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Quid de l’accord européen sur le prix de l’électricité ?

L’accord obtenu le 17 octobre 2023 entre les ministres européens de l’énergie sur la réforme du marché de l’électricité revêt des aspects positifs mais comporte encore des zones d’ombre qu’il convient de mentionner. L’Allemagne craignait que la France ne bénéficie d’un avantage concurrentiel excessif grâce à son équipement nucléaire et il ne semble pas que cette hostilité de principe soit révolue. Cette position dogmatique montre que le coût complet du MWh nucléaire est clairement inférieur à celui des EnRi si on leur attribue leur coût complet, externalités incluses. Cet accord rappelle aussi que chaque État-membre est libre du choix des technologies qu’il veut exploiter (ce que la Commission oublie régulièrement) et qu’il est légitimement redevable ou bénéficiaire des conséquences des choix faits. Or, devant l’échec de sa politique énergétique (Energiewende), l’Allemagne voulait que le coût élevé de son électricité pénalise l’ensemble de l’Europe !   

Cette tribune est signée par Jacques Percebois, Jean-Pierre Pervès, Michel Simon du collectif PNC-France.

Le progrès essentiel résulte de la possibilité d’utiliser les CfDs (Contract for Différence) pour les nouvelles capacités nucléaires, mais également pour les investissements d’amélioration de la rentabilité et d’extension de la durée d’exploitation du parc nucléaire existant. C’est une reconnaissance des performances du nucléaire vis-à-vis de la lutte contre le changement climatique, mais il faut rester prudent : le texte est d’une extrême complexité et le diable se cache dans les détails. 

Ce texte va être examiné, et très probablement amendé, par le Parlement européen. Les Allemands et leurs alliés, très unis dans la défense des intérêts de leurs pays, craignent un potentiel avantage compétitif pour la France, preuve de leurs erreurs stratégiques. La France doit se préparer à un combat assez rude lors de l’examen du compromis proposé, le texte oblitérant largement le mot « nucléaire » et se réfugiant devant le vocable flexibilité, terme imprécis qui évite de souligner les qualités des capacités pilotables. Or le nucléaire est le moyen de production pilotable décarboné par excellence et est seul à permettre un suivi saisonnier. C’est pourquoi le gouvernement français doit s’attacher à mobiliser l’essentiel de nos députés européens, alors que les représentants de la majorité gouvernementale avaient massivement voté contre l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne, sous l’impulsion de Pascal Canfin. 

Un point important n’est abordé dans le texte que par le biais d’une injonction faite à l’Europe, celle de se préoccuper dans l’urgence de l’équilibre des capacités européennes comme de celles de chaque État-membre. On ne peut que s’étonner d’une prise de conscience si tardive alors que le marché européen est dans le tourmente depuis deux ans, et que la crise était prévisible avec l’arrêt programmé de nombreuses centrales à charbon ou lignite. Les considérables investissements en capacités intermittentes ne pourront pallier cet effondrement et les solutions de flexibilité comme de stockage seront notoirement insuffisantes. 

Le marché spot continue à jouer un rôle mais il comporte des garde-fous.

Le marché de gros européen demeure la norme et le prix horaire du MWh électrique continue à être calé sur le coût de la centrale marginale (coût du MWh d’une centrale à gaz), qui est le plus élevé. Mais ce marché ne concerne qu’une partie des transactions portant sur l’électricité (20 à 40% selon les pays). Une grande partie de l’électricité est vendue « over the counter » via des transactions directes entre producteurs et fournisseurs ou entre producteurs et consommateurs. Le prix du marché de gros joue néanmoins un rôle important car c’est un indicateur de la tension entre l’offre et la demande d’électricité et, de plus, il sert souvent de référence dans les contrats d’approvisionnement (y compris pour le TRV, tarif réglementé de vente réservé aux petits consommateurs).

Pour limiter les inconvénients de la forte volatilité des prix observée sur les marchés de gros européens depuis 2021, il a été décidé de mettre des garde-fous en proposant deux mécanismes principaux : les CfDs et les PPA (Power Purchase Agreement). Ces deux mécanismes doivent permettre de recourir à des contrats à long terme et de stabiliser ainsi les prix pour le consommateur final.

Le CfD, qui peut prendre plusieurs formes (bilatéral, avec corridor ou asymétrique), est un contrat entre la puissance publique et un producteur d’électricité qui permet au producteur de récupérer le coût moyen de son électricité (CAPEX et OPEX).  Le CfD bilatéral, le plus probable, conduit à complément de rémunération positif en faveur du producteur si le prix du marché de gros est insuffisant pour couvrir ses dépenses, ou négatif (il rembourse à l’État) dans le cas contraire. Les écarts par rapport aux prix de gros, positifs ou négatifs, sont de la responsabilité et gérés par l’État-membre concerné. Le résultat annuel de ces CfD, s’il est globalement positif, permet à l’État d’agir sur le prix de l’électricité en faveur des ménages les plus démunis et, dans certaines limites, des entreprises.  La France et ses alliés de l’Alliance pour le nucléaire ont obtenu que le mécanisme du CfD soit applicable au nucléaire historique comme au nouveau nucléaire, ce que contestait l’Allemagne qui craignait que le nucléaire historique bénéficie de subventions en cas de prix de gros européens faibles ou que nos industriels bénéficient d’un bas prix de l’électricité dans le cas inverse. 

Le PPA est un contrat de droit privé passé entre un vendeur et un consommateur d’électricité, pour une durée donnée et un prix négocié d’un commun accord. Il peut être ou non indexé sur l’inflation, sur le prix du marché de gros ou sur tout autre indice. La transaction se fait au préalable, hors du marché de gros (spot) qui se trouve de ce fait réduit. 

A contrario, l’Allemagne a obtenu le maintien de l’ordre du mérite actuel (avantage donné au coût marginal le moins élevé), favorisant ainsi des capacités renouvelables intermittentes qui n’ont aucune obligation d’équilibre du réseau, un prix de gros aligné sur celui de centrale dont le coût marginal est le plus élevé, et un soutien des investissements couteux de compensation de l’intermittence de l’éolien et du solaire. 

Le CfD facultatif est en compétition avec le PPA

Le CfD est présenté comme obligatoire pour les nouveaux investissements pour bénéficier des mécanismes mis en place par l’Europe et il peut ,a priori, s’appliquer à la totalité du parc futur. Comme le nucléaire représente normalement environ 70% de la production d’électricité en France, le consommateur français pourrait bénéficier d’un prix de l’électricité moins sensible aux fluctuations des prix de gros européens. Avec le nouveau système le prix du Tarif Réglementé de Vente (TRV) devrait refléter davantage la structure du coût du parc électrique français, seule une part limitée de l’électricité vendue étant issue d’un marché de gros plus volatil. Mais deux facteurs doivent être pris en compte :

  1. Il n’est pas certain que les pouvoirs publics choisissent d’appliquer ce mécanisme de CfD à tout le nucléaire existant, en particulier parce que le producteur EDF peut avoir intérêt à vendre une partie de son nucléaire sur le marché de gros ou dans le cadre de contrats de type PPA dans lesquels il négociera le prix avec ses acheteurs (pour le nucléaire futur, il ne pourra bénéficier d’aides européennes qu’en adoptant le CfD qui est obligatoire dans ce cas).

  2. L’augmentation du volume prévisible d’électricité vendue à un prix régulé avec le CfD sera compensée (partiellement au moins) par l’augmentation du prix de référence de ce nucléaire à un niveau négocié entre EDF et le gouvernement puis avec la Commission européenne. 

Au niveau français la difficulté résulte d’un écart important d’appréciation du coût du nucléaire historique : la Commission de Régulation de l’Électricité (CRE), est-ce son rôle ?, a estimé ce coût à 60,7 euros le MWh (hypothèse irréaliste d’une vente de la totalité de la production nucléaire à ce prix), bien au-dessus du prix retenu aujourd’hui par l’ARENH (42 euros), et largement en-deçà du coût estimé par EDF (74,8 euros/MWh). L’État et son bras armé, la CRE, ont imposé depuis 12 ans, aux dépens d’EDF, un prix de vente d’une part importante de la production nucléaire à un prix notablement inférieur au coût complet du nucléaire existant, et refuse de plus de prendre en compte une marge pour financement des investissements futurs, ce qui est contraire à toute logique industrielle

Des incertitudes subsistent

  • Le mécanisme du CfD s’appliquera-t-il à la totalité du nucléaire historique ou à une partie seulement ? Le producteur peut préférer vendre une partie de son nucléaire au prix de gros ou dans le cadre d’un PPA. 

  • Le CfD retenu sera probablement le bilatéral mais certains pensent qu’un CfD asymétrique, avec seulement un prix plafond serait possible. EDF vendrait son nucléaire au prix du marché mais ce prix de vente ne pourrait pas excéder le prix plafond (on parle alors de 120 euros/MWh). Le risque de voir le prix de gros inférieur au coût du nucléaire historique semble à beaucoup moins probable que celui d’une envolée des prix de gros.

  • Quel sera le prix de référence qui sera retenu pour le CfD. Sera-t-il proche du coût estimé par la CRE ou de celui calculé par EDF, industriel responsable de son bilan ? inclura-t-il une marge permettant d’auto-financer, en toute logique, le nucléaire futur ? Quelles seront les limites imposée par la Commission européenne, en particulier en cas de forte hausse des prix de gros ?  L’Allemagne antinucléaire déclarée, est surtout contre le nucléaire vendu en dessous du prix du marché, donc contre le nucléaire compétitif !

  • Quel usage sera fait du complément de rémunération négatif versé par EDF à l’État si le prix de gros est supérieur au coût du nucléaire retenu par le CfD. Quelle répartition entre les consommateurs finaux et des investissements visant à réduire le prix de l’électricité ? La Commission européenne aura-t-elle un droit de regard sur cette affectation ? 

Quant au rôle des fournisseurs alternatifs, que sera-t-il alors que leur existence même est fort critiquée car ils n’ont pas investi dans la production, n’ont aucune responsabilité sur l’équilibre du réseau et prélèvent une marge qui pèse sur les prix. 

Conclusion                                                                      

L’accord du 17 octobre doit encore être validé par le Parlement européen et il faudra être attentif aux votes des eurodéputés français. A plusieurs reprises, on a vu les eurodéputés de la majorité voter par pur dogmatisme contre les intérêts de la France et refuser l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne, ce qui conduit à ce compromis difficile. 

L’accord constitue un progrès qu’il faut saluer, en restant vigilant sur l’application qui en sera faite. Pourquoi le mot « nucléaire » reste-t-il honteux, il n’est cité qu’une seule fois dans le texte de l’accord ? De même, le terme de puissance pilotable, pourtant essentiel, n’intervient nulle part. Il est seulement question de flexibilités.

L’accord présente l’avantage potentiel pour le consommateur français de rapprocher le prix du MWh du coût du parc électrique français, a un niveau qui reste à préciser, et de lui garantir une relative stabilité des prix sur le moyen et long terme. Mais il ne faut pas s’attendre à une chute du prix car d’autres postes de la chaîne électrique vont coûter de plus en plus cher avec la croissance forcée des installations intermittentes, éolien et solaire, et leurs productions aléatoires: les réseaux, les flexibilités, le capacités de réserve, les stockages, la gestion de réseaux complexes. Il va aussi falloir anticiper les coûts du nouveau nucléaire, investir dans les bornes de recharge, développer un réseau de distribution d’hydrogène, … . La décarbonation du bouquet énergétique passe nécessairement par une électrification croissante des usages et cela sera coûteux pour le consommateur, qu’il soit domestique ou professionnel.