin 2025 |
Valeurs actuelles. A-t-on raison d’affirmer que les retraités d’aujourd’hui appartiennent à une génération d’enfants gâtés ?
Agnès Verdier-Molinié. Les retraités d'aujourd'hui, en tout cas ceux qui sont nés après la guerre et que l'on appelle les boomers, nés entre 1947 et 1965, ont eu la chance de travailler pendant une période de forte croissance, de connaître le plein emploi, pas ou peu de chômage et des carrières moins heurtées que ce que vivent les générations au travail actuelle ment. Toutefois, ils travaillaient bien plus de quarante heures par semaine et ont souvent commencé à travailler jeunes. Le fait est que, dans les années 1960 et 1970, quand ces générations ont commencé à travailler, les taux de cotisations retraite étaient entre 12 et 15 % alors que nous sommes aujourd'hui à 28 %, sans compter la CSG! Nos retraités actuels avaient un salaire net dans la poche bien supérieur à ce que touchent les salariés d'aujourd'hui, après cotisations, CSG et impôt sur le revenu. Enfin, les salaires ont été indexés sur l'inflation jusqu'en 1983, contribuant à garantir le pouvoir d'achat de ces actifs contre l'inflation. Dans les années 1970, pour 100 francs payés par le patron, le salarié touchait net autour de 55 francs quand c'est 47 euros aujourd'hui pour 100 euros, un des montants les plus faibles d'Europe... Dans les années 1970, il fallait seulement trois à quatre ans de salaires nets pour acheter une maison ou un appartement moyen.
L'environnement économique n'était pas le même... Les taux d'emprunt étaient élevés mais l'inflation, plus importante, effaçait en partie le poids des charges d'intérêt. Aujourd'hui, il faut sept à dix ans de salaires en moyenne pour un ménage pour pouvoir acheter une résidence principale et cela monte à quinze ans, voire plus, dans les grandes villes. Actuellement, les retraités sont aussi bénéficiaires des dépenses de santé en augmentation à cause du vieillissement de la population. Mais nos retraités sont en réalité les premiers à avoir intérêt à ce que l'on freine les dépenses de retraite et de santé et, plus largement, les dépenses sociales. Et ce pour une raison très simple : les retraités seraient les premiers impactés en cas de grave crise de la dette en France. On l'a vu en Grèce ou au Portugal, contrairement à ce qu'on imagine, les dépenses de pensions sont les premiers postes qui ont été baissés de l'ordre de 15 à 20 % dans le cadre des plans d'économies sur les dépenses publiques de la troïka, dont faisait partie le FMI.
Qui, parmi les retraités, ont été les plus favorisés ?
Ceux du secteur public ont été indéniablement favorisés. Ils le sont toujours. Leur taux de rem placement à la retraite est, en moyenne, bien supérieur à celui du privé. Un enseignant du public — par exemple — va toucher, pour une carrière complète, entre 70 et 75 % de son der nier salaire alors que ce taux de remplacement sera entre 60 et 65 % pour un enseignant du privé qui a eu la même carrière mais qui ne bénéficie pas du statut à vie de la fonction publique. Cet écart de traitement est injustifiable. Depuis des années, nous avons mené des comparaisons à la Fondation IFRAP qui montrent ces écarts dans les pensions publiques et privées: elles soulignent le fait que nous avons un déficit réel des pensions de retraite publiques bien supérieur au déficit des pensions de retraite privées. Le déficit des pensions publiques peut être estimé entre 10 et 15 milliards d'euros par an actuellement, toutes choses égales par ailleurs, mais il n'est pas affiché dans les comptes de l'État car il n'y a pas de caisse de retraite pour ses agents...Les pensions plus généreuses de nos agents publics sont donc payées en grande partie par les impôts des Français et de la dette publique en plus. Ainsi, depuis fin 2006, le cumul des contributions des dépenses de retraite au supplément de dette publique atteint 270 milliards d'euros, soit environ 30 % de l'augmentation de la dette publique constatée sur la période. Et une grande part de cette dette supplémentaire liée aux retraites vient des pensions publiques.
Quels efforts les retraités ont-ils réellement fournis au cours des dix dernières années ?
Pendant trente ans, de 1982à 2010, le départ à la retraite s'est effectué à l'âge de 60 ans. Et ce, alors qu'au même moment, nos voisins européens partaient à la retraite plutôt entre 62 et 63 ans... Les retraités de France ne semblent toujours pas avoir bien compris que leur intérêt, pour que leurs pensions soient financées et bien financées, est que l'on repousse encore l'âge de départ à la retraite. L'IFRAP propose d'ailleurs un report à 66 ans en 2033, et même ainsi, selon nos estimations, il faudra encore sous-indexer les pensions pour que cela soit finançable, et spécialement les pensions publiques. II faut reconnaître que, depuis 2013 et jusqu'en 2023, les pensions n'avaient pas été indexées à la valeur de l'inflation. Les minima sociaux ont été quant à eux, sur cette période, bien mieux revalorisés que les pensions. Ainsi, l'inflation annuelle moyenne a été de 1,6 % entre 2013 et 2023, le montant de base du RSA a été revalorisé en moyenne annuelle de 2,13%, tandis que les retraites ont été revalorisées de 0,98 %. Puis, ces deux dernières années, l'indexation à des niveaux élevés des pensions, avec +5,3 % et + 2,2 %, a contribué à mettre nos finances publiques dans le rouge.
Comment nos retraités peuvent-ils contribuer à l'assainissement des finances publiques ?
En acceptant une part de désindexation de leurs pensions, en travaillant pour ceux qui le peuvent en plus de leur pension pour ajouter des cotisations et de la CSG dans le système, et en participant à la pédagogie vis-à vis des générations qui travaillent pour pousser au report de l'âge de départ à la retraite. Si l'on force un peu le trait, nos retraités devraient être dans la rue pour défendre le report de l'âge de départ à la retraite... C'est essentiel pour l'avenir à la fois des pensionnés actuels mais aussi des futurs retraités et la pérennité de leurs revenus de remplacement.
Comment expliquez-vous que certains politiques, dont Laurent Wauquiez, s'opposent à la désindexation partielle des pensions ?
C'est inexplicable alors que la Cour des comptes alerte sur le risque de liquidités pour la Sécurité sociale, ce qui conduirait mécaniquement à ne plus pouvoir payer les pensions! Si nous voulons vraiment faire des économies, il nous faut freiner d'urgence les dépenses sociales. La désindexation partielle sur six mois des pensions aurait permis 3,6 milliards d'euros d'économies en 2025. Rappelons que, au sein des dépenses de protection sociale, la plus grande part des dépenses, avec 375milliards sur 850 mil liards, ce sont les retraites. Au-delà de la désindexation partielle, il faut soutenir le gel total des minima sociaux pour économiser 3 mil liards par an. Si nous partons sur un budget 2026 zéro valeur, c'est-à-dire à 1700 milliards toutes administrations confondues, comme en 2025, ce qui relève du bon sens dans le contexte actuel de croissance et d'inflation faibles, la première décision à prendre est de ne pas indexer ou de sous-indexer les dépenses.
Au-delà d'un effort financier, quel regard doivent-ils porter sur le système des retraites pour que celui-ci soit viable ?
C'est très simple, il nous faut plus d'actifs au travail, en ce qui concerne à la fois les jeunes et les seniors. Notre taux d'emploi des 15-64 ans est de seulement 68,4 % quand celui des Allemands est de plus de 77 %. Selon les estimations de la Fon dation IFRAP, il nous manque en France 7 milliards d'heures qui ne sont pas travaillées par rapport à la moyenne européenne. Cela ampute notre richesse nationale d'environ 130 milliards d'euros par an.
Le conclave peut-il s'achever sur une vraie feuille de route en intégrant une part de capitalisation obligatoire ?
Ce serait une très bonne chose pour le financement de nos entreprises mais aussi de notre dette publique, qui est beaucoup trop détenue par des non-résidents et dont il faudra encore augmenter la maturité... II suffit de s'inspirer de la capitalisation obligatoire qui existe en France pour les agents publics sur leurs primes: la RAFR Et ce, sans que les prin cipaux syndicats y trouvent à redire. D'ail leurs, un système analogue de capitalisation obligatoire pourrait être proposé aussi aux contractuels de nos services publics, qui en sont aujourd'hui exclus. Notons que les syndicats de salariés et du patronat marquent des signes d'ouverture sur le sujet de la capitalisation obligatoire pour les salariés du privé. Autant le président de la CPME, Amir Reza-Tofighi, que la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, ont clai rement indiqué ces derniers jours qu'il n'y avait pas ou plus de tabou à avoir sur la retraite par capitalisation. C'est une excellente nouvelle !