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Soutien à l'agriculture : 9 à 15 milliards d'euros vraiment efficaces ?

Le vote, à l’unanimité par les députés, de la loi EGALIM-2 de soutien à l’agriculture a coïncidé avec la publication le 25 juin 2021, du rapport de l’OCDE sur l’évaluation des politiques agricoles mondiales. Pure coïncidence, mais choc frontal. L’OCDE interroge les 720 milliards de dollars consacrés annuellement à soutenir l’agriculture mondiale et estime qu'ils manquent souvent leurs trois objectifs, à savoir, l'amélioration de la sécurité alimentaire, la soutenabilité des moyens de subsistance et de l’environnement. Qu’en est-il en France et de ses 9 milliards € de soutien annuel à l’agriculture (15 milliards en prenant en compte les aides sociales) ?

Intitulé Soutien gouvernemental à l’agriculture : faible à l’innovation, fort aux distorsions, le rapport de l’OCDE frappe fort, en affirmant que la plupart des centaines de milliards de $ de subsides sont non seulement inefficaces pour améliorer la performance du système de production de la nourriture, mais qu’ils sont même nuisibles. Le rapport est exhaustif puisqu'il porte sur 54 pays qui ont consacré en moyenne annuelle 720 milliards de dollars de soutien au secteur agricole entre 2018 et 2020. Ce soutien a pris la forme de soutien sur les prix et s'est traduit par 272 milliards de dollars de surcoûts pour les consommateurs, 447 autres milliards étant à la charge des contribuables. Par ailleurs, les producteurs ont dû acquitter 104 milliards de dollars de contributions qui ont donc été soustraits de leurs revenus.

Seulement 6% des transferts budgétaires vont aux systèmes d’innovation agricoles, et 11% à la biosécurité et aux infrastructures agricoles, des leviers nécessaires pour assurer la croissance de la productivité, l’amélioration de la sécurité alimentaire et une utilisation durable des ressources. Et l’OCDE dénonce les mesures aux frontières des pays, et les soutiens financiers aux prix et aux productions qui créent des distorsions sur les marchés, sont inéquitables, et préjudiciables pour l’environnement et la sécurité alimentaire au niveau mondial. Enfin, pour boucler la boucle, l’OCDE souligne que « le soutien est inefficace pour ce qui est de transférer des revenus aux agriculteurs ». 

Les trois propositions de l’OCDE (extrait du rapport)

Trois réformes sont proposées dans ce rapport de l’OCDE pour que les politiques agricoles permettent de relever plus rapidement ce « triple défi » et soient plus propices à une croissance durable de la productivité et à un renforcement de la résilience :

  • Supprimer progressivement les interventions visant les prix et le soutien aux producteurs faussant les marchés ;
  • Orienter l’aide au revenu vers les ménages agricoles qui en ont le plus besoin et, lorsque c’est possible, l’intégrer à la protection sociale visant l’ensemble de l’économie ;
  • Réorienter la dépense publique vers des investissements dans les biens publics – en particulier les systèmes d’innovation.

Le cas de la France

L’étude de l’OCDE porte sur un large nombre de pays, il n’est pas évident que ses conclusions générales s’appliquent aussi à la France. Dans notre pays, une vague d’innovations est promue par des agriculteurs et des entreprises dynamiques : capteurs dans les champs et sur les animaux, salle de traite automatisée, machines agricoles guidées par GPS, micro dosage de l’arrosage, des engrais et des traitements, surveillance à distance des étables, optimisation du travail des sols, puissance, confort et perfectionnement des machines agricoles, progrès dans la sélection des plantes et des animaux, vente automatisée à la ferme… Un fait dont témoigne le nombre et la qualité des vidéos des youtubers agricolesPar exemple : Alex, David, Etienne, Valentin à la fois enthousiastes, pédagogues, entreprenants, et compétents. Leurs techniques sont variées (élevage, grande culture, maraîchage, classique, bio, haute valeur environnementale, mixtes…), mais tous, surprise, sont heureux d’exercer leur profession. Bien sûr, il est plus facile pour ceux qui réussissent de raconter leur histoire, que pour ceux confrontés à des problèmes insurmontables très réels, comme dans le film « Au nom de la terre »,  ou le livre : « Le jour où on a vendu nos vaches ».

C’est cet exemple d’agriculteurs innovants en France qu’il faut encourager. Mais les propositions de la nouvelle loi (EGALIM-2) vont exactement à l’opposé de celles de l’OCDE pourtant située à Paris, où la France est très active et où Muriel Pénicaud a pris ses fonctions en qualité d'Ambassadrice, représentante permanent de la France auprès de l'OCDE.

La proposition phare d’EGALIM-2 pour les agriculteurs

  • Augmenter les interventions publiques visant les prix et le soutien aux producteurs.

Politique agricole française : une terrible continuité

La politique agricole française fait preuve d’une remarquable continuité depuis 50 ans au moins, quel que soit le gouvernement, renforçant en permanence les interventions des administrations dans l’agriculture : plan européen, plan national, plan régional, plan départemental, succession de nouvelles lois (Egalim-1 n’a que 2,5 ans), contrôle des structures, contrôle des installations, contrôle du marché des propriétés agricoles (SAFER). Résultat, la part des subventions dans le revenu des agriculteurs français n’a cessé d’augmenter :

  • 77 % en 2006 ;
  • 89-95 % en 2013 ;
  • 112 % en 2016.

Si les résultats de cette pensée unique agricole étaient brillants, ou seulement moyens, ce serait tolérable, mais ils sont catastrophiques comme le montrent de très nombreux rapportsLes plus récents : en 4 minutes la vidéo d’Alexandre Millicourtois de XERFI, ou la tribune de Jean-Marie Séronie dans Les Echos. . La position de la France s’est considérablement dégradée au point d’avoir une balance commerciale négative avec les pays européens, et d’exporter moins que l’Allemagne ou les Pays-Bas.

Note de lecture : pour la part de subventions dans le revenu brut d'exploitation des exploitants agricoles, la France (12 %) se situe dans la moyenne européenne,  mais pour le revenu brut par exploitant, la France est la dernière des pays "du nord". Ex. : France 52 k€,  Danemark 62,9 k€, Belgique 65,2 k€, Pays-Bas 95,5 k€.

Tout en restant à l’intérieur des règles de la Politique agricole commune (PAC), nos voisins européens (ex. Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Pologne) mènent des politiques très différentes de la nôtre. La taille de leurs agricultures est plus « petite » que la nôtre, mais leurs succès devraient nous convaincre que persévérer dans nos erreurs constitue une impasse. Le plus urgent est de libérer l’agriculture des contraintes franco-françaises, de n’encourager les installations d’agriculteurs que dans des exploitations qui peuvent être vraiment rentables (pas juste survivre), et de permettre le développement des exploitations dirigées par des entrepreneurs dynamiques. On comprend que les syndicats agricoles souhaitent conserver le maximum de membres. Et il est vrai que chaque agriculteur installé peut contribuer à l’animation d’un territoire en perte de vitesse. Mais les premières victimes de ces stratégies françaises sont les exploitants en difficulté, confrontés à des revenus inférieurs au SMIC malgré des centaines de milliers de capitaux investis et 50 à 65 heures de travail par semaine. Et les secondes victimes sont les exploitants qui pourraient encore mieux réussir, mais dont le développement est maintenu sous un plafond de verre fixé par l’administration et les syndicats.       

Vrai problème, fausse solution

La situation de l’agriculture française n’est conforme ni à ses atouts ni aux besoins du pays. Et elle entraine l’industrie agro-alimentaire dans sa chute. Sur 400.000 exploitations agricoles, au moins 100.000 (en majorité classées petites dans le tableau ci-dessous) ne génèrent en moyenne qu'un bénéfice d’environ 1.000 euros par mois, subvention PAC inclue. Comme le recommande l’OCDE, leur soutien devrait être réalisé dans le cadre général des aides sociales françaises, pas à travers des aides PAC inutilement complexes pour eux-mêmes et pour l’administration. De nombreuses autres (150.000 ?) vivent souvent grâce à des exploitants qui travaillent deux fois trop et sacrifient leurs revenus, et parfois leurs capitaux et leurs familles. Au moins 150.000 autres ont des capacités remarquables (technicité, compétences d’entrepreneurs, financières) mais voient leur développement brimé par les règlementations françaises nostalgiques de l’agriculture de nos grands-parents. L’agriculture de précision, bio ou pas, le suivi des goûts des consommateurs, des nouvelles technologies et des réglementations sociales et sanitaires, la connaissance du marché national, voire mondial, exigent des compétences multiples diverses.

Avec la loi EGALIM-2, croyant bien faire, on se dirige vers la fixation administrative des prix agricoles. Un retour 30 ans en arrière sur un système qui n’a jamais bien fonctionné, ni dans le domaine agricole ni dans aucun autre, ni en France ni à l’étranger. Incapable de suivre avec suffisamment de précision les coûts de production, et la qualité des produits et des services, il est démotivant pour les plus dynamiques et conduit à la médiocrité, et à la surproduction ou à la pénurie. Après EGALIM-2, une nouvelle loi (loi Jean-Bernard Sempastous) sur la propriété agricole menace de renforcer le contrôle par le Préfet sur la taille maximum des exploitations. Elle serait particulièrement démotivante pour les agriculteurs « premiers de cordées », porteurs naturels des innovations.  

La solution aux problèmes de l’agriculture et des agriculteurs français ne réside pas dans plus de réglementations mais dans le renforcement des exploitations agricoles en leur permettant de se développer en France et à l’international tout en restant familiales. Comme le font des entrepreneurs dans d’autres secteurs de l’économie (restauration, boulangerie, laboratoires d’analyse, garages, salles de sport, coiffure...) Le secteur viticole peut servir de référence.