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Qu'attendre du choc de simplification pour la compétitivité de la France ?

Le 28 mars dernier dans son entretien télévisé accordé à France 2, le chef de l'État traçant les actions qu'il envisage pour aller chercher la croissance, s'est engagé à mettre en place un « choc de simplification », allusion transparente aux décisions concernant la simplification administrative qui devraient être arrêtées par le 2ème CIMAP (Conseil interministériel de la modernisation de l'action publique) qui doit se tenir le 2 avril. La base de ses réflexions repose sur le très récent rapport établi par le sénateur Alain Lambert et le maire du Mans Jean-Claude Boulard, dans le cadre de la mission de lutte contre l'inflation normative, qui a rendu ses conclusions le 26 mars. Seul souci, si l'inflation normative est une véritable maladie hexagonale avec l'existence de pas moins de 400.000 normes, les effets d'une politique de simplification, même massive ne seront pas instantanés, tout du moins en termes d'impacts budgétaire et de croissance économique. Pourtant la réflexion semble mûre et les leviers potentiels sont là : les « coûts » engendrés par la production normative représenteraient en France près de 60 milliards d'euros en 2008 selon l'OCDE en prenant la fourchette basse de l'estimation européenne qui évalue ces surcoûts entre 3 et 4% du PIB selon les pays [1].

1)Le rapport Lambert/Boulard, des propositions concrètes… :

Les deux auteurs du rapport sur l'inflation normative ont le mérite de mettre tout de suite en exergue les réformes importantes à mettre en place tant au niveau des principes que des mesures concrètes en adoptant le bon diagnostic, traiter le mal sur le stock comme sur le flux :

- Côté stock, les propositions des deux élus sont claires :

  • il s'agit tout d'abord d'édicter une instruction sur « l'interprétation facilitatrice des normes [2] » auprès des services administratifs, afin de développer un droit à l'interprétation en particulier s'agissant des stocks normatifs constitutifs de « centres de ralentissement » des procédures administratives. Au niveau local, ceux-ci sont bien identifiés par la mission : normes environnementales, normes architecturales ou de construction…
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Instruction facilitatrice du 2 avril 2013
  • il s'agit dans un second temps de bien identifier les stocks constitutifs de « centres de coûts » pour les collectivités comme pour les entreprises, (normes liées au handicap, normes urbanistiques ou sanitaires excessives etc.), avec la volonté de mettre en place une bascule du contrôle de la légalité vers un contrôle restreint de « l'erreur manifeste d'appréciation » permettant de réserver aux services déconcentrés de l'État un rôle de conseil et de « facilitateurs de projets » plutôt que de régulateur classique.

Au niveau du législateur et des pouvoirs publics (prescripteurs de normes) il s'agit de mettre en place des mécanismes de révision, consistant en l'abrogation, l'adaptation ou l'allègement des dispositifs existants, leur évaluation (clause de revoyure), la pérennité et le développement de moratoires législatifs pour les normes à impact financier important, et déclasser au besoin les dispositifs législatifs qui empiètent sur le domaine réglementaire, ou simplifier les normes surchargées par la « sur-transposition » européenne (lorsque les administrations rajoutent des dispositions que les directives européennes ne prévoyaient pas).

- Côté flux, des modifications constitutionnelles et institutionnelles indispensables :

  • Il s'agit tout d'abord d'inclure un certain nombre de principes juridiques qui devraient borner l'appréciation administrative et juridictionnelle de « l'interprétation facilitatrice des normes ». Il s'agit d'inscrire le principe de proportionnalité et de sécurité juridique dans notre constitution, mais aussi d'aménager le principe de précaution en « réhabilitant le droit au risque » et en accélérant le principe de dépénalisation.
  • Dans un second temps, des mécanismes de contrôle de la production normative doivent être mis en place, avec la reconnaissance du principe du « One In, One Out » afin de stabiliser le corpus de normes, mais aussi de produire un état annuel du flux de normes (recensement qui devra dépasser celui jusqu'à présent publié dans le rapport d'activité du commissariat à la simplification), et de développer les études d'impact préalables et ex-post. Ce dispositif devant s'accompagner de la mise en place d'un « médiateur de la norme », sur le modèle de la récente proposition de loi des sénateurs Sueur et Gourault [3].

Petit florilège des normes à simplifier/abroger/adapter/réviser

Normes à interpréter dans un sens facilitateur : Urbanisme, pouvoir d'appréciation du préfet en matière de respect des SCOT (schéma de cohérence territoriale) des dispositions de l'article L.121.1 du Code de l'urbanisme, Monuments et sites classés concernant les projets de construction dans les zones de protection de ces sites, Espèces protégées en matière d'aménagement urbain ou rural (les exemples biens connus du Pique-Prune de l'autoroute A 28 et de l'Hélianthère faux Alyson (fleur protégée trouvée dans une ZAC (zone d'activité commerciale)), accessibilité, dans l'interprétation stricte ou souple de l'article R.111.19.2 du Code de la construction et de l'habitat etc…

Abroger : en matière d'alimentation scolaire, l'article L.230.5 du Code rural et sa déclinaison par décret et arrêté du 30 septembre 2011, sur la composition des repas dans l'ensemble des restaurants scolaires de France et spécifiquement la place des saucisses, des oeufs, nuggets et petits pois… mais aussi la loi sur la qualité de l'air à l'intérieur des établissements recevant du public, l'application indifférenciée des normes sismiques hors des zones d'activité recensées, la réglementation sur le niveau de qualification des agents des pompes funèbres (décret du 9 avril 2000), les normes de lectures lors du mariage civil etc…

Adapter ou alléger : adaptation des règles d'accessibilité des maisons superposées, moduler les règles d'accessibilité pour les logements temporaires, allègement des normes d'encadrement dans les crèches, encadrer les normes en matière de fouilles préventives etc…

2)… mais non dénuées d'angles morts quant aux effets pratiques et à leur évaluation :

En effet, une fois proposées les grandes lignes d'un choc de « compétitivité juridique » comme le qualifient ses auteurs, un certain nombre de points restent en suspend sur la faisabilité pratique de la réforme :

- Sur le volet proprement évaluatif du stock et du flux : le rapport reste en grande partie muet sur les organes concrets qui réaliseront les évaluations demandées :

  • Ex ante, le rapport ne sépare pas clairement les éléments normatifs à évaluer : Alors que les ministères s'occupe essentiellement des études d'impact de projets de lois non organiques, rien n'est dit quant aux études préparatoires s'agissant des propositions de lois parlementaires, ou d'études d'impact ex-ante à coût complet après vote définitif de la loi (incluant le coût administratif de création de la norme envisagée, son coût de portage parlementaire (longueur de la discussion, séances de nuit, travail administratif), son impact local en cas de mise en place par les collectivités, son coût économique pour l'entreprise ou le citoyen destinataire). Rien non plus n'est dit de l'évaluation contradictoire ex-ante de la réglementation qui devra nécessairement obéir à un principe renforcé d'intelligibilité pour son destinataire final.
  • Ex post, il devrait s'agir au niveau des collectivités locales de la CCEN (commission consultative d'évaluation des normes) dont l'un des rapporteurs est le Président, tandis que l'évaluation des normes « nationales » devrait être l'apanage de la Directrice déléguée à la simplification au sein du SGG, avec le concours des services de la DGCIS. Cependant, cette évaluation n'est pas réellement contradictoire. Elle ne repose pas non plus sur les exigences de scientificité qui devraient impliquer des organismes indépendants de l'action publique (collectivités ou gouvernement). Par ailleurs, à aucun moment le rapport n'évoque l'épineuse question du maquis de la réglementation fiscale. Or sa simplification a été prise en compte comme un élément de compétitivité à l'étranger (comme l'OTS (Office of Tax Simplification) au Royaume-Uni). Tout au plus le rapport propose-t-il de « réaliser des études d'impact ex-post des normes réglementaires. »

- Sur le volet contentieux, la simplification ne doit pas déboucher sur une casuistique renforcée : En dépit de la volonté des rapporteurs de développer une approche du contrôle des actes réglementaires basée davantage sur le conseil que sur l'appréciation stricte de la légalité en prônant le développement de la technique de l'erreur manifeste d'appréciation beaucoup moins contraignante, le risque existe qu'un contentieux nourri surgisse et vienne encombrer un peu plus les tribunaux civils ou administratifs. Dans ce cas de figure, la simplification pour les collectivités ne se traduira pas par un effet positif pour les administrés ou les entreprises. Par ailleurs, quelle sera l'étendue exacte des pouvoirs d'appréciation dans l'interprétation de la norme par l'autorité administrative. On comprend entre les lignes que le caractère « facilitateur » de l'instruction générale que le rapport propose, devra se marier avec le principe de sécurité juridique afin de développer une approche pro-développement économique et pro-business. C'est un élément important mais qui paradoxalement conduit à réinvestir des niveaux administratifs que l'on croyait jusqu'à présent particulièrement visés par la MAP (la modernisation de l'action publique) et l'acte III de la décentralisation.

- Une réforme centrée sur les collectivités au risque de contrarier la modernisation de l'action publique (MAP) et l'acte III de la décentralisation : En cherchant à couper court à l'activisme normatif des DREAL, mais aussi des Architectes des Bâtiments de France, et à centrer le choc de simplification sur l'interprétation locale produite par les préfets des départements au détriment de ceux des régions, suit-on le bon niveau de subsidiarité ? Dit autrement dans le cadre de la MAP et de l'Acte III de la décentralisation avec la mise en place des Métropoles et des collectivités chefs de files en matière d'exercice des compétences, l'accent est mis sur une bipolarisation de l'action locale définie entre bloc communal et bloc régional. Si l'on suit les rapporteurs et alors même que les services déconcentrés de l'État devraient épouser le même schéma d'organisation dans le cadre de la MAP, on trouve au contraire la proposition du renforcement des prérogatives des préfets départementaux, alors même qu'il serait nécessaire de s'interroger sur la pertinence de ce niveau d'administration. Si cette orientation devait être validée, elle conduirait à ce que les économies que l'on attend de la simplification des normes rentrent en contradiction avec les économies que l'on voudrait voir générer au niveau local par la mise en place de la MAP et de l'Acte III de la décentralisation. On reprendrait donc d'une main ce que l'on veut promouvoir de l'autre, avec des horizons qui ne militent pas en faveur de la simplification.

Conclusion :

Le rapport Lambert Boulard est sans doute l'un des rapports les plus aboutis sur la question de la simplification. Parce qu'il propose une vraie méthode, apporte une réflexion nécessaire sur les principes constitutionnels permettant de conduire à une réforme profonde dans la production et l'interprétation des textes législatifs et réglementaires, celui-ci mériterait que le Gouvernement le traduise rapidement en actes concrets. Cependant, les lacunes demeurent importantes et significativement quant aux effets concrets attendus en termes de « choc de compétitivité juridique » et d'économie des deniers publics :

- Si l'idée d'un rescrit norme est une bonne idée, comme le développement de codes de bonnes pratiques non contraignantes, il n'est pas sûr que la multiplication des contentieux ne vienne remplacer les efforts réalisés en termes de clareté et d'interprétation facilitatrice des normes.
- Par ailleurs, l'aspect impact de la législation tant ex ante qu'ex post, indépendante et contradictoire n'est pas évoqué en profondeur, et des frictions peuvent intervenir par rapport aux efforts de réorganisation centraux (MAP) et locaux (Acte III de la décentralisation) impulsés par le gouvernement.
- Enfin rien n'est dit du corolaire indispensable qui devrait être la transparence dans la publicité des normes et des décisions d'application et significativement au niveau local. Rien n'est dit du développement d'un portail « légilocal » qui permettrait de faire le pendant du site légifrance sur le plan national, et de rendre plus transparente l'information et la production normative dans les territoires.

Il est temps que des objectifs clairs et chiffrés soient mis en place afin de réduire le stock normatif, améliorer sa qualité et dégager des économies pour les administrations elles-mêmes (ministères entre eux/ ministères/collectivités locales), pour les entreprises et les citoyens. Encore faudrait-il que les moratoires normatifs théoriquement en vigueur (en direction des collectivités locales) soient respectés, mais aussi qu'un principe vérifiable et transparent de One In/One Out, soit effectivement mis en application afin, surtout, de ne pas faire croître le stock de normes actuel.

Mais ne nous leurrons pas, la simplification normative est d'abord un travail de Sisyphe qui suppose de veiller sans cesse sur l'existant et de contrôler la production présente et future. L'impact ne peut être de plus de 1 voire 2 milliards d'euros par an au plus. La manœuvre est d'autant plus compliquée que : Transparence, évaluation contradictoire, mise au pas des centres de suproduction normative (Ministère de l'écologie, Fédérations sportives, règles d'Ubranisme), et réduction des contrôles devront être mis en place conjointement avec les nouveaux principes constitutionnels qui devront les sous-tendre. Au risque que l'inflation normative reste ce qu'elle a trop longtemps été jusqu'à présent, un vrai serpent de mer.

[1] LAMBERT, A., BOULARD, J-Cl., rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative, 26 mars 2013, p.76, citant, ATTALI, J., Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, 2008, p.182. Mais aussi les documents issues des Assises de la Simplification, lancée en 2011, http://www.dgcis.redressement-produ…

[2] Désormais publiée par le Premier ministre le 2 avril 2013, voir http://www.gouvernement.fr/sites/de…

[3] Proposition de loi n°119 portant création d'une Haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales. 12 novembre 2012.