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Quelle transition énergétique en France et en Europe ?

Au moment où s'ouvrent des débats publics sur la transition énergétique en France avec la conférence environnementale initiée par le gouvernement, il n'est pas inutile de jeter un regard sur la situation de nos voisins, leurs orientations et les problèmes que soulèvent la montée en charge des énergies renouvelables dans l'équilibre de la production d'énergie en Europe.

Une situation de départ contrastée

Pour des raisons d'indépendance énergétique les pays européens ont privilégié des moyens de production d'énergie électrique radicalement différents.

NucléaireCharbonGazAutres thermiquesHydrauliqueAutres EnR
France 75 4 5 1 12 3
Allemagne 23 42 15 2 4 14
Royaume-Uni 16 28 46 2 2 6
Espagne 21 8 32 6 15 18
Source : Eurostat 2011 – Observatoire de l'Industrie Électrique

Le charbon et le lignite, qui sont les ressources nationales d'énergie qui ont donné à l'Allemagne les moyens de son impressionnant développement industriel depuis 150 ans, sont le principal moyen de production d'électricité (42%), loin devant le nucléaire (23%).

La politique énergétique de la France s'est construite autour du nucléaire grâce à la volonté du Général de Gaulle de redonner sa "grandeur" à la France après la deuxième guerre mondiale. Les grands programmes de recherche sur l'atome lancés en 1958 avaient un volet militaire, la force de dissuasion et un volet civil, l'indépendance énergétique, les deux étant indissociables. La conséquence en est la prépondérance du nucléaire dans la production électrique (75%), loin devant l'hydraulique (12%).

Au Royaume-Uni, la présence de gaz en mer du Nord fait que la production électrique repose principalement sur ce combustible (46%), devant le charbon (28%).

En Espagne les énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) couvrent ensemble 46% de la production électrique, mais un gros effort a été fait sur les énergies renouvelables qui fournissent 33% des besoins (dont 15% pour l'éolien), le nucléaire ne représentant que 21%.

Bien que l'indépendance nationale n'ait plus aujourd'hui la même résonance qu'au temps de la guerre froide, la maîtrise des coûts des approvisionnements en énergie reste une contrainte forte, particulièrement au moment où le déficit du commerce extérieur se creuse dans de nombreux pays européens. C'est pourquoi chaque pays européen devra continuer à définir sa politique énergétique en capitalisant sur les atouts qui lui sont propres.

Le tournant énergétique de l'Allemagne est-il réaliste ?

Le pari ambitieux de "l'Energiewende" (tournant énergétique) consiste à se passer du nucléaire mais aussi à terme des énergies fossiles et carbonées en portant de près de 20% en 2010 à 35% en 2020, puis à 80% en 2050, les énergies renouvelables dans le mix énergétique. Si les objectifs sont clairs, de nombreuses questions restent en suspens sur la façon concrète de procéder : faisabilité technique, coûts et financement des investissements, questions liées à l'insertion dans le réseau de quantités massives d'énergies renouvelables, cohésion avec la politique énergétique européenne, acceptabilité d'un tel plan par la population.

On constate en effet que :

- L'arrêt en 2011 de 8 tranches nucléaires sur 17 après l'accident de Fukushima a entraîné la perte de 70TWh de production annuelle, soit 12% de la production d'électricité. Les énergies renouvelables ne pouvant pas compenser ce manque de production, le recours aux énergies fossiles a été incontournable et les autorisations de mise en chantier de 17 centrales à charbon ou à lignite et 29 centrales à gaz ont été données, ce qui n'est pas cohérent avec les orientations fixées ;
- L'éolien terrestre a connu une relativement faible progression en 2011 (seuls 2GW ont été mis en service) car les meilleures implantations sont déjà équipées. La poursuite du développement de l'éolien terrestre passe par le remplacement sur les sites existants des turbines anciennes par des turbines plus puissantes et un accroissement de 15TWh - seulement - est visé d'ici à 2020. Les objectifs de production pour l'éolien offshore sont de 30TWh en 2020. On voit que ceci est loin de compenser l'arrêt des 9 dernières tranches nucléaires qui va nécessiter de trouver encore 70 à 80TWh annuels ;
- Les nombreuses faillites des poids lourds du secteur du solaire photovoltaïque sous les effets de la concurrence chinoise ont donné un coût d'arrêt à la filière nationale. Par ailleurs le surcoût de cette énergie a conduit le gouvernement allemand à baisser de manière très significative le tarif d'achat en mars 2012. Enfin les conditions d'ensoleillement (1.000 heures par an) limitent l'intérêt économique de la filière ;
- Les capacités de production hydraulique sont saturées. Pour compléter la production d'électricité renouvelable il ne reste que le biogaz qui pourrait apporter 10 à 15TWh supplémentaires d'ici 2020, sauf conflit d'usage des terres avec les cultures vivrières ou la production de biocarburants.

Pour illustrer la difficulté d'insertion des énergies renouvelables, la congestion du réseau de transport d'électricité fait que les éoliennes subissent des arrêts forcés lorsque l'énergie qu'elles produisent ne peut être ni consommée sur place, ni stockée, ni transportée vers un autre lieu de consommation. En outre le raccordement des parcs éoliens en mer du Nord se heurte à des difficultés techniques liées au transport en courant continu haute tension de l'énergie vers le sud du pays qui est en déficit énergétique du fait de l'arrêt des centrales nucléaires.

La décision unilatérale de fermeture anticipée des centrales nucléaires oblige les Allemands à s'appuyer fortement sur les systèmes électriques de leurs voisins européens pour assurer leur équilibre production/consommation. Les électriciens européens se trouvent donc avoir à supporter les risques liés aux variations brutales de production des moyens de production intermittents basés sur l'éolien et le photovoltaïque allemands. Les coûts de construction de nouvelles lignes de transport d'énergie et de maintien de capacités de production de réserve pour suppléer aux interruptions de production des énergies renouvelables devront être pris en charge par les utilisateurs allemands.

Enfin le tarif de l'électricité pour les particuliers est déjà près de deux fois plus élevé en Allemagne qu'en France. Il faudra vérifier que les conséquences financières de "l'Energiewende" seront acceptées par la population.

Ces constatations montrent que le pari ambitieux de l'Allemagne est loin d'être gagné d'avance.

Les orientations du Royaume-Uni et de l'Espagne

Au Royaume-Uni, il se pose un problème d'investissement pour remplacer simultanément d'ici à 2020 les centrales à charbon (28% de la production) et les centrales nucléaires (16% de la production) obsolètes. Le gouvernement britannique veut faire jouer le marché en mettant en place les mécanismes permettant aux investisseurs de couvrir leurs risques en se rémunérant sur les ventes futures d'électricité, de façon à transférer sur les opérateurs et l'industrie la charge de l'investissement. Les consommateurs, qui paient en moyenne 1000 Livres par an leur énergie, craignent de voir leur facture s'envoler de 500 Livres. Le gouvernement souhaiterait pouvoir limiter la hausse à 200 Livres sur la période.

En matière d'énergies renouvelables, les Britanniques mettent l'accent sur les énergies marines qui requièrent des compétences industrielles dont disposent leurs chantiers navals, particulièrement en Écosse et en Irlande du Nord. Dans le cadre du "Marine Energy Plan", ils souhaitent promouvoir les éoliennes offshore, mais aussi les hydroliennes fonctionnant avec les courants de marée et les systèmes houlomoteurs (capture de l'énergie de la houle). Mais le manque de maturité industrielle de ces systèmes engendrera nécessairement des surcoûts importants par rapport aux filières traditionnelles d'ici à 2020 et probablement au-delà.

L'Espagne a fait un gros effort d'équipement en éoliennes et en systèmes solaires photovoltaïques sans en répercuter le coût sur les consommateurs jusqu'à présent, ce qui a entraîné une perte d'exploitation cumulée colossale (24 milliards d'euros) chez les opérateurs. Cette perte est garantie par l'État et elle croît au rythme de 3 milliards d'euros par an. Face à cette situation intenable, les primes d'installation aux nouvelles énergies renouvelables ont été suspendues début 2012, dans l'attente de mesures forcément impopulaires d'ajustement tarifaire. La volonté affichée de l'Espagne de passer de 33% actuellement à 40% en 2020 d'énergies renouvelables dans la production d'électricité sera probablement remise en cause. D'ailleurs le gouvernement espagnol a affirmé qu'il ne pourra pas se passer de l'énergie nucléaire car elle est compétitive et non émettrice de gaz à effet de serre.

Conséquences pour la France et l'Europe de la transition énergétique vers les énergies renouvelables

Le gouvernement vient de lancer la réflexion sur la transition énergétique de la France en donnant quelques principes directeurs, mais le plan détaillé est à construire.

Dans les grandes lignes il s'agirait de remplacer une tranche nucléaire prétendument obsolète (elle aurait pu être modernisée, mais promesse électorale oblige) par deux nouveaux EPR plus puissants (Flamanville et Penly) et à porter de 15% actuellement (12% d'hydraulique et 3% d'éolien, biomasse et solaire photovoltaïque) à 30% en 2020 (13% d'hydraulique et 17% d'éolien, biomasse et solaire photovoltaïque) la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Les principales difficultés concernent la réussite technique des projets d'éolien offshore pour lesquels on ne dispose d'aucun retour d'expérience sur le fonctionnement en milieu marin et la mobilisation des moyens de financement correspondants ainsi que de ceux des lignes de transport d'énergie associées. Il faudra également obtenir le consentement des populations concernées par l'implantation des fermes d'éoliennes marines et le passage des nouvelles lignes électriques. Enfin les consommateurs devront accepter les augmentations de tarif qui découleront de ces nouveaux investissements.

La Cour des comptes a publié un audit en juin 2012 sur l'évolution de la CSPE (contribution au service public de l'électricité) qui montre que le surcoût des énergies renouvelables sera de 2,4 milliards d'euros en 2012 et atteindra 8,4 milliards d'euros en 2020. Face à cette croissance exponentielle, on peut se demander si une pause n'est pas nécessaire, d'autant que la modification des techniques d'enrichissement d'uranium récemment mise en œuvre en France, engendre une très substantielle économie d'énergie (l'équivalent de la production de deux tranches nucléaires) et que l'investissement en nouveaux moyens de production n'est peut-être pas une priorité. A ceux qui disent qu'il faut soutenir l'emploi et qu'investir dans l'implantation d'éoliennes est un bon moyen de le faire, il faut répondre qu'il n'y a pas de justification économique à produire de l'électricité deux fois plus chère que celle du nucléaire, même si elle crée deux fois plus d'emplois, d'autant que pour partie ces emplois se trouveront en Allemagne, au Danemark ou en Chine, qui seront à même de fournir des composants clés comme les turbines de manière plus compétitive.

Les changements de la politique énergétique allemande ainsi que les orientations des autres pays européens seront à analyser de très près dans les mois qui viennent. Une concertation entre tous les États membres est plus que jamais nécessaire, sans reniement des spécificités de chacun, mais en cherchant au contraire la satisfaction des besoins communs par la complémentarité, le partage des risques et la mise en commun des investissements.

Le problème soulevé par le développement probable des fermes d'éoliennes marines va être d'acheminer l'énergie produite aux frontières de l'Europe vers les grands centres de consommation intérieurs. Ceci signifie des investissements très importants en lignes de transport avec des interconnexions transfrontalières. En outre, il faudra mutualiser au niveau européen des capacités de production de réserve pour faire face à la nature intermittente des énergies renouvelables, ce qui entraînera là aussi un accroissement des besoins en capacités de transport et des surcoûts car ces installations de réserve ne tourneront pas à leur capacité nominale. Tout ceci devra être financé avec des clés de répartition à définir, mais où la part d'énergie renouvelable intermittente produite par chaque État devra nécessairement intervenir.

Tous les gouvernements européens vont donc avoir à préparer les consommateurs à une hausse significative des tarifs de l'électricité et cette hausse sera d'autant plus forte que la part d'énergies renouvelables sera élevée dans le mix énergétique. En contrepartie, ils devront développer une politique très active d'aide aux économies d'énergie, particulièrement dans le domaine du chauffage et de l'habitat, ce qui sera le seul moyen de limiter l'impact financier de la hausse des tarifs sur les ménages et l'accentuation de la précarité énergétique des plus démunis.