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L’absentéisme dans l’AP-HP : les chiffres

Au mois de février dernier nous avons publié le palmarès de l’absentéisme dans les hôpitaux publics. Cette note a permis de faire le point sur les bilans sociaux des 30 centres hospitaliers universitaires  pour l’année 2013 et d'analyser les résultats de l’absentéisme des personnels médicaux et non médicaux.

Au même moment, nous avons demandé à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) les bilans sociaux par hôpital parisien, pour pouvoir établir une comparaison. Cette demande nous l’avons faite en juin 2015. S’en est suivi un an d’échanges qui en disent long sur la possibilité d’obtenir des informations sur cet établissement hors normes : l’AP-HP est en effet la plus grande entité hospitalière d’Europe avec plus de 95 000 agents répartis sur 45 sites à Paris, en Ile-de-France mais aussi en province, le tout pour un budget de 7 milliards d’euros. Depuis la réforme intervenue en 2009, l’AP-HP est organisée en groupes hospitaliers :

Liste des 12 groupes hospitaliers de l'AP-HP

Groupement Est Parisien :

  • Saint-Antoine
  • Rothschild
  • Trousseau
  • La Roche Guyon
  • Tenon

Groupement Pitié Salpetrière :

  • Pitié Salpetrière
  • Charles Foix

Groupement Henri Mondor :

  • Chenevier
  • Henri Mondor
  • Joffre Dupuytren
  • Emile Roux
  • Georges Clémenceau

Groupement Paris Centre :

  • Cochin (Cochin, Port Royal, Tarnier)
  • Broca (Broca, La Collégiale, La Rochefoucauld)
  • Hotel Dieu

Groupement Necker.

Groupement Nord Val de Seine :

  • Beaujon
  • Bichat
  • Bretonneau
  • Louis Murier
  • Adelaïde Hautval

Groupement Paris Seine Saint Denis :

  • Avicenne
  • Jean Verdier
  • René Muret

Groupement Ile-de-France Ouest :

  • Poincaré
  • Ambroise Paré
  • Sainte Périne
  • Berck

Groupement Robert Debré.

Groupement Saint-Louis-Lariboisière :

  • Saint-Louis
  • Fernand Widal Lariboisière

Groupement Paris Ouest :

  • Georges Pompidou
  • Vaugirard
  • Corentin Celton

Groupement Paris Sud :

  • Antoine Beclère
  • Bicêtre
  • Paul Brousse

Hors groupe :

  • Hôpital marin d'Hendaye (Pyrénées-Atlantiques)
  • Hôpital San Salvadour d’Hyères (Var)
  • Hôpital Villemin-Paul-Doumer à Liancourt (Oise)
  • Hospitalisation à domicile (HAD)

Pas d’informations par établissement

Nos demandes se sont donc heurtées à une impossibilité d’obtenir les informations par établissement de la direction centrale des ressources humaines de l’AP-HP du fait de bilans sociaux établis désormais au niveau de chaque groupe. Nous avions beau arguer que la Cour des comptes dans son rapport sur l’AP-HP publié en 2010 avait communiqué des données par établissement :

Ou encore que le groupement hospitalier Paris Ile-de-France Ouest détaillait les résultats par établissement…

Par ailleurs, les informations contenues sur le site Hospidiag tenu par l’ATIH - agence technique de l’information sur l’hospitalisation et qui dépend du ministère de la Santé - sous le volet ressources humaines donne le taux d’absentéisme du personnel non médical par établissement. Mais pour l’AP-HP seul un taux global a été renseigné pour tous les établissements de 5,7%… Une fois encore il s’agit de résultats agrégés.

Nous n'avons finalement reçu les bilans sociaux par groupe qu’après plusieurs relances et une demande à la Commission d’accès aux documents administratifs, le dernier nous parvenant le 12 août 2016, soit plus d’un an après notre première demande.

Les indicateurs renseignés

Le dépouillement des bilans sociaux permet de constater que les présentations sont extrêmement variées et les indicateurs renseignés ne sont pas toujours les mêmes. Les informations sur le personnel médical ne sont quasiment jamais renseignées (sauf le groupe hospitalier Paris Centre).

Distinction personnel médical/personnel non médical

Personnel médical : ensemble des médecins, pharmaciens, sages-femmes, assistants, vacataires, internes et étudiants.

Personnel non médical :

  • Personnel soignant : infirmiers diplômés d’Etat, puéricultrices, aides-soignants, aides-puéricultrices, (non compris le personnel d’encadrement pour ces catégories de personnel)
  • Autre personnel : ensemble des personnels ne rentrant pas dans les catégories précédentes à savoir : personnel d’encadrement, personnel administratif et hôtelier, agents des services hospitaliers, secrétaires médicales, assistants sociaux, masseurs-kinésithérapeutes, aides à la vie, ingénieurs et techniciens biomédicaux, manipulateurs radios.

Les indicateurs concernent le personnel non médical et les plus couramment établis sont :

Les taux d’absentéisme par catégorie (A, B ou C), par genre, par filière (administratif, soignant, socio-éducatif, médico-technique, ouvrier-technique), par tranche d’âge. Par ailleurs la catégorie soignant distingue les résultats des infirmiers et des aides-soignants. Ces taux spécifient :

  • Les motifs médicaux : maladie ordinaire, congé longue maladie, congé de longue durée, accident du travail et maladie professionnelle,
  • Les motifs non médicaux : absences pour congés maternité, paternité et adoption.

Les absences pour formation, enfant malade, et activité syndicale sont exclus du chiffrage.

D’autres indicateurs sont également prévus : absences inférieures à 6 jours, absences supérieures à 6 jours, durée moyenne des absences pour motif médical et non médical par motif (nombre total de jours d’absence divisé par le nombre d’agents ayant eu au moins un arrêt de travail au cours de la période de référence), nombre de jours d’absences par agent (nombre total de jours d’absence divisé par l’effectif physique total au 31/12 de l’année de référence).

Cependant certains bilans sociaux qui nous ont été communiqués sont beaucoup moins diserts. Des incohérences de chiffres laissent à penser que les indicateurs n’ont pas été remplis de la même façon entre groupements. Ainsi, comment expliquer que la durée moyenne des absences non médicales, autrement dit des absences pour congés maternité, paternité, adoption, soit par exemple de 11 jours pour les hôpitaux du groupement hospitalier Henri Mondor contre 86 jours à l’hôpital Necker ?

L’exploitation des données sur l’absentéisme permet de dresser le tableau suivant :

    

Cependant si l'on passe outre les difficultés particulières et que l’on se concentre sur les résultats globaux on constate que la moyenne du nombre de jours d’absence par agent pour motif médical est de 19,9 jours et de 5 jours pour motif non médical. Soit 24,5 jours d’absence pour motif médical et non médical.

Plus précisément :

Le motif médical s’établit à 11 jours par agent au siège, 17,5 jours à Necker, mais grimpe à 23,3 jours à Saint-Louis-Lariboisière et 24,4 pour le groupement Henri Mondor.

Le motif non médical s’établit à 5 jours en moyenne mais varie de 2 jours au siège, 4 jours au groupement de la Pitié Salpetrière et à 10,8 jours encore une fois à Henri Mondor, avec toutes les réserves qu’il convient d’appliquer à ces chiffres.

Au final, la moyenne des absences pour motif non médical de 19,9 jours est à rapprocher du nombre de jours d’absence des CHU de notre précédente étude, soit 22,3 jours.

Interprétation des résultats

Les résultats de l’AP seraient donc globalement un peu meilleur que ceux des hôpitaux de province, tendance que relevait justement le courtier en assurance, Sofaxis, dans une étude récente citée par Le Figaro : plus un hôpital est petit plus l’absentéisme est important. Cette étude apporte également des précisions sur les absences au travail dans les établissements hospitaliers : la maladie ordinaire est en 2015 la première nature d’absence au travail pour raison de santé dans la fonction publique hospitalière. Et le taux d’absentéisme est 1,2 fois plus important dans les petits établissements (moins de 50 agents) que dans les plus grands établissements (plus de 100 agents). Mais si le taux d’absentéisme (jours d’absences / nombre de jours dans l’année) est plus important, en revanche on constate que l’exposition (nombre d’arrêts rapporté à l’effectif) et la fréquence des arrêts (nombre de jours d’arrêt par agent) pour maladie ordinaire est plutôt plus élevé plus l’établissement est grand.

Dès lors la lutte contre l’absentéisme reste une priorité pour une entité telle que l’AP-HP et les informations à tirer d’une comparaison entre établissements ou à défaut entre groupes, restent bien une piste d’amélioration.

C’est la démarche décrite dans un mémoire réalisé en 2009 pour l’école des hautes études en santé publique sur le sujet, Absentéisme : de la nécessité de lutter contre un tabou hospitalier et qui cible la réduction de l’absentéisme de courte durée du personnel non-médical à l’hôpital Necker.

Rappelant que le coût financier de l’absentéisme est élevé (4,6 millions d’euros en 2008 pour l’hôpital Necker), le rapport constate que les absences pour maladie ordinaire sont la cause de plus d’un tiers des absences dans cet hôpital suivi par le congé maternité du fait de la forte féminisation des professions de santé. Les absences de longe durée sont peu nombreuses : congé longue maladie, absences pour maladies professionnelles, accidents du travail (chiffres 2006).

Le rapport qui analyse un champ d’absentéisme différent de celui retenu pour notre étude constate que l’absentéisme de moins de 6 jours est en fait lié à la maladie ordinaire et aux absences pour enfants malades. D’ailleurs, ces absences sont très courtes : 2,69 jours en moyenne pour la maladie ordinaire et 1,54 jour pour les absences enfant malade.  Or, souligne l’étude, plus l’absence est courte plus elle est désorganisante pour le service.

L’étude a cherché à cerner quelles étaient les catégories d’agents les plus touchées : la logique voudrait que l’absentéisme augmente avec l’âge mais on constate plutôt une courbe en U. L’absentéisme est assez élevé chez les catégories de plus de 50 ans et chez les 25-35 ans. Si on écarte les motifs de maternité le rapport avance un phénomène de « décompensation suite à la titularisation » de l’agent. Ce n’est pas alors l’âge qui constitue le critère discriminant mais plutôt l’ancienneté (i.e. plus l’ancienneté augmente moins le phénomène d’absentéisme de courte durée est susceptible de se manifester).

Par ailleurs le rapport reconnaît que l’absentéisme est lié avec l’intensité physique et émotionnelle du métier, ainsi qu’avec le niveau de reconnaissance symbolique ou matérielle des employés. Sans surprise ce sont donc les personnels soignants de catégorie C qui sont les plus exposés à l’absentéisme. Mais ce que cette étude a révélé d’intéressant, c’est que Necker a pu directement se comparer avec l’hôpital Robert Debré où l’absentéisme était moins élevé pour des activités de soins relativement comparables.

Maladie Ordinaire

Necker 2006

Necker 2007

Necker 2008

Debré 2006

Debré 2007

Debré 2008

Nombre de jours d’arrêts par agent absent

19,8

20.1

21.4

19.1

21.2

20.3

Nombre de jours d’arrêts par agent

12,1

12.8

13.7

10.2

12.4

11.7

Taux d’absence

3.309

3.51

3.745

2.796

3.387

3.209

Fréquence

1.308

1.416

1.427

1.112

1.363

1.314

Dernier point révélé par l’analyse, l’absentéisme touche plus particulièrement les agents habitant en 2e couronne de la région parisienne, soulignant le problème particulier des transports. Ce point est important car on constate que les agents de Necker habitant en province ont un plus faible absentéisme en raison notamment de plannings mieux négociés et plus concentrés, leur permettant de diminuer leur temps de trajet. Une situation d’autant moins compréhensible que l’AP-HP dispose d’un parc de logements important pour ses agents (plus de 11.000 en 2010) mais dont la gestion défaillante a été pointée du doigt par la Cour des comptes.

Lutter contre l’absentéisme = remettre en cause les rigidités du statut

Le rapport conclut, sur les actions qui ont été mises en œuvre à l’hôpital pour traiter ce problème d’absentéisme de courte durée : implication de la direction, renforcement du rôle de l’encadrement intermédiaire, réflexion sur l’organisation du travail, évaluation, management des équipes, surprime, gestion individualisée des ressources humaines et des carrières, réduction du turnover, auquel s’ajoute une action sur les risques physiques et psychologiques des métiers… Bref des concepts pas forcément associés au statut de la fonction publique. L’accueil par les partenaires sociaux a été contrasté (plutôt bon au niveau local, moins au niveau du siège).

En d’autres termes, qu’il s’agisse de l’AP-HP comme des hôpitaux publics étudiés dans notre précédente analyse, nos recommandations sont les mêmes :

  • Revenir sur la suppression du jour de carence : la FHF s'est insurgée en son temps contre le retrait de cette mesure qui en un an avait permis de faire économiser près de 90 millions d'euros ;
  • Revoir la gestion des équipes et s’affranchir du cadre rigide du statut de la fonction publique hospitalière (avancement à l’ancienneté) pour mettre en place des outils de reconnaissance individuelle de la valeur professionnelle des agents.
  • Revoir le cadre du temps de travail qui n’est plus adapté à la nécessaire souplesse de l’organisation des hôpitaux.