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L'Etat paye en urgence ses fonctionnaires

930 millions de dépenses de personnel non prévues au budget 2010. Il a fallu valider dans l'urgence un projet de décret d'avance à la commission des finances du Sénat, pour près de 1,386 milliard d'€ d'autorisations d'engagement et 1,14 milliard de crédits de paiement supplémentaires, dont effectivement 930 millions « indispensables pour assurer la paie de décembre de ces milliers de fonctionnaires » dit Jean Arthuis, le président de la commission des Finances du Sénat. La raison : les fonctionnaires seraient moins nombreux à partir en retraite que prévu et le coût des primes et indemnités plus lourd qu'anticipé par Bercy.

Déjà, en 2009, des décalages avaient été constatés entre les départs effectifs et les départs anticipés par les budgétaires, ce qui avait engendré des économies plus faibles que prévu dans le cadre de la politique du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Effectivement, en 2009, au lieu de 30.600 départs anticipés, ce sont 20.000 fonctionnaires qui sont partis en retraite et 100 millions de moins économisés par rapport aux prévisions.

Pourquoi ?

1. Parce que, depuis la loi de 2008 qui a permis aux salariés du privé qui le souhaitent de travailler jusqu'à 70 ans, les fonctionnaires pouvent désormais travailler jusqu'à 65 ans. Les prévisions de départs en retraite calculées ultérieurement sont donc fausses. Résultat : le taux de non remplacement est de 41% au lieu du 44% affiché [1].

2. Parce que de nouvelles primes ont été versées dans le cadre de la RGPP pour rendre plus douce par exemple la fusion DGI-DGCP en DGFIP, parce que des primes nouvelles sont versées dans le cadre de l'application de la majoration des heures supplémentaires et que les salaires sont revalorisés dans le cadre de la GIPA (garantie pouvoir d'achat) accordée aux fonctionnaires.
Déjà en 2009, ces nouvelles primes et avantages divers avaient occasionné une augmentation des dépenses de personnel au budget général, de 800 millions d'€ par rapport à 2008.

3. Parce que des revalorisations des traitements ont été décidées à l'occasion de la fusion des corps. Afin que les salaires augmentés soient considérés dans le calcul de la retraite, il faut avoir bénéficié de ces salaires revalorisés pendant 6 mois révolus, ce qui explique que dans certains corps personne ne se presse pour partir.

Au ministère du Budget par exemple, la mise en place du NES (Nouvel Espace Statutaire) concernant les fonctionnaires de catégorie B résultant de la fusion des secrétaires administratifs et des contrôleurs du Trésor public d'administration centrale (2.600 agents), occasionnent à compter du 1er septembre 2010, visiblement un surcoût non anticipé de 15 millions d'€ pour 2010, mais de 63 millions en année pleine [2]. Celui-ci n'a semble-t-il pas été anticipé alors que le décret portant création du nouveau corps a été pris le 11 novembre 2009.

D'où viennent ces 930 millions ?

Voici les principaux ministères qui demandent des rallonges pour payer leurs fonctionnaires.
- Ministère de l'Education nationale : 378 millions d'€ supplémentaires réclamés pour 6.500 personnels non partis en retraite.
- Ministère du Budget : 110,8 millions d'€… alors que le décalage entre les départs anticipés et les départs réalisés en 2010 n'excède pas 293 agents. Ce dérapage vient donc bel et bien de l'explosion du montant des primes versées aux agents. Le ministère évoque bien des mesures diverses de restructurations ainsi que le coût des comptes épargne temps, et la GIPA (la garantie individuelle de pouvoir d'achat).
- Ministère de la Défense : 201,9 millions d'euros pour financer d'une part les licenciements de contractuels et d'autre part, pour 104 millions d'euros, des mesures indemnitaires (notamment le pécule de départ).
- Ministère de l'Intérieur : 115 millions réclamés dont 40 millions d'€ à raison de mesures catégorielles. Qu'on en juge : la signature de protocoles salariaux entre décembre 2007 et avril 2009 nécessitent les « rallonges suivantes » : +8 millions/an pour le corps des commandants, + 30 millions pour le corps d'encadrement et d'application, +2 millions pour le corps de conception/direction. Mais aussi la revalorisation de l'indemnité de sujétion spéciale (ISSP) de 17 millions d'€ en 2010.
- Ministère de la Justice : 46 millions d'euros dont 20 millions d'€ demandés pour financer le coût des heures supplémentaires et 16 millions de compensation pour les personnels suite à l'augmentation de la surpopulation carcérale.

D'où vient cette « rallonge » ? Cette « rallonge » imprévue de 1,14 milliard d'€ ne sera pas empruntée sur les marchés mais sera en partie prélevée sur la réserve de précaution mise en place par la LOLF à hauteur de 730 millions d'€. La réserve de précaution censée prévenir les situations d'urgence sortira ainsi presque totalement vide de l'exercice 2010 (il ne resterait plus que 1,9 milliard d'€ sur les 4,7 milliards initiaux, mais plus aucun crédit mis en réserve concernant les dépenses de personnel …). Le reste se fera, selon le gouvernement, par annulations et redéploiements au sein de chaque programme suivant le principe de « l'auto-assurance » et par des coupes dans les dépenses d'intervention et de train de vie de l'Etat (fonctionnement au sens large) (410 millions d'€). [3]

Conclusion :

Le recours aux décrets d'avance pour payer les fonctionnaires, une première à ce niveau de dépenses en décembre, montre que l'impact des départs en retraites, du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux ou des primes et avantages accordés assez généreusement ces dernières années est très mal évalué par nos budgétaires et que, encore une fois le montant d'économies affichées pour la RGPP peut être sujette à controverse.
Par ailleurs, la fuite en avant des mesures catégorielles, afin « d'acheter la réforme » auprès des fonctionnaires, n'est pas intégrée pleinement dans le budget et le Parlement est sollicité… au pied du mur. Il conviendrait de durcir le recours à la « réserve de précaution » qui ne devrait être sollicitée que pour des dépenses totalement imprévisibles.
Une raison de plus pour passer à la vitesse supérieure et opter pour l'introduction d'une véritable comptabilité analytique et un durcissement de la règle du non renouvellement… au train où vont les choses, pourquoi ne pas passer au gel des embauches au moins le temps d'y voir plus clair sur les départs en retraite ?

[1] Il faut dire qu'exprimé en ETPT le bilan du non renouvellement des effectifs en 2008 présentait un renforcement du non remplacement de 5.300 ETPT par rapport aux prévisions. D'où un « rattrapage » en 2009 expliquant la baisse du taux de non renouvellement, celui-ci étant prévu globalement sur une base pluriannuelle.

[2] Le NES implique notamment : un relèvement important du bas de la grille indiciaire, un relèvement notable du sommet de la grille et la revalorisation des indices les plus élevés des premier et deuxième grade.

[3] Voir rapport du Sénat.