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Des privilèges des agents de l'Assemblée nationale sur la sellette

Peu de Français le savent mais les agents de l’Assemblée nationale disposent d’un privilège exorbitant du droit commun, celui de bénéficier d’une avance sur salaire remboursable sur 15 ans de 90.000 euros pour se loger. Le tout non imposable contrairement à ce qui se pratique dans le privé, où les avances sur salaire sont limitées à 10%  du salaire net exigible et sont imposables à l'impôt sur le revenu au titre du mois de son versement.

D’autres privilèges survivent également au Palais Bourbon, comme le "prêt de trésorerie à 3% d’intérêt" ou une allocation de frais funéraires touchée par la famille en cas de décès de l’agent et proportionnelle à ses revenus. Autant de « droits acquis » qu’un comité technique du 10 janvier 2022 veut remettre en cause, suscitant l’ire des organisations syndicales des agents de l’Assemblée nationale.

Assemblée nationale : suppression de prêts bonifiés contre avance remboursable

Dans une note syndicale interne de l’Assemblée nationale (voir document ci-joint) les organisations syndicales « maisons » évoquent la situation ainsi : « L’avance remboursable est le fruit de longues négociations et a, depuis le départ vocation à être pérenne. Elle a été instituée en 2009, à la suite de la suppression des prêts au logement accordés aux députés et aux fonctionnaires[1], afin de garantir un dispositif d’aide au logement pour les fonctionnaires, à raison de leurs obligations de service. Il s’agit d’une avance de 90.000 euros, remboursable sur quinze ans, à laquelle peuvent prétendre les fonctionnaires dans les trois ans suivant leur entrée dans les cadres. »

Or il semblerait que le bureau actuel de l’Assemblée nationale et en fin de XVème législature, cherche à faire la peau à cet avantage avant de partir. Une façon comme une autre de passer outre la résistance des agents sur place, qui n’auront pas le même pouvoir de nuisance en fin de mandature qu’en début… ce qui pourrait passer le Bureau de l’Assemblée nationale et les Questeurs en situation de force… ce qui est généralement fort rare à cause des risques de paralysie de l’action législative[2].

Petit retour en arrière : ainsi que l’évoque un article du Parisien[3], en 2007 dans le cadre du déploiement de la RGPP par Nicolas Sarkozy, les deux assemblées « Sénat et Assemblée nationale, sont priées de participer à l’effort collectif. Sénateurs et députés voient alors certains de leurs avantages réduits, notamment les très intéressants prêts immobiliers bonifiés dont ils bénéficiaient jusqu’alors pour acheter un logement à Paris ou une permanence électorale en province. »

Les Sénateurs et les fonctionnaires du Palais du Luxembourg s’inclinent. Comptablement, ainsi que le rapporte la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne pour l’exercice 2009[4], les encours résiduels à date s’élevaient à 90,2 millions d’euros et « sortent » de la circulation en étant transférés aux caisses de retraites.

Au contraire, à l’Assemblée nationale, les fonctionnaires arrachent aux députés après une négociation de haute lutte la transformation de leurs prêts bonifiés[5] en avances remboursables sur salaire et sans intérêt. Cette avance étant financée directement sur la trésorerie de l’Assemblée nationale.

Et c’est cet avantage qui pourrait tomber dans les prochaines semaines…

Un avantage en nature exorbitant par rapport au secteur privé

Ce qui est particulièrement curieux c’est l’argument implicite de la « nécessité de service » : « il convient de souligner que les fonctionnaires ne sont pas responsables des coûts exorbitants de l’immobilier à Paris et qu’ils doivent faire face en permanence à des obligations de service exigeantes, bien souvent imprévisibles… » Certes, mais les cadres supérieurs d’entreprises ou des consultants peuvent eux aussi être soumis à ces contraintes imprévisibles qu’ils doivent gérer par leurs propres moyens.

D’ailleurs il n’aura pas échappé aux observateurs avertis que la suppression progressive sur le plan fiscal des avantages en nature accordés aux salariés des sociétés qui dataient de la fin des années 1990 et du début des années 2000 (appartements de fonction, voitures de fonction) ainsi que sur le plan de l’assujettissement aux contributions sociales (en vertu des arrêts des 10 et 20 décembre 2002[6])… les privilèges historiques des grandes entreprises publiques Air France, SNCF, EDF, GDF n’échappant que de justesse à l’emprise des URSSAF en la matière.

Pour trouver des privilèges similaires il faut regarder du côté des employés du secteur bancaire lui-même, où ces derniers disposent de prêts bonifiés immobiliers également ainsi que d’autres privilèges (comme la possibilité de récupérer la TVA sur certains achats de consommation, etc.) L’Assemblée nationale constitue donc « le meilleur » des deux mondes (privé et public).

Mais les syndicats des fonctionnaires de l’assemblée nationale sont aujourd’hui d’autant plus vent debout que les députés n’ont pas tardé à s’accorder à nouveaux des facilités résidentielles spécifiques dont ils ne bénéficient pas eux-mêmes.

L’échelle de perroquet des avantages entre députés et fonctionnaires de l’Assemblée nationale

En effet alors que les fonctionnaires devaient à compter de 2009 bénéficier uniquement d’avances remboursables (les prêts déjà consentis continuant à être honorés), les députés qui ne bénéficiaient plus de ces prêts bonifiés, vont émarger directement au budget de l’Assemblée nationale via des nuitées d’hôtel imputées sur l’avance des frais de mandat des députés et pris en charge entre-temps par le bureau de l’Assemblée.

A compter d’un arrêté du bureau de l’Assemblée nationale de janvier 2017, une dotation d’hébergement des députés est mise en place (900 euros) qui s’ajoute au montant de l’AFM (allocation de frais de mandat) de 5.373 euros dont bénéficient les députés. Au 31 décembre 2018, il existait 96 bénéficiaires de cette enveloppe additionnelle[7]. Mais comme le révèle la note syndicale interne, « En outre, l’augmentation des prix dans la capitale a conduit le collège des Questeurs à solliciter auprès du Bureau, moins de deux ans après sa création, une augmentation de 30%, portant la dotation d’hébergement à 1.200 euros par mois, pour, indiquait le rapport des Questeurs au Bureau, « tenir compte du niveau élevé des loyers parisiens. » »

Habitués à jouir de privilèges similaires à ceux des députés auxquels ils sont théoriquement subordonnés, les agents de l’Assemblée nationale trouvent « incompréhensible de supprimer ce qui existe pour les fonctionnaires depuis 2009, alors même que le Bureau a été convaincu, depuis 2017, de la nécessité d’aider financièrement les députés à se loger à Paris. »

L’allusion ne manque pas de saveur sachant par ailleurs que les fonctionnaires parlementaires sont parmi les fonctionnaires les mieux payés, tout versant de la fonction publique et opérateurs confondus. Dans son rapport sur l’exercice 2020, la commission de contrôle et d’apurement des comptes de l’Assemblée nationale faisait état d’une rémunération brute annuelle non chargée de 7.743 €/mensuels pour les agents du Palais Bourbon dont 8.523 €/mensuels en moyenne[8] pour les fonctionnaires et 4.526 €/mensuels en moyenne pour les contractuels, très au-dessus des rémunérations pratiquées dans l’ensemble de la fonction publique puisque la rémunération moyenne dans la fonction publique s’établissait en 2019 à 2.935 euros bruts/mensuels non chargé, à 3.423 euros bruts/mois dans la FPE, 2.548 euros bruts par mois dans la FPT et 2.669 dans la FPH[9].

En réalité pour parvenir à des rémunérations moyennes comparables, il faut atteindre les 1% de la fonction publique les mieux payés : chefs de services, directeurs d’administrations centrales, préfets, ambassadeurs, etc. (soit en 2019[10] : 8.170 € nets/mois dans l’ensemble de la fonction publique )… alors qu’à l’Assemblée nationale, il s’agit de la « moyenne » des agents… tous statuts confondus…

D’autres avantages dans le viseur

Mais les députés ne veulent pas s’arrêter en si bon chemin et envisagent également la mise en extinction de deux autres avantages acquis par les fonctionnaires de l’Assemblée :

  • La suppression du prêt à 3% de trésorerie qui existe depuis 1988 et dont bénéficient au premier chef les contractuels. Ce prêt est remboursé par prélèvements mensuels sur les salaires et existe afin de faciliter la trésorerie des agents et fonctionnaires qui « y ont recours régulièrement au cours de leur carrière », et qui constituent un complément à l’installation pour les jeunes fonctionnaires. En clair, l’Assemblée nationale a son propre dispositif d’action sociale dérogatoire…  ce à quoi les Questeurs chercheraient à mettre fin.
  • Une diminution des allocations versées en cas de décès d’un fonctionnaire à sa famille (allocation de frais funéraires), proportionnelle jusqu’à aujourd’hui au traitement d’inactivité ou d’activité du fonctionnaire concerné (retraité ou actif). Elle serait remplacée par une allocation forfaitaire de 2.350 euros[11]… ce que les syndicats appellent un coût de « demi-crémation » en région parisienne. Le public en jugera.

Assemblée nationale

Sénat

2009, transformation des prêts bonifiés (à taux préférentiels) accordés aux agents en avances sur salaire de 90.000 euros remboursable sur 15 ans.

2009, suppression pure et simple des prêts bonifiés et mise en extinction des encours.

Existence depuis 1988 de prêts trésorerie à 3% remboursés par prélèvements mensuels sur les salaires (facilités de trésorerie).

Absence de cette pratique au bénéfice des agents du Sénat.

Existence d’une allocation de frais funéraires en cas de décès de l’agent, au bénéfice de sa famille, afin d’alléger le coût des obsèques.

La pratique a été modifiée comme pour les Sénateurs à compter de 2018.

Conclusion

Les députés de la XVème législature doivent avoir le courage d’aller au bout de leur logique et de casser l’échelle de perroquet qui incite les fonctionnaires qui les servent à demander les mêmes avantages qu’eux, alors que leurs rémunérations leur permettent largement de se loger à Paris sans nécessairement devenir propriétaires. Il en va d’un devoir d’exemplarité que le Sénat quant à lui, a su mettre en place. Encore une fois la Haute Chambre montre la voie à la Chambre Basse… elle devrait s’en souvenir et boucler son exercice sur une note de vertu et d’exemplarité.


[1] Il s’agissait de prêts bonifiés dit « 2% », mais malgré leur suppression les agents bénéficient de conditions bancaires préférentielles notamment avec la Banque Bred, via une convention signée avec elle en 2009. Les « bonifications » de prêts n’ont pas disparu à l’instar de ce qui se pratique pour les employés du secteur bancaire lui-même.

[2] On s’étonnera d’ailleurs que le droit de grève puisse s’exercer au sein même des enceintes du Parlement ou de l’Exécutif au sens restreint (Présidence de la République, Hôtel Matignon, SGG, SGE etc…)… qui devraient bénéficier des mêmes contraintes que celles qui sont imposées aux agents en charge de la Défense nationale et aux services de renseignement.

[3] https://www.leparisien.fr/archives/l-assemblee-garde-ses-prets-en-or-02-02-2013-2533223.php

[4] http://www.senat.fr/rap/r09-454/r09-4541.pdf#page=23 « les encours de prêts consentis aux Sénateurs et au personnel ont été transférés du budget du Sénat stricto sensu vers les Caisses de retraites, ce qui s’est traduit par une charge exceptionnelle d’un montant de 90,2 millions d’euros dans les comptes du Sénat d’une part, et par un produit exceptionnel pour les Caisses de retraites d’autre part, le tout étant neutre au niveau agrégé. »

[5] Bien que bonifiés, les prêts continuaient à porter intérêt. On ne trouve dans les comptes de l’Assemblée nationale en 2009 que le montant en recettes extrabudgétaire du compte d’exploitation de ces intérêts, soit 1,41 millions d’euros. Ancien questeur à l’Assemblée Nationale, Richard Maillé évoque des prêts à 2%, si bien que l’on peut calculer à rebours l’encours théorique à environ 70,5 millions d’euros (députés et agents confondus). Voir, rapport de la commission d’apurement des comptes de l’Assemblée nationale pour l’exercice 2009, p.19 https://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r2691.pdf#page=19, cependant viennent s’y greffer également la pratique des prêts de trésorerie ce qui rend l’exercice de comparaison difficile.

[6] https://www.lefigaro.fr/impots/2008/07/08/05003-20080708ARTFIG00206-avantages-en-nature-la-fin-des-privileges-.php

[7] https://www.capital.fr/economie-politique/la-dotation-dhebergement-des-deputes-cette-nouvelle-enveloppe-meconnue-offerte-a-nos-elus-1326400

[8] Rapport de Marie-Christine Dalloz, https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/344814/3383697/version/1/file/Rapport-definitif-2020.pdf#page=32, ainsi que https://www.capital.fr/economie-politique/limpressionnant-salaire-des-fonctionnaires-de-lassemblee-en-2020-1405301

[9] Voir DGAFP, l’Etat dans la fonction publique en 2021, p.191.

[10] Voir, DGAFP, l’Etat de la fonction publique en 2021, p.173, Rapport annuel sur l'état de la fonction publique - édition 2021 (fonction-publique.gouv.fr)

[11] Un niveau aligné sur celle des députés qui a été réformée en 2018. Elle est alors passée de 8.400 jusqu’à 18.255 euros à 2.350 euros forfaitaire. Voir, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/03/17/01016-20180317ARTFIG00065-les-contribuables-vont-continuer-a-payer-les-obseques-des-deputes-mais-un-peu-moins.php