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A nos futurs présidents de régions

Arrêtez d'embaucher et de dépenser à tours de bras !

Dans le cadre des élections régionales, les candidats insistent sur les compétences et les services publics qu'ils ont mis en œuvre dans les régions et ceux qu'ils souhaitent développer. Peu d'entre eux pourtant s'expriment sur la question de la dépense publique locale et de son envolée ces dernières années. A la veille du 1er tour de scrutin, un rappel s'impose. Les régions ont présenté en 2009 un budget total de près de 27,3 milliards d'€. Sur 5 ans [1], la dépense publique régionale présente une progression de +56%. Comment cette explosion des dépenses a-t-elle été rendue possible ?

Une partie est due aux transferts de compétences de l'État vers les régions. Ainsi, la prise en charge des lycées et des TOSS (techniciens, ouvriers sociaux et de service), la formation professionnelle, la politique de transport avec la « régionalisation » du trafic ferroviaire, sont désormais sous la responsabilité des régions dans le cadre de la décentralisation. Ces transferts de près de 2 milliards d'€ lors des trois dernières années [2], s'accompagnent d'un transfert de moyens à hauteur de 3 milliards d'€ en 2009 sous la forme d'affectations de recettes, en l'occurrence sur la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers). Un transfert de moyens qui n'a pas empêché les régions de pratiquer des hausses exponentielles d'impôts locaux, notamment par crainte de l'écart entre le dynamisme des dépenses nouvelles et la rigidité des taxes affectées par l'Etat pour les couvrir, avec comme conséquence une augmentation de la fiscalité régionale de près de 36% sur cinq ans.

Et pour cause, l'interventionnisme local s'est développé dans les régions de façon exceptionnelle. Ainsi, dans le domaine ferroviaire, les régions ont-elles multiplié les lignes de transports régionaux et les achats de TER flambants neufs. Aujourd'hui, les régions consacrent environ le quart de leur budget aux transports, soit 100 € par habitant. Mais l'efficacité économique de cette dépense n'est que rarement abordée, notamment si l'on considère le faible taux d'occupation des TER. Selon Christian Gérondeau, spécialiste des transports, il y a autant de passagers dans les TER sur toute la France que de voyageurs sur la seule ligne 1 du métro parisien.

Autre domaine qui s'est développé à tous crins : les aides aux entreprises. Et là aussi, l'efficacité de la dépense locale mérite qu'on s'interroge. En 2007, la Cour des comptes dans un rapport sévère sur le sujet concluait : « Le bilan effectué par les chambres régionales des comptes de vingt-cinq ans de décentralisation en matière d'aide aux entreprises montre ainsi la nécessité non pas tellement d'une simple amélioration du dispositif existant mais assurément celle d'une redéfinition profonde d'une compétence frappée d'inefficacité et de réelle obsolescence. » Difficile d'être plus clair !

Il faut également relever la progression du nombre de personnels de la fonction publique régionale qui n'a jamais été aussi important. Entre 2004 et 2009, le nombre des agents publics des régions est passé de 11 482 à 57 311, soit à un quintuplement en 5 ans. Les élus locaux mettent régulièrement en avant les transferts de personnels de l'Etat aux régions (on pense notamment aux 39 791 TOSS [3]). Mais il faut faire la part des choses : hors transferts, la croissance des effectifs régionaux reste tout à fait inédite. 6 038 fonctionnaires supplémentaires en 5 ans soit une augmentation de près de 52,6%. Avec à la clé, un surcoût budgétaire de quelque 220,5 millions d'€ par an. Et les dépenses de personnel culminent maintenant pour les régions à près de 2,260 milliards d'€ (chiffre 2009 [4]).

Des réformes nécessaires pour sortir du non choix et entrer dans une culture de responsabilité

Afin de responsabiliser les collectivités locales, et tout particulièrement au niveau régional où les marges fiscales sont particulièrement étroites, l'Etat dispose, par le biais de ses dotations et des affectations sur recettes, de puissants leviers incitatifs [5] pour maîtriser le volume de leurs dépenses [6]. Seul risque, celui de buter sur une limite financière constitutionnelle [7]. Mais au-delà, il importe de s'interroger sur une simplification des schémas de recettes et de dépenses. Clarifier les impôts par strates administratives et éviter en matière d'investissement les subventions croisées, les régions étant contributrices nettes envers les autres collectivités de près de 5,045 milliards d'€ en 2007. Une démarche qui permettrait d'améliorer le suivi de l'endettement régional et de son amortissement. A noter qu'en cinq ans celui-ci est passé de 8 à 15 milliards d'€.

Dernier point, le train de vie des régions. Depuis 2005, les budgets des achats et charges internes ont en effet crû dans des propensions considérables : +57,5% durant la période, ce qui recouvre les fournitures, les frais de communication, d'assistance juridique, les coûts immobiliers, les frais de réception et autres. A eux seuls, ils représentent près de 2,2 milliards d'€ (contre 1,4 milliard en 2007). Récapitulons : +52 % des effectifs publics régionaux en 5 ans, + 57 % des dépenses de communication et autres liées au train de vie en 5 ans, + 36 % des impôts locaux en 5 ans. Et tout cela dans un pays dont la charge de la dette devrait atteindre 85 % en 2015.

Il est plus que temps d'appliquer la règle du non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ainsi que d'impulser d'importants efforts en matière de réduction de train de vie dans le cadre d'une RGPP locale. Si un seul message pouvait passer auprès de nos futurs gestionnaires régionaux et, plus largement, des collectivités en général se serait : « arrêtez d'embaucher et de dépenser à tours de bras ». Nous n'en avons plus les moyens. Si tant est que nous les ayons eus.

[1] Ainsi en début de mandature en 2005, le budget des régions représentait 19,8 milliards d'€, soit déjà une augmentation de 13,1% par rapport à l'année précédente (17,5 milliards d'€). Depuis lors, la vague d'augmentation sera continue : +12,6% en 2006 (21,504 milliards d'€), +12,9% en 2007 (25,2 milliards), +9% en 2008 (26,6 milliards).

[2] Voir les rapports de la commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC). En baisse par rapport aux 3 milliards entre 2005 et 2008.

[3] Evalués en ETPT, puisque par agent, le transfert lui est plus important : il représentait près de 51 147 TOSS. Ils représentent par ailleurs une masse salariale considérable, évaluée en 2009 à quelque 1,447 milliard d'€ !

[4] Dont 1,447 milliard pour les TOS, voir ARF (Association des régions de France).

[5] Le dernier en date qui sera bientôt mis en place, sera constitué par une norme de dépenses locales qui devrait être définie à l'issue des travaux menés par la toute récente commission Carrez en la matière.

[6] A titre d'exemple, le discours des présidents de gauche sur le manque de moyens pour non compensation des frais de transferts de compétence doit trouver ses limites : alors que la part de la dotation générale de fonctionnement régionale (13% de la DGF globale) est significative, le rapport Carrez tome 1 du PLF 2010 met en lumière (p.112) qu'à la suite d'une évaluation erronée de l'inflation prévisionnelle, les concours de l'Etat aux collectivités locales dont la DGF, ont été surévalués de 900 millions d'€ en 2009. La correction en 2010 ne sera que partielle ce qui permettra aux collectivités locales de bénéficier d'une manne supplémentaire de 639 millions d'€ en 2009 et de 391 millions d'€ en 2010 malgré les mesures de rattrapage envisagées pour 2010.

[7] Comme celle qui impose (art.72-2 al.3) que : « les recettes fiscales et autres ressources propres des collectivités locales représentent pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. » Cette « part déterminante » a été interprétée par la loi organique du 29 juillet 2004 comme devant constituer un ratio d'autonomie (en termes de ressources fiscales propres) ne pouvant être inférieur à celui constaté en 2003 (avant que ne débute le transfert des compensations dans le cadre de la décentralisation).