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SNCF : les 5 chiffres clés d'une impasse économique

Le système ferroviaire français est dans une impasse économique. Les sénateurs Hervé Maurey et Stéphane Sautarel dressent un constat accablant de la situation de la SNCF après la crise. Dans un rapport au nom de la commission des finances, le bilan peut se résumer ainsi : le modèle économique ferroviaire est à bout de souffle, basé sur une hausse continue des péages, qui malgré ça n’arrive pas à couvrir les investissements nécessaires à la modernisation du réseau. Il entraine une hausse des prix qui détourne les Français du train alors que la transition écologique devrait en faire un acteur de premier plan. Cette hausse des péages est la conséquence du manque de performance de SNCF Réseau mais aussi de SNCF Voyageurs qui dans le modèle actuel est le principal financeur des infrastructures ferroviaires. Le manque de compétitivité ne permet pas de dégager les fonds pour financer l’indispensable modernisation. Pire, notre pays est devenu un frein au développement ferroviaire européen. Les sénateurs tirent la sonnette d’alarme, la réforme de 2018 n’a pas tout résolu, loin de là : en particulier, ils recommandent d’achever l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure, une proposition que nous formulions dans notre étude d’avril 2018.

  • 17 milliards de concours publics perçus par la SNCF, en hausse de 25% depuis 2015

Les transferts de l’Etat son restés stables mais ceux des collectivités ont progressé de 45% depuis 2015. Plus précisément, les contributions publiques versées à SNCF Voyageurs ont augmenté entre 2015 et 2020 de plus de 30 % pour atteindre les 9 milliards d’euros en 2020.

Notons que l’État verse à SNCF Réseau des redevances d’accès à l’infrastructure au titre des services de trains d’équilibre du territoire (TET), les anciens intercités, dont il est l’autorité organisatrice, mais aussi au titre de l’activité TER (2,4 milliards). Ces redevances ont vocation à couvrir les coûts fixes du gestionnaire d’infrastructure. Quant aux trains de marchandises ne pouvant atteindre le seuil de rentabilité, l’État verse une contribution au gestionnaire d’infrastructure afin de compenser l’écart entre les redevances versées par les opérateurs et le coût directement imputable au fret ferroviaire.

Enfin, la subvention d’équilibre versée par l’État au régime spécial de retraite de la SNCF dépasse les 3 milliards d’euros annuels. Avec l’extinction du statut de cheminot au 1er janvier 2020, le déséquilibre démographique du régime s’accroît à mesure que le nombre de cotisants va progressivement se réduire.

Les contributions à SNCF Voyageurs sont composées à près de 80 % par les contributions à l’exploitation et représentent 7 milliards d’euros en 2020. Si on totalise l’investissement et l’exploitation, les contributions des régions et de IDFM à SNCF Voyageurs représentent 94% du total.

  • 50% du chiffre d’affaires est assuré par les filiales extérieures Keolis et Geodis qui représentent également 37% de la marge opérationnelle

Avant la crise, le chiffre d’affaires du groupe affichait une légère progression : + 12 % entre 2015 et 2019 pour un chiffre d’affaires en 2019 de 35,1 milliards d’euros. La hausse du chiffre d’affaires du groupe entre 2015 et 2019 a été particulièrement stimulée par les croissances de Keolis (+ 32 % et 1,6 milliard d’euros) et Geodis (+ 17 % et 1,2 milliard d’euros), deux filiales qui ne relèvent pas du coeur d’activité ferroviaire de la SNCF. Sans l’apport de ces deux filiales, le chiffre d’affaires du groupe n’aurait progressé que de moins de 5 % sur la période. Avec la crise sanitaire, le chiffre d’affaires de la SNCF s’était effondré de 15 %, soit plus de cinq milliards d’euros.

Dans le même temps, les charges d’exploitation du groupe SNCF ont atteint près de 30 milliards d’euros en 2019, en hausse de près de 10 % sur cinq ans et sont portées par des charges de personnel qui approchent les 15 milliards d’euros, dont 9 milliards sur le cœur de l’activité ferroviaire.

  • la dette de SNCF Réseau représente toujours 26 milliards d'euros, même après la reprise de 35 milliards de dette par l’État

La réforme de 2018 a prévu la reprise de 35 milliards d’euros de dette, dette dont l’Etat était très largement responsable, tiennent à souligner les sénateurs rappelant qu’elle était largement due aux décisions de construire de nouvelles LGV pour un coût qui n’a cessé de gonfler (passant de 4,8 millions d'euros par kilomètre pour la ligne Paris-Lyon à 26 millions d'euros par kilomètre pour la ligne Sud Europe Atlantique (Tours-Bordeaux), dont le coût total s’est élevé à 7,8 milliards d'euros).

La première étape, pour 25 milliards d’euros, a été réalisée au 1er janvier 2020, la seconde, pour 10 milliards d’euros s’est concrétisée le 1er janvier 2022. Cette reprise était devenue indispensable pour sauver SNCF Réseau, amené à se transformer en SA. Le rapport souligne que la Cour des comptes estime que cet effort constitue la contrepartie du sous-investissement historique et majeur de l’État dans le réseau ferroviaire.

Jusqu’en 2019, avant la première étape de sa reprise partielle, la dette de la SNCF atteignait la somme abyssale de 60 milliards d’euros, en progression de 20 % et de plus de 10 milliards d’euros depuis 2015.

Si le niveau de dette nette de la SNCF s’est rétracté en 2020 du fait de la première étape de la reprise de dette de SNCF Réseau par l’État, sa trajectoire reste orientée à la hausse s’inquiètent les sénateurs qui déplorent que la réforme de 2018 ait été insuffisante pour conjurer un nouvel emballement d’une dette qui continue toujours de se creuser. A cette dette de 26 milliards de SNCF Réseau, il faut ajouter 3,4 milliards de dette pour SNCF Voyageurs.

L’Etat a malgré cela annoncé la construction de 3 nouvelles LGV : le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO)2 pour un coût estimé à 14,3 milliards d’euros, la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) dont le coût couplet est estimé à plus de 6 milliards d’euros et la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur (LNPCA) pour un coût de 3,5 milliards d’euros, soit un total de près de 25 milliards d’euros. Et ce, alors que les sommes consacrées à l’entretien, à la régénération et à la modernisation du réseau sont notoirement insuffisantes (les sénateurs développent longuement le retard inexcusable pris par les deux projets de commande centralisée du réseau (CCR) et l’ERTMS European Rail Traffic Management System qui permettraient de moderniser la gestion du réseau tout en contribuant à de forts gains de productivité).

  • 60% de coût supplémentaire pour faire rouler un TER en France, comparé à l'Allemagne

Les coûts de roulage en France pour les services conventionnés sont significativement supérieurs aux standards européens. Comme le rappelle l’étude, plusieurs études ont documenté le déficit de compétitivité de la SNCF montrant que :

  • Les gains de productivité réalisés par la SNCF entre 1996 et 2013 avaient été respectivement 5 fois et 4 fois moins importants que ceux de ses homologues allemand et suisse (Alain Bonnafous et Yves Crozet) ;
  • L’écart de compétitivité avec les opérateurs internationaux était de 30 % (Spinetta).

Si l’on se penche sur des données plus récentes (IRG-Rail), le coût des services de transport ferroviaires conventionnés en France s’élève à plus de 22 centimes d’euros par passager kilomètre. Il est de loin le plus élevé en Europe, ce coût étant inférieur à 20 centimes en Allemagne, au Royaume-Uni et en Belgique et même inférieur à 15 centimes en Espagne ou en Italie. Et si l’on déduit les coûts liés aux péages, plus élevés en France qu’ailleurs, les coûts des services conventionnés restent supérieurs dans l’hexagone d’au moins 3 centimes d’euros par rapport aux autres pays observés.

D’après Régions de France, le coût de production unitaire par train kilomètre de l’activité TER de SNCF Voyageurs a augmenté de 80 % depuis 2002. A noter également, que le matériel roulant TER de SNCF Voyageurs roule nettement moins qu’ailleurs en Europe. Ainsi, en moyenne, en Allemagne les flottes de TER roulent 150 000 kilomètres par an pour les trains diesel et 200 000 kilomètres par an pour les trains électriques contre seulement 90 000 kilomètres et 120 000 kilomètres par an en France, alors que ce matériel roulant représente des investissements lourds à la charge des régions.

Alors que les coûts de production unitaire sont supérieurs, le prix des billets acquitté par les clients des services conventionnés y est globalement inférieur à la moyenne européenne (7,3 centimes par passagers kilomètre contre 9,4 centimes), et la France se distingue par le niveau des subventions publiques (qui dépassent les 16 centimes par passager kilomètre). Ainsi, en 2020, l’exploitation des services de transport ferroviaires conventionnés fait appel, en France, à un taux de concours public de 70 %, alors que la moyenne européenne est à 44 %. Entre 2006 et 2018 les contributions des régions aux TER ont augmenté de 92 % en France, elles ont baissé de 34 % en Allemagne.

  • la rigidité de l’organisation du travail représente un surcoût de 550 millions

Les sénateurs estiment à 200 millions le surcoût imputable à l’organisation du temps de travail et à 350 millions l’impact du manque de polyvalence.

Fin 2020, les effectifs de la SNCF se composaient de 271 509 collaborateurs dont environ 119 000 cheminots statutaires, au sein d’un effectif au cœur ferroviaire du groupe, de 136 000 collaborateurs.

Le surcoût du statut de cheminot va progressivement s’éroder du fait de sa mise en extinction prévue dans le cadre de la réforme. Le cœur ferroviaire du groupe compte déjà environ 25 000 contractuels dont 20 000 contrats à durée indéterminée (CDI), la SNCF ayant commencé à recourir depuis dix ans à ces recrutements. Ils devraient être 50 000 d’ici dix ans puis au moins 80 000 dans vingt ans.

Plus d’un collaborateur sur quatre travaille pour SNCF Réseau, d’où l’intérêt de se pencher sur les gains de productivité au sein de cette branche. Sur la partie SNCF Réseau, les sénateurs pointent que la productivité du gestionnaire d’infrastructures a stagné depuis 20 ans alors qu’elle a progressé pour ses homologues, notamment suisses et allemands.

Ainsi, la circulation d’un train en France requière-t-elle 3 fois plus d’agents et 1,7 fois plus de capitaux qu’en moyenne pour ses homologues européens. Les coûts d’entretien, de maintenance et de renouvellement du réseau sont en France supérieurs aux standards et en augmentation.

La Cour des comptes a estimé en 2018 que la maintenance d’un kilomètre de voie occupait 1,73 agent du gestionnaire d’infrastructure français contre 0,99 agent pour son homologue allemand. Dans ce même rapport, la Cour des comptes précise que les dépenses d’entretien et de renouvellement du réseau ont augmenté de 17 % entre 2013 et 2017.

Le rapport recommande également le recours à l’externalisation, principalement en ce qui concerne les chantiers d’infrastructures, ce qui représenterait un gisement d’efficience à ne pas négliger. Les interventions réalisées en propre par SNCF Réseau seraient 20 à 25 % plus chères que les standards des entreprises privées.

L’autre point sur lequel insistent les sénateurs ce sont les conséquences de l’accord collectif sur l’organisation du temps de travail de 2016 dont les règles sont particulièrement handicapantes pour la compétitivité de la SNCF. Selon la Cour des comptes, cet accord entraine une perte de productivité pour la SNCF, d’autant plus pénalisant qu’il est tout particulièrement prononcé s’agissant de l’activité TER. Or, dans les années à venir, c’est sur les services TER que la SNCF sera le plus exposée à la concurrence.

Le refus de trancher dans la gouvernance du groupe SNCF entache depuis l’origine le redressement du ferroviaire

La réforme de 2014 portait l’objectif d’un autofinancement de SNCF Réseau par la voie de gains de productivité, de péages ferroviaires élevés et le versement annuel d’une part des bénéfices dégagés par SNCF mobilités. La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire avait pour objectif d’améliorer la compétitivité de la SNCF dans un contexte d’ouverture du marché à la concurrence. Ce pacte confirmait une vision autofinancée du système ferroviaire avec un circuit de financement de SNCF Réseau grâce aux bénéfices générés par SNCF Voyageurs versés au fonds de concours et destiné à subventionner le gestionnaire d’infrastructure. Or ce que montre le rapport sénatorial clairement c’est que les gains de productivité attendus pour permettre le redressement et les bénéfices de SNCF Voyageurs n’ont pas été suffisants pour abonder les investissements de renouvellement et de modernisation du réseau. Ajoutés à l’insuffisance de productivité de SNCF Réseau, le système ferroviaire n’a pas réussi à sortir de la spirale de la dette. Et la situation s’est encore aggravée avec la crise.