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Jour de carence : le mauvais deal du gouvernement

Avant son premier anniversaire, le jour de carence maladie des agents publics est amené à disparaître à l'occasion de la prochaine loi de finances. Ce jour de carence avait été institué suite à une proposition de la Fondation iFRAP. C'était et c'est toujours une mesure juste. Il est très important de décrypter les arguments soulevés dans « Les Échos » par Madame Lebranchu en faveur de sa suppression (« injuste, inutile, inefficace ») car ces arguments ne tiennent pas. Par ailleurs, si le gouvernement a du mal à tenir tête aux syndicats de la fonction publique eu égard au gel du point d'indice et au ralentissement des avancements, il aurait pu trouver un accord de sortie moins catégorique et plus intelligent. Mais cela aurait demandé une petite recherche supplémentaire et une plus grande transparence sur la situation réelle des travailleurs du privé face aux jours de carence.

Le premier argument de la ministre est de dire que ce jour de carence est injuste «  car il privait de toute rémunération dès le premier jour d'arrêt maladie 100% des agents publics alors que deux tiers des salariés du privé bénéficient d'une prise en charge des jours de carence grâce à leur convention de branche ou d'entreprise. » Les deux tiers, c'est-à-dire 66% des salariés du privé bénéficieraient donc selon la ministre d'une indemnisation à 100% des trois jours de carence. De son côté la Cour des comptes est plus mesurée et évoque entre 55% et 80% des salariés qui bénéficieraient de garanties complémentaires de nature souvent diverse : « couverture du délai de carence, maintien du salaire total ou partiel et de durée variable ». Personne ne peut dire comme, cela a été souvent fait, que 70 à 80% des salariés du privé ont tous leurs jours de carence payés à 100% du salaire.

Pour aller plus loin dans l'analyse, la Fondation iFRAP a étudié le délai de carence maladie dans 44 conventions collectives. Résultat : seulement 49% des conventions collectives du privé prennent en charge les 3 jours de carence et encore pas toujours à 100%. Cette indemnisation dépend aussi de l'ancienneté dans l'entreprise. Par ailleurs, si de nombreuses conventions ne prennent pas en charge à 100%, mais parfois à 80%, les trois jours de carence du privé, certaines conventions, pour limiter les arrêts de maladie courts et répétitifs (comme ceux dont se plaint la Fédération Hospitalière de France) ont choisi de limiter le nombre total de jours de carence payés dans l'année.

Ainsi, la convention de branche des banques signée en 2000 prévoit une indemnisation complémentaire du salarié par l'entreprise pendant les 3 jours de carence lors des premier et deuxième arrêts. Au-delà, les 3 jours de carence ne sont plus indemnisés. On est donc loin d'avoir les trois premiers jours de carence payés de façon répétée à 100% comme dans la fonction publique.

Par ailleurs, faut-il rappeler que, pour les non-salariés, (entrepreneurs, ou professions libérales), les jours non travaillés ne sont compensés par aucun revenu ? Rappelons que, selon l'observatoire des inégalités, la France compte 25,8 millions d'emplois, dont 3 millions d'indépendants (11,6%) et 22,8 millions de salariés (88,4%) dont 12,3 % des emplois sont précaires…

Le second argument de la ministre Marylise Lebranchu est de dire que ce jour de carence était « Inutile car l'absentéisme dans la fonction publique n'est pas plus important que dans le secteur privé. »

Selon la ministère, la preuve en serait donnée par « une étude de la DARES, sur une période antérieure à la mise en place de la journée de carence et publiée il y a quelques jours, en atteste, avec 3,9% d'absents pour raison de santé chez les fonctionnaires titulaires contre 3,7% chez les salariés en CDI. »

La Fondation iFRAP s'est procuré cette étude dans laquelle figure le graphique suivant :

Sur ce graphique, on voit très précisément, contrairement à ce que dit la ministre, que les titulaires de la fonction publique (mis à part les cadres) sont nettement plus absents que les salariés en CDI ou en CDD et intérim. Cet écart de 0,2 points entre public et privé que le ministère balaie de la main représente l'équivalent de 9.000 agents publics absents en plus chaque jour par rapport au privé. C'est loin d'être négligeable.

C'est d'ailleurs ce que confirme la Fédération Hospitalière de France dans un courrier à la ministre sur le jour de carence qui explique que ce dispositif a « amélioré la prise en charge des patients » et que le « plus important pour les professionnels sont les effets induits par cette mesure en termes de gestion d'équipes souvent handicapées par des arrêts maladie de courte durée parfois récurrents ». Et la FHF de conclure en appelant au « sens des responsabilités » de la ministre « pour surseoir à une éventuelle décision qui ne serait pas favorable à l'intérêt des patients ».

Tout est dit dans ces lignes. L'autre argument de la ministre est que ce jour de carence serait « Inefficace » car « les effets de la journée de carence sur l'absentéisme » n'auraient pas été démontrés. Pourtant, ils ont été démontrés dans les hôpitaux. La FHF a étudié le cas de 17 hôpitaux, soit 22% de la Fonction publique hospitalière. Sur ces 17 hôpitaux, l'impact en année pleine du jour de carence représente selon la FHF 0,17% de la masse salariale. Si on extrapole ce chiffre à la Fonction publique d'État par exemple, ce seraient environ 300 millions d'euros qui pourraient être économisés en année pleine grâce au jour de carence.

Le renforcement du contrôle des arrêts maladie abusifs«  à un niveau équivalent à celui du privé », annoncé par la ministre, est totalement illusoire et ne sera vraisemblablement pas suivi d'effet. La question de la légitimité des arrêts maladie des agents est loin d'être tranchée comme en témoigne la ministre elle-même quand elle déclare : "l'obligation de transmission sous quarante-huit heures des certificats médicaux ouvrant droit aux congés maladie sera aussi strictement contrôlée et renforcée" et qu'"'une disposition législative sera proposée afin que tout arrêt injustifié entraîne une retenue sur salaire".

La suppression du jour de carence est un retour en arrière et un mauvais signal. Il aurait mieux valu, dans un souci d'équité, adopter les 3 jours de carence du privé en les payant à 80% comme dans de nombreuses conventions collectives et en intégrant un maximum de jours de carence payés à 80% par an, par exemple à 6. Les agents « présentéistes » dont parle la FHF dans sa lettre à la ministre vont de nouveau souffrir de la désorganisation des services, notamment à l'hôpital, et les patients aussi. Dommage que le gouvernement n'ait pas tenu bon face à cette revendication et n'ait pas été capable de négocier une porte de sortie plus judicieuse.

Notre proposition : 3 jours de carence dans le public, indemnisés à 80% dans la limite de 6 jours par an.