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Nucléaire : il faudra construire 20 EPR d'ici 2050

Plusieurs candidats à la présidentielle ont relancé le débat sur le nucléaire, et le Président de la République vient d'annoncer enfin sa décision de construire de nouveaux réacteurs. En étudiant attentivement le parc des centrales électriques, nucléaire, à gaz et charbon, hydraulique, éolienne et solaire, on se rend compte que sa décision n'est pas aussi ambitieuse que nécessaire pour fournir  l'électricité dont la France aura besoin. Dans un contexte idéologique de baisse de la consommation d’électricité, la relève des 56 réacteurs nucléaires français qui vont arriver à 40 ans de production n'a pas été préparée. Contrairement à la décision du gouvernement en 2020 de fermer 14 réacteurs nucléaires, c'est la prolongation de tous les réacteurs existants jusqu'à 50 et 60 ans qu'il faut acter, et lancer la construction de 6 pour arriver, suivant les scénarios, entre 24 et 41 EPR-2 en 2050. 

La Direction Générale Energie-Climat du Ministère de la Transition écologique publie une carte de France présentant les 56 réacteurs nucléaires français en production après la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim.

La légende de cette carte indique le nombre et l’intervalle de temps des mises en service pour les différentes tranches de puissance électrique. Dans ces conditions, il est facile de projeter la fin de vie de ces 56 réacteurs en service et on comprend mieux alors la nécessité de préparer ces échéances.

  • Pour la génération 1978-1988, soit 32 réacteurs qui représentent une puissance installée de 28,8 GW, leur fin de vie est respectivement à 40 ans pour 2018-2028 et à 60 ans pour 2038-2048 ;
  • Pour la génération 1985-1994, soit 20 réacteurs qui représentent une puissance installée de 26 GW, leur fin de vie est respectivement à 40 ans pour 2025-2034 et à 60 ans pour 2045-2054 ;
  • Reste la génération 2000-2002, soit 4 réacteurs pour une puissance installée de 6 GW, dont la fin de vie est respectivement à 40 ans pour 2040-2042 et à 60 ans pour 2060-2062.

Le Grand Carénage

En résultat de ces projections, il a été décidé de lancer, sur la période 2014-2025, le programme « Grand Carénage » pour qu’EDF procède à la mise à niveau sécuritaire et à la prolongation de 20 ans de la fin de vie du parc nucléaire, pour un montant d’investissements compris entre 50 et 100 milliards d’euros.

Ce programme permet donc en théorie de pérenniser la capacité de production d’électricité nucléaire actuelle à l’horizon de 2050.

Mais la question est de savoir si ces investissements pour prolongation de durée de vie seront suffisants, ou bien si des investissements en nouveaux réacteurs sont aussi nécessaires, pour faire face à l’évolution de la consommation finale d’électricité à l’horizon 2050… [1] En termes d’investissements, on pourra distinguer les investissements de démantèlement et ceux de développement de nouveaux réacteurs.

Quelle évolution pour la production d’électricité ?

Pour cela, examinons quelle pourrait être l’évolution de la production d’électricité nationale.

Si on considère la consommation actuelle, les données sont les suivantes (voir références RTE en annexe) : 

  • en 2019 : 537,7 TWh dont 379,5 TWh de nucléaire (70%) ;
  • en 2020 : 500,1 TWh dont 335,4 TWh de nucléaire (67%).

Compte tenu du contexte sanitaire de 2020, qui a conduit à un ralentissement conjoncturel de l’économie et donc de la consommation d’électricité, c’est la production de 2019 qui est à retenir en base.

Quelle est la prospective pour la production d’électricité en 2050 ?

Le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE publié en octobre 2021 permet de considérer trois options pour cette production, basées sur deux scénarios de consommation finale d’énergie en 2050 : 

  • Le scénario minimal défini par la SNBC qui établit la consommation finale d’énergie à 930 TWh dont 55% d’électricité, soit 511 TWh ;
  • Le scénario maximal de réindustrialisation du pays défini par RTE qui établit la consommation finale d’électricité à 752 TWh ;
  • Le scénario de référence choisi par RTE pour une consommation finale d’électricité de 645 TWh.

Deux hypothèses de parts du nucléaire dans ces trois niveaux de consommation finale d’électricité sont à envisager : 50% (le taux de la Loi de transition écologique et pour la croissance verte) et 70% de nucléaire (le taux actuel).

Ce qui donne les consommations d’électricité nucléaire suivantes :

 

50% nucléaire

70% nucléaire

SNBC          511 TWh

C1      255 TWh

C4      358 TWh

RTE max    752 TWh

C2      376 TWh

C5      526 TWh

RTE référence   645 TWh

C3      322 TWh

C6      451 TWh

En considérant que les réacteurs actuels permettent une consommation nucléaire d’environ 350 TWh, on voit donc que :

  • dans les cas C2, C3 et C4, qui correspondent à peu près à la consommation actuelle, la prolongation de la durée de vie des réacteurs à 60 ans par le grand carénage, ce qui les amène quasiment à 2050, est suffisante, mais il faut prévoir dès 2035-2040 de nouveaux réacteurs pour l’après 2050 en continuité ;
  • dans le cas C1, qui correspond à une baisse d’environ un tiers par rapport à la consommation actuelle, il pourrait être envisagé d’arrêter 21% de puissance installée, soit environ la moitié des réacteurs de la première génération ;
  • dans le cas C5, à la prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels par le grand carénage, il faut anticiper un supplément de 50% de puissance installée ;
  • dans le cas C6, à la prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels par le grand carénage, il faut anticiper un supplément de 29% de puissance installée, ce qui correspondrait à 5 réacteurs EPR supplémentaires.

Ceci pour gérer l’avant 2050, sachant que l’après 2050 reste aussi à anticiper au moins à partir de 2035-2040.

Est-il crédible de remplacer la production nucléaire par des EnR ?

Si la question se posait de remplacer les 32 réacteurs les plus anciens, arrivés en fin de vie sur la période 2038-2048 grâce au grand carénage, par de l’éolien, il faudrait construire 5 fois plus d’éoliennes qu’actuellement installées. En effet, en 2019, la puissance éolienne installée est de 16,3 GW, et la production électrique associée de 34,1 TWh[1], alors que la puissance nucléaire installée de 60,8 GW a produit 379,5 TWh, soit pour les 32 réacteurs les plus anciens de 28,8 GW une production d’électricité extrapolée de 179,7 TWh. Pour remplacer cette production électrique de 179,7 TWh par de l’éolien (en faisant abstraction de l’intermittence de l’éolien), il faudrait 85,9 GW de puissance éolienne installée, soit 5,3 fois plus que la puissance éolienne actuellement installée. Et il faudrait se satisfaire à la fois de remplacer une production pilotable par une production intermittente, comme d’avoir à renouveler ce parc éolien au bout de 20 ans. En effet, en considérant que ce parc a été créé essentiellement sur 5 années jusqu’en 2019, la fin de vie de ce parc se situera autour de 2040. Une échéance qui montre que là aussi, il faut anticiper le démantèlement de ce parc, les conditions de renouvellement à l’horizon 2050 et au-delà. Ce qui n’est pas sans poser des difficultés, tant d’un point de vue d’acceptabilité que d’un point de vue technique.

Quel plan de renouvellement du parc nucléaire ?

Si l’on veut traiter la question de la planification d’un renouvellement raisonné du parc nucléaire à l’horizon 2050, compte tenu des échéances des durées de vie présentées ci-dessus, l’on peut judicieusement prévoir un renouvellement régulier et anticipé des réacteurs les plus anciens par des EPR nouvelle génération. Cette idée revient à profiter de l’arrivée de la fin de vie des premiers réacteurs pour lisser dans le temps la nécessité de développement de nouveaux réacteurs de remplacement.

Sachant que l’on ne peut pas envisager de construire de nouveaux EPR avant 2035, une telle planification pourrait s’envisager comme suit dans le cas du scénario de référence C3 de RTE et dans le cas du scénario maximum C5 de RTE.

L’intérêt de ces planifications est d’esquisser les décisions à prendre dès à présent pour un renouvellement régulier du parc nucléaire à l’horizon 2050, qui tente d’éviter de perpétuer les deux vagues de mise en service des 52 anciens réacteurs.

Scénario RTE de référence C3 : en 2050, 322 TWh nucléaire. Dans ce scénario, il est possible de lisser le rythme de remplacement des anciens réacteurs par des nouveaux.

Scénario RTE maximum C5 : en 2050, 526 TWh nucléaire. Dans ce scénario, la période 2022-2030 présente un déficit de puissance installée ne permettant pas de satisfaire le profil de consommation d’électricité (déficit de 5 à 10%).

Compte tenu des difficultés de ce scénario C5 (max et 70% de nucléaire), on examine aussi le scénario C6 de référence avec 70% nucléaire : 451 TWh en 2050. Ce qui donne ce qui suit, où la période 2022-2030 reste encore difficile (déficit 5%).

Conclusion

En tout état de cause, il faut décider dès à présent 5 à 7 réacteurs EPR nouveaux pour 2035 et préparer un horizon 2050 avec plus d’une vingtaine, voire une quarantaine d’EPR nouveaux, un véritable défi de construction. Mais pour qu’un EPR soit opérationnel, il faut 10 ans dans le meilleur des cas entre la décision et les premiers KWh fournis, dont 5 ans de démarches administratives (choix du site, enquête préliminaire et autorisations de toutes natures). Cela nécessitera aussi de trouver des sources d’électricité complémentaires pour passer le déficit de la période 2025-2030 et la question reste de savoir si des importations seront possibles… ou si des centrales à gaz pourront suppléer à ce déficit, au détriment des émissions de CO2. Et face à la crise énergétique actuelle, il est aussi nécessaire de s'interroger sur les conditions requises (délai, coût) pour relancer la centrale de Fessenheim. Force est de constater que notre système électrique va rentrer dans une période de tension, une situation à risque qui résulte de l'absence d'anticipation des besoins en EPR nouveaux, dans un contexte idéologique à la baisse de la consommation d'électricité.


ANNEXES

 

Source : RTE

Filières de production

Production en 2020
en TWh

Variation par rapport à 2019

Part de la production

Nucléaire

335,4

-11,6 %

67,1 %

Thermique à combustible fossile

37,6

-10,6 %

7,5 %

dont charbon

1,4

-12,7 %

0,3 %

dont fioul

1,7

-13,3 %

0,3 %

dont gaz

34,5

-10,4 %

6,9 %

Hydraulique

65,1

+8,4 %

13 %

dont renouvelable*

60,8

+9,1 %

12,1 %

Eolien

39,7

+17,3 %

7,9 %

Solaire

12,6

+2,3 %

2,5 %

Bioénergies

9,6

-0,8 %

2,0 %

dont biogaz

2,9

+8,6 %

0,6 %

dont biomasse

2,5

-5,8 %

0,5 %

dont déchets de papeteries

0,2

-14,2 %

0,0 %

dont déchets ménagers non renouvelables

2,0

-2,5 %

0,4 %

dont déchets ménagers renouvelables

2,0

-2,5 %

0,4 %

Production nette totale

500,1

-7 %

100 %

Voir aussi, pour les scénarios RTE.


[1] voir https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/l-eolien-en-chiffres