Actualité

Respect des « 35 heures » dans la fonction publique territoriale : on en est toujours loin !

Dans le dernier rapport qu’elle consacre à la mise en œuvre de la loi de transformation de la fonction publique de 2019, la Cour des comptes se penche -entre autres- sur le temps de travail et fait le constat de nombreux détournements qui n’ont pas permis d’arriver à un temps de travail proche des 1607 heures. En 2021, les agents publics à temps complet ont déclaré une durée moyenne annuelle effective de 1612 heures : 1661 heures dans la fonction publique d’Etat, 1605 heures dans la fonction publique hospitalière et 1579 heures dans la fonction publique territoriale. 

La Cour débute la partie qu’elle consacre au temps de travail à des rappels de chiffres qui font mal :

Les avancées de la loi 2019

L’article 47 de la loi de transformation de la fonction publique a abrogé les régimes légaux dérogatoires de travail antérieurs à 2011, année de mise en œuvre de la réduction du temps de travail dans la fonction publique.

Les collectivités locales étaient donc dans l’obligation de délibérer sur une nouvelle organisation du temps de travail pour s’aligner sur les 1607 heures. Toutefois un délai d’un an à compter du renouvellement des assemblées a été donné aux exécutifs locaux pour procéder. Compte tenu des calendriers des élections municipales puis régionales et départementales, les collectivités auraient dû au plus tard avoir mis en œuvre ces transformations au 1er janvier 2022 (communes) et 1er janvier 2023 (régions et départements).

Selon la DGCL, au 1er octobre 2022, les deux tiers du bloc communal avaient redéfini les règles applicables. En avril 2023, sur la base d’un échantillon de 14000 collectivités, 83% avaient redéfini les règles applicables par délibération. Toutefois cette démarche ne dit rien du nombre effectif d’agents travaillant 1607 heures sur la base d’un temps complet. Car un temps de travail inférieur aux 1607 heures peut être adopté en cas de sujétions particulières.

La Cour donne plusieurs exemples : ainsi le conseil départemental de l’Aude a délibéré sur le nouveau dispositif d’aménagement du temps de travail qui a mis fin au précédent protocole de 1559 heures pour porter la durée du travail à 1607 heures pour 70% du personnel. L’employeur a accompagné l’augmentation du temps de travail d’une contrepartie via une augmentation du régime indemnitaire et la création de plusieurs régimes dérogatoires : agents travaillant de nuit (1476 heures), en repos variable dans les structures d’enfance (1582 heures), agents des collèges (1551 heures), etc.

La commune d’Oissel a supprimé des jours de congés mais en a créé d’autres en raison de sujétions particulières ou de la pénibilité des fonctions (ex. 1,5 jour pour les gardiens de salles ou 5,5 jours pour les ATSEM.

Les pratiques dérogatoires

La Cour relève trois cas de figures qui ont permis aux collectivités de contourner le relèvement et l’alignement sur les 1607 heures : 

  1. la journée de solidarité dont la définition imprécise fait douter selon la Cour que les heures de travail soient effectivement réalisées ;

  2. les jours de fractionnement qui consistent à ajouter des congés payés en cas de congés pris en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre. Deux jours sont attribués lorsque 8 jours de congés sont pris en dehors de la période 1er mai / 31 octobre. Mais plusieurs collectivités les accordent de façon systématique ce qui diminue la durée annuelle du travail ;

  3. les autorisations spéciales d’absence : l’Etat n’ayant pas publié la liste des motifs et les conditions d’octroi, certaines collectivités utilisent ce levier pour abaisser en pratique le temps de travail.

Sur ce dernier point, les contrôles des Chambres régionales des comptes montrent que des autorisations sont attribuées sans préciser la durée de l’absence ou les conditions d’attribution.

La commune de Saint-Dié des Vosges accorde deux jours de congés pour mariage des enfants et entre 2 et 15 jours d’absence en cas de médaille d’honneur. Les autorisations d’absence pour décès d’un proche s’étendent aux grands-parents, belle famille, neveux, nièces etc.

Et même des îlots de résistance

La Cour relève surtout que certaines collectivités refusent ostensiblement de modifier le temps de travail de leurs agents. La commune de Méricourt a adopté une nouvelle organisation du travail pour appliquer la durée légale de 1607 heures, toutefois la commune ne met pas en œuvre cette délibération et continue d’appliquer le régime antérieur. A Vierzon, la commune a pris une délibération visant à appliquer les 1607 heures « sans remettre en cause les acquis obtenus » ce qui conduit les agents à continuer à travailler 1574 heures. Cette remise en cause peut aussi être partielle comme à Cherbourg où les « ponts » et jours d’ancienneté ont été supprimés mais pas le mois de congés aux agents faisant valoir leur droit à la retraite. L’exemple le plus représentatif de cette mauvaise volonté de mettre en œuvre une durée du travail égale à 1607 heures est sans aucun doute le cas de la ville de Paris : avant l’entrée en vigueur de la loi, les agents de la ville travaillaient 1552 heures. Par ailleurs, le régime des autorisations spéciales d’absence était « très favorable » aux agents. En juillet 2021, un nouveau règlement du temps de travail a été adopté mais le préfet a demandé la suspension du règlement qui prévoyait « une sujétion au titre de l’intensité et de l’environnement du travail induisant une pénibilité spécifique pour les agents de la ville de Paris » appliqué à tous les agents de la ville. Le tribunal administratif saisi a annulé la décision qui avait conduit à accorder 3 jours supplémentaires de RTT en raison de la sur-sollicitation des services « liée à l’activité de la ville-capitale ». La ville a finalement l’application des jours supplémentaires aux personnels des crèches, aux égoutiers et aux personnels d’accueil des publics en précarité. Le référentiel des temps de travail comprend désormais 7 niveaux qui vont de 1435 à 1607 heures.

La faute à l’Etat ?

La Cour rappelle le principe de parité sur lequel repose l’égalité de traitement entre fonctionnaire de l’Etat et territoriaux qui supposent qu’à missions équivalentes, les uns ne puissent pas bénéficier d’une durée du travail plus favorable que les autres. Or en 2019, un rapport de l’IGF consacré aux régimes dérogatoires dans la fonction publique d’Etat avait constaté que sur un échantillon de 1,1 million d’agents de l’Etat, 120 000 bénéficiaient de compensations horaires liées à des sujétions inhérentes à leurs fonctions et 190 000 relevaient de régimes de travail favorables par « effet d’imitation » ou « survivance de dispositifs historiques ». La loi de transformation de la fonction publique s’applique de la même façon à l’Etat avec une durée du travail effectif de 1607 heures dans des conditions prévues par décret qui précise les mesures d’adaptation des agents soumis à sujétions particulières. Mais ce décret n’a toujours pas été publié. Par ailleurs, la loi de transformation de la fonction publique avait prévu la présentation au Parlement d’un rapport faisant le point sur les actions mises en œuvre pour assurer la durée effective de travail. Or celui-ci n’a toujours pas été réalisé, au motif selon la DGAFP que la nature et le volume des données à agréger était particulièrement complexe.

La Cour a effectué quelques vérifications :

Au ministère de l’économie est de finances, le temps de travail est inférieur à la durée légale pour de nombreux agents selon la Cour : cela concerne environ la moitié des agents des douanes et des droits indirects, des agents des services de surveillance ou encore des services administratifs ultra-marins. Des agents des services de la garantie des métaux bénéficient d’une durée annuelle de travail de 1572 heures du fait d’un travail les exposant aux produits chimiques. La proportion d’agents travaillant moins de 1607 heures a augmenté avec la mise en œuvre du Brexit et la création de bureaux travaillant 7/7 jours et 24/24 heures faisant face à de nouvelles contraintes.

Au ministère de l’Intérieur, la mise en œuvre de la loi de transformation de la fonction publique n’a pas créé de nouveaux régimes dérogatoires, mais elle n’a pas permis non plus, regrette la Cour, de remettre à plat les dispositifs existants pour les agents de la police nationale. De plus certains agents travaillant au sein des préfectures travaillent encore sur une base annuelle de 1540 heures et de 1565 heures pour ceux chargés de la délivrance des titres.

Au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le temps de travail des personnels dits Biatss – hors enseignants (bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, personnels sociaux et de santé) est de 1607 heures mais dans une enquête réalisée en 2019, la Cour avait constaté qu’aucun établissement d’enseignement supérieur ne respectait cette durée du travail et la moyenne constatée était de 1462 heures soit 9% de moins que la durée légale.

Les enjeux en matière de finances publiques ne permettent de négliger aucune piste : les économies identifiées par la Cour sur le temps de travail ou sur d’autres sujets comme l’absentéisme, montrent que des gisements d’économies existent et qu’ils permettent de maitriser la masse salariale, premier poste de dépenses de fonctionnement.