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Protection des sols : l'objectif de zéro artificialisation n'a aucun sens

Les parcs de Versailles, de la Courneuve, de la Tête d'Or, Borely... sont artificialisés, pas bétonnés

Trois semaines après la nomination du gouvernement Castex, le Conseil de défense écologique a annoncé des décisions fortes contre l’artificialisation des sols. L’étude publiée par France Stratégie en juillet 2019 sous le titre « Objectif : Zéro artificialisation nette pour protéger les sols ? » a fourni des informations complètes sur ce sujet. Elles interrogent notamment sur l’idée de la « disparition d’un département tous les dix ans ». Etablir d'abord une échelle d’artificialisation aurait été nécessaire, faisant la différence par exemple entre les parkings des supermarchés, les lotissements de logements et les parcs privés et publics. Tout en gardant très présent à l’esprit le sujet de la quantité de logements dont les Français ont besoin, et du type de logement qu’ils veulent habiter.   

Le partage des 55 millions d’hectares de la France métropolitaine entre les différents utilisateurs est le sujet de l'étude de France Stratégie. Les concurrents sont nombreux : agriculture, forêt, autres espaces naturels (landes, friches, taillis, marais, espaces aquatiques…), logements, loisirs, bureaux, bâtiments publics, commerces, usines, infrastructures. Sur les deux questions fondamentales, le flou est complet :

  • Définition de l’artificialisation : terres bétonnées ou terres non cultivées ? ;
  • Vitesse d’artificialisation : les mesures publiques officielles vont du simple au triple (Teruti-Lucas vs Corine Land Cover vs Fichiers fonciers)

Mesurer l’artificialisation

Les trois sources de données officielles, publiques, rappelées par France Stratégie, sont incohérentes, permettant à certains de diffuser des messages très alarmistes. En réalité, le rythme d’artificialisation des terres en France est inconnu.

Augmentation
 des surfaces artificialisées, hectares par an

Terri-Lucas

Corine Land Cover

Fichiers fonciers

De 1990 à 2000

12.200

-

-

De 2000 à 2006

33.000

-

-

De 2006 à 2012

16.000

-

-

De 2006 à 2014

-

61.200

-

De 2006 à 2016

-

-

23.000

Face à cette confusion, France Stratégie demande logiquement qu’on travaille à comprendre pourquoi ces données sont aussi divergentes, puis à établir des chiffres fiables. Mais un travail impossible avant que soit d’abord définie la notion d’artificialisation.  

Définir l’artificialisation

France Stratégie : « on comptabilise pareillement comme artificialisée la transformation d’une terre agricole en parc urbain, et l’imperméabilisation totale de cette terre par la construction d’un parking »    

Comme le reconnaît le rapport de France Stratégie, si le terme artificialisation est devenu un buzzword à la mode, il est très vague. Un parking d’hypermarché entièrement goudronné, construit sur une terre agricole en production (ex. blé, prairie pour élevage de bovins), représente un cas extrême d’artificialisation à 100%. La situation d’une autoroute ou d’une voie de chemin de fer avec leurs bas-côtés, est déjà moins claire. Celle d’un aéroport, d’une base militaire, des universités de province ou des parcs d’activités comme Sophia Antipolis, encore beaucoup moins. À titre d’exemple, le terrain de l’île de Nantes où le nouvel hôpital de 250.000 m2 de planchers sera construit sur une parcelle de 10 hectares face à un nouveau parc public de 14 hectares le long de la Loire : artificialisés ou pas ces 24 hectares ? Et comment classer des lotissements ou des ensembles d’immeubles construits en périphérie avec des empreintes au sol très inférieures à 50% ? Quant aux maisons de 200 m2 sur des terrains de 2.000 m2, elles ne « bétonnent » pas plus de 15% de leur terrain.

En plus de l’empreinte au sol, l’impact de ces « constructions » est très différent selon qu’elles sont construites sur des terres agricoles en production ou non. Dans un cas elles réduisent les capacités de production agricole, dans l’autre elles peuvent réduire la biodiversité, mais il n’est pas certain qu’un lotissement de 10 hectares soit moins favorable à la biodiversité qu’un champ de colza destiné à la production intensive d’agro-carburant. Dans tous les cas, elles modifient le paysage et la biodiversité.

Pour tenir compte de cette variété, un coefficient d’artificialisation doit être défini pour remplacer la vision simpliste actuelle 0/1, blanc/noir, gentil/méchant.

La situation actuelle

Le ministère de l’agriculture publie chaque année les données mesurant le partage du territoire entre les différents candidats :

Source Agreste GraphAgri 2018

Ces données montrent que l’agriculture, les forêts et les espaces naturels occupent des surfaces très importantes. La croissance record appartenant aux forêts dont la taille a doublé en un siècle, mais aussi aux espaces redevenus complètement naturels, sauvages même, suite à leur délaissement par les agriculteurs.  

Seuls 13% du territoire français est artificialisé au sens large, et le rapport Agreste montre qu’il se produit des échanges croisés plus complexes qu’imaginé entre les trois grands acteurs : sols cultivés, sols naturels et sols artificialisés. 

Fixer des objectifs

L’étude publiée par France Stratégie en juillet 2019 sous le titre « Objectif : Zéro artificialisation nette, quels leviers pour protéger les sols ? » revient dans l'actualité avec le cri de révolte des communes rurales qui s'insurgent contre le simplisme des directives tombées depuis Paris sans concertation : elles posent de sérieux problèmes sur le terrain, et non seulement aux collectivités locales, mais aussi aux Français.  

Les objectifs de partage du territoire doivent être fixés en tenant compte des besoins des Français en 2019 et des techniques agricoles. Il est probable qu’ils évolueront dans le temps, par exemple en fonction du type de consommation des Français (ex. moins de viande ? plus de matières premières agricoles industrielles ?), de la performance de l’agriculture française (les agriculteurs produisent déjà beaucoup plus sur de plus faibles surfaces) et de la production des pays étrangers. En 2019, les besoins liés à la disponibilité de terrains sont généralement satisfaits, sauf celui en logements en situation de pénurie depuis un siècle. En 2019, 4 millions de personnes sont très mal logées, et une vingtaine de millions souhaiteraient légitimement un meilleur logement. Une situation aggravée par la pénurie de terrains et donc leurs coûts dans toute la France, à la fois dans les métropoles et dans la plupart des zones périphériques.   

Les besoins des Français en 2019 liés aux terrains

 

Satisfaits

Nourriture

9/10

Matières premières agricoles

8/10

Loisirs

7/10

Usines

7/10

Logistique

7/10

Infrastructures

7/10

Tertiaire

7/10

Logement

3/10

Estimations iFRAP

Incontestablement, en 2019 la principale demande en matière d’aménagement du territoire concerne le logement : trop petit, trop cher, mal situé, mal isolé, non conforme aux souhaits des habitants. C’est particulièrement vrai dans le secteur locatif social ou privé qui, en plus, proposent peu des maisons individuelles voulues par les Français.

Le cas de l'agriculture

Les agriculteurs sont des partenaires clefs dans la gestion des territoires. Mais la règle de zéro artificialisation ne peut pas être justifiée par l’objectif de conserver toutes les terres agricoles pour satisfaire les jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer. Pas plus que construire des lignes de chemins de fer pour maintenir constant le nombre de cheminots, ou subventionner la production de plus de films pour satisfaire toutes les personnes qui rêvent de devenir acteurs.

La seule raison valable pour conserver toutes les terres agricoles en production serait qu’il existe une demande rentable de la part des consommateurs. Ce n’est pas le cas. Un à deux millions d’hectares avaient été mis en « jachères obligatoires » de 1999 à 2007 pour limiter la surproduction. Ils n’ont été remis en culture que pour produire des agro-carburants de première génération à des coûts élevés et pour un intérêt écologique douteux. Depuis au moins un siècle, les agriculteurs désertent d’eux-mêmes les terres non rentables, grâce à l’augmentation spectaculaire de leur productivité (multipliée par quatre dans de nombreux secteurs).

Le titre de l’étude de France Stratégie, Objectif : Zéro artificialisation nette pour protéger les sols ?, a sagement prévu un point d’interrogation. Figer, sacraliser même, les situations actuelles est illusoire, alors que les évolutions ont toujours été considérables dans toutes les directions, en fonction des besoins des habitants : après avoir été très fortement réduite, la superficie de la forêt française métropolitaine a doublé depuis un siècle, avec une augmentation qui se poursuit d'après l'ONU (+18% de 1990 à 2016).

France vs Pays étrangers

La France est le pays le plus vaste de l’Union européenne et la densité de sa population est très faible comparée à la plupart de ses voisins. Un handicap par certains côtés, mais aussi un atout dont les Français devraient pouvoir tirer parti comme ils le souhaitent :

 

Espagne

France

Italie

Suisse

Allemagne

Royaume-Uni

Belgique

Pays-Bas

Hab/km2

93

119

202

216

236

245

380

507

 Son taux d’artificialisation est modéré pour un pays développé, et très inférieur à celui de pays comparables où la nature est aussi très respectée.     

Taux d’artificialisation (d’après Corine Land Cover)

 

Espagne

Italie

France

Royaume-Uni

Allemagne

Pays-Bas

Taux d’artificialisation

2,7%

5,3

5,5%

8,5%

9,4%

13,4%

Source : France Stratégie

Un autre indicateur, calculé par France Stratégie, évalue la surface artificialisée par habitant. Il place la France en mauvaise position, mais il ne nous semble pas pertinent : naturellement, les pays qui disposent de beaucoup d’espace en consomment plus par habitant (Canada, Australie, Etats-Unis...) Et des pays où la population baisse (Italie, Allemagne, Japon...) ont moins besoin d'étendre les surfaces urbanisées que la France. 

Artificialisation = Gâchis ?

Le logement est le principal contributeur à ce qui est appelé « artificialisation » et qualifié de gâchis :

Habitat

Infrastructures de transport

Infrastructures de services et loisirs

Foncier économique

Autres

41,9%

27,8%

16,2%

13,7%

0,5%

Source ;  France Stratégie

Note : le foncier économique couvre les bâtiments utilisés pour l’agriculture (8,3%), l’industrie (4,2%) et la sylviculture (1,2%). 

Dans son introduction, le rapport de France Stratégie prend acte du fait que « Les Français veulent vivre dans une maison individuelle ». C’est vrai à 71% en 2016 (58% seulement en 2011), confirmé par le rebond en 2019 des constructions de maisons individuelles malgré les obstacles qui leur sont opposés. Mais le reste du rapport oublie largement cette exigence, et propose d’atteindre le Zéro artificialisation par la contrainte. Une méthode généralement peu efficace quand elle s’attaque à une conviction forte des Français, se traduisant par un frein au développement, le marché noir et l’explosion des prix des logements construits avant les nouvelles règles. La suggestion d’ajouter un étage de plus aux nouveaux bâtiments comme dans l’illustration de France Stratégie ci-contre, ne réduit pratiquement pas l’empreinte des maisons individuelles sur un terrain donné. L’idée récurrente de favoriser la construction sur l’existant néglige l’inadaptation des charmants centres des villes moyennes et des villages aux modes de vie actuels (photo ci-contre).

Malgré l’engagement pris par le gouvernement en 2018, France Stratégie laisse courageusement entendre que le scénario « zéro artificialisation » est intenable. Il est d’après nous injustifié. Satisfaire les besoins des Français conformément à leurs souhaits est une condition nécessaire à l’équilibre de la société française. Ni les 17 hectares de terrain utilisés pour le Stade de France, ni les 14/28 pour l'hôpital de Nantes, ni les 500 du pôle universitaire de Saclay, ni ceux nécessaires aux logements collectifs ou individuels des Français, ne constituent des « gâchis ».