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Eau : le débat de la gestion publique ou privée

Le Forum mondial de l'eau se tient à Marseille ainsi que le Forum alternatif mondial de l'eau. Ce forum est l'occasion de revenir sur le débat public – privé sur la gestion de l'eau. Le privé est-il (vraiment) plus cher que le public pour la gestion de l'eau et pourquoi ? A cette question, la réponse de la Fondation iFRAP est formelle, il est nécessaire de faire la transparence la plus totale sur le prix de l'eau, sur l'attribution des contrats, de renégocier régulièrement ces contrats, de les ouvrir à la concurrence et de comparer ce qui est comparable, soit de faire payer à terme aux régies municipales les mêmes charges et impôts qu'aux opérateurs privés. Quand toutes ces étapes auront été franchies, on sortira enfin d'un débat un peu stérile qui ne permet pas de construire un marché de l'eau au-dessus de tout soupçon en France.

D'abord quelques chiffres :
- Le mètre cube d'eau coûte en moyenne 3,62 euros
- La facture mensuelle moyenne par habitant est de 36 euros, à raison de 150 L par jour et par personne, soit 120 m3 par an pour un foyer moyen

- En 2008, la facture totale s'établissait à plus de 12 milliards d'euros (usagers domestiques + gros consommateurs [1])
- Ce service, géré par les collectivités territoriales, est confié à 71% à des opérateurs privés (pour 80% des contrats, ce sont Véolia et Suez qui détiennent les contrats) sous contrat de délégation de service public et pour le reste à des régies municipales.
- On recense 900.000 kilomètres de canalisations en France

Trouver des informations sur le prix du service de l'eau et comprendre sa facture d'eau relève du parcours du combattant, alors que la loi prévoit que chaque citoyen puisse accéder aux informations essentielles : prix, qualité, performance du service....

L'ONEMA (Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques) a lancé en 2008 l'Observatoire de l'eau pour réaliser une base de données des services de l'eau en France accessible à tous. Aujourd'hui, seules 5% des collectivités l'ont renseignée malgré leur obligation légale. La Fondation France Libertés (Fondation créée en 1986 par Danielle Mitterrand) et 60 millions de consommateurs ont lancé en mars 2011 une Grande Enquête collaborative pour établir une cartographie complète du prix du service de l'eau en France : combien coûte l'eau, commune par commune, quels services se cachent derrière ce prix, qui gère l'eau... etc. Les résultats de cette enquête ont été publiés le 14 mars sur la plateforme du site prixdeleau.fr.

Gestion privée ou publique

Depuis quelques années, le débat fait rage sur la question suivante : les régies municipales fournissent-elles l'eau pour moins cher que les entreprises privées de gestion de l'eau ? Les opérateurs privés reconnaissent un prix du mètre cube d'eau entre 12 et 15% plus cher. Mais l'explication de cet écart de coût n'est pas forcément simple à donner.

Depuis le 1er janvier 2010 par exemple, la mairie de Paris a fait le choix de troquer les trois opérateurs privés (Société d'Économie Mixte pour la production et les filiales de Veolia et Suez pour la distribution) contre un opérateur public unique, la régie Eau de Paris, qui rassemble la totalité des métiers et des fonctions opérationnelles, de la production à la facturation. Si, en facial, le prix du mètre cube d'eau est beaucoup moins cher à Paris (2,90 euros par régie) qu'à Issy-les-Moulineaux (4 euros par délégataire privé), cet écart de coût peut être expliqué par plusieurs facteurs : facilité d'accès aux points d'approvisionnement en eau, qualité de cette eau, population desservie, configuration de la ville…

Par ailleurs, les régies municipales sont en partie exonérées d'impôts (Impôt sur les Sociétés, ancienne taxe professionnelle, taxes locales…) et certains coûts non compris dans le prix de vente de l'eau (personnels par exemple) peuvent être rebasculés sur le consommateur via sa feuille d'impôts locaux de citoyen. La mairie de Paris affiche aujourd'hui comme un succès le fait d'avoir fait baisser le prix du mètre cube d'eau mais, en parallèle de cette baisse, les Parisiens ont pu constater une très réelle et beaucoup plus importante augmentation de leurs impôts locaux (en 2009, une hausse en moyenne de 11,7% (395 euros en moyenne) pour la taxe d'habitation et de 47% (552 euros en moyenne) pour la taxe foncière). Pendant ce temps-là, Issy-les-Moulineaux n'augmentait pas ses impôts et se classait à la 7ème place des villes de France en termes de modération fiscale.

Pas de transparence sans comparaison

La question la plus importante à notre sens est celle de la transparence, à la fois des appels d'offres et des contrats, et le suivi de ces contrats régulièrement. Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes a fait état de l'illisibilité du financement du coût de l'eau et de l'opacité qui y règne en général : les collectivités ignorent le degré de satisfaction des usagers, la performance des entreprises délégataires et la marge que celles-ci font payer aux usagers…

Il existe pourtant une loi [2] obligeant le délégataire à produire un rapport annuel détaillé de ses comptes. Mais on trouve encore des contrats de délégation s'étalant sur 25 à 30 ans dans certaines collectivités (le contrat de la ville de Nice aurait 148 ans !), d'où un manque de suivi des comptes. En 2010, la Cour des comptes a auditionné une collectivité ayant renouvelé deux contrats, d'eau et d'assainissement, attribués pendant près de quarante ans au même délégataire ce qui lui a permis d'obtenir une baisse d'environ 25% de sa rémunération et une amélioration du service rendu. Si les villes ne contrôlent pas leurs délégataires, il est évident que cela conduit à des abus.

Les collectivités sont normalement tenues d'étudier et de comparer les coûts d'une exploitation en régie avec ceux d'une exploitation en gestion déléguée (en application du code général des collectivités territoriales). Mais le changement de mode de gestion reste exceptionnel : entre 1998 et 2006, 4% seulement des procédures de renouvellement des contrats ont débouché sur un changement de mode de gestion, selon une étude ENGREF (École nationale du génie rural, des eaux et des forêts)- TNS-Sofres. Et la décision de passer en régie est souvent prise a priori, avant tout pour des raisons de principes.

Une jurisprudence du Conseil d'État [3] va, quoi qu'il en soit, assainir la situation de la gestion de l'eau en imposant qu'une part importante des contrats de gestion de l'eau de plus de 20 ans en 2015 soient soumis à appels d'offres et renégociés. Cela est très sain car, pour payer le bon prix, il faut introduire dans les contrats, contrairement à ce qui est le cas dans la plupart d'entre eux, des clauses de « revoyure » afin que les mairies obtiennent le plus de transparence possible de leurs gestionnaires de l'eau.

Renégocier le contrat de délégation ou de régie, mettre en concurrence plusieurs entreprises (y compris au-delà des deux « majors »), envisager un changement de mode d'exploitation ne sont que des réflexes de bon sens, encore faut-il les inscrire dans le mode de fonctionnement des collectivités.

La gestion de l'eau en régie publique

Le déclin des régies s'explique par le renforcement des normes de qualité de l'eau qui nécessitent le recours à des techniques de plus en plus complexes et difficiles à maîtriser par les communes. En outre les élus sont réticents à prendre en charge la responsabilité directe des fortes hausses du prix de l'eau. Aujourd'hui, la régie est surtout choisie par les petites collectivités rurales. 7.000 régies concernent de petites communes, il existe tout de même des régies très importantes comme à Strasbourg, Nancy, Reims, Amiens, Nantes, Tours et Paris. A la fin des années 1990, 20% seulement des volumes d'eau sont distribués par des régies. Les collectivités locales (la commune ou un syndicat intercommunal auquel elle adhère) peuvent assurer directement en régie la tâche de la gestion de leurs services des eaux. On parle alors de gestion directe en régie. Les communes ont la responsabilité complète des investissements, du fonctionnement des services des eaux, des relations avec les usagers, par exemple de l'émission des factures d'eau et de leur recouvrement. Les employés de la régie sont des agents municipaux ayant un statut public. Les communes peuvent aussi opter pour une gestion mixte. Elles décident d'exploiter elles-mêmes en régie les ouvrages de production d'eau potable et délèguent la distribution à des sociétés privées.

[1] Données publiées en mars 2010 par le BIPE, en collaboration avec la fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E)

[2] Du 8 février 1995, précisée par le décret du 14 mars 2005

[3] La décision « Commune d'Olivet » du Conseil d'État recouvre les contrats de plus de 20 ans antérieurs à la loi Barnier du 2 février 1995 et dont le terme contractuel est postérieur à février 2015. Les juristes spécialisés s'accordent pour considérer que, dans une très large proportion, ces contrats pourront être exécutés au-delà de l'échéance de février 2015.