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Mutualité sociale agricole (MSA) : « en déclin structurel »

Les deux années de débats sur la réforme des retraites ont montré la difficulté de traiter en une fois l’ensemble de ce secteur de la protection sociale. Le rapport de la Cour des comptes publié le 15 mai 2020 se concentre sur un sujet plus restreint, la protection sociale des agriculteurs (MSA) qu’elle juge « en déclin structurel », notamment pour ses deux régimes de retraites. Face à une chute des effectifs agricoles, un déficit récurrent et une gestion peu efficace, la Cour des comptes propose de rapprocher la MSA du régime général de Sécurité sociale. Des intérêts sont contre, mais cela a été fait en 2018 pour le Régime social des indépendants (RSI) aux perspectives pourtant plus positives.

Démographie agricole

En 1955, la France comptait 2,5 millions d’exploitations agricoles, un nombre divisé depuis par six, et qui continue à baisser de 1 à 2% par an.

Nombre d’exploitations agricoles
(France métropolitaine)

1955

1988

2000

2010

2019

2040 Estimation iFRAP

2.500.000

1.017.000

664.000

490.000

424.000

300.000

 

Chaque exploitation agricole emploie en moyenne 1,6 personne en équivalent temps plein, dont environ une personne ayant le statut d’exploitant agricole (non salariée). Le nombre de ces chefs d’exploitation baisse donc à peu près comme celui des exploitations. Les progrès de productivité leur permettent de gérer des entreprises de plus en plus importantes, aidés des salariés permanents dont le nombre ré-augmente légèrement.  

 

Nombre d’exploitants et de salariés agricoles

 

 

1955

1988

2000

2010

2019

2040 Estimation iFRAP

Exploitants agricoles

2.700.000

1.089.000

764.000

605.000

547.000

385.000

Salariés agricoles permanents

628.000

143.000

164.000

155.000

170.000

190.000

Source : Ministère de l’agriculture, Agreste

 

Pour les non-salariés, les données fournies par la Sécurité sociale agricole (MSA) sont assez proches de celles du ministère. Mais pour les salariés agricoles, elles sont très différentes, le ministère recensant les vrais salariés agricoles travaillant à temps plein, tandis que la MSA comptabilise tous les salariés adhérents à la MSA.  

2018

Non salariés

(Exploitants agricoles)

Salariés

Ministère

547.000

150.000

MSA

480.000

660.000

 

Comme le montre le diagramme ci-dessous, seul le tiers des salariés dits agricoles travaillent dans des exploitations agricoles. Le compte de la MSA inclut en plus des salariés non agriculteurs (ex. du Crédit agricole) qui sont environ 300.000. Et aussi un nombre important de salariés à temps partiel, dont les saisonniers. La MSA enregistre 2,2 millions de contrats CDD par an, soit environ 200.000 équivalents temps-plein.

Une autre catégorie de main d’œuvre, les « aides familiaux » à temps complet qui était importante en 1955 (3.000.000), et encore en 1988 (788.000), est en très forte réduction, Ils n’étaient plus que 99.000 en 2019, en baisse rapide, le statut de ces aides étant de plus en plus normalisé.  

À titre de comparaison, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) gère la retraite de 17,5 millions d'actifs et 13,9 millions de retraités.

MSA - Mutualité sociale agricole

La MSA constitue une branche de la Sécurité sociale gérant à la fois les Assurance maladie, retraite, famille, chômage, accidents du travail et dépendance. Même la récente caisse de retraite complémentaire des agriculteurs, ne faisant pas partie du paquet Sécurité sociale dans les autres régimes (ex. IRCANTEC, ARRCO-AGIRC), est gérée par la MSA. En 1945-1950, les agriculteurs, très nombreux, avaient choisi une forme d’autonomie, ne pouvant sans doute pas prévoir les évolutions considérables de leur secteur. Ils n’ont pas été les seuls (ex. Mineurs, Marins, SNCF, RATP, SEITA, EDF/GDF, Fonctionnaires…).

En 2018, les recettes de la MSA ont été de 32,6 milliards d'euros, dont les deux tiers proviennent de transferts des autres régimes ou de taxes affectées. Cette année là, la MSA a disposé d'un excédent de 79,8 millions d'euros. contre un déficit de 167 millions l'année précédente. L

Le caractère intégré et spécialisé de la MSA présente des avantages, la MSA estimant à juste titre être plus proche des préoccupations de ses adhérents.

 Points clefs du rapport de la Cour des comptes sur la MSA

  • Une structure très décentralisée, morcelée, peu performante ;
  • 35 caisses autonomes, 92 centres de production, 23 agences, 16.982 administrateurs, 16.000 salariés ;
  • Une structure de tête faible ;
  • Chute de la participation aux élections des administrateurs (26%) ;
  • 60% de ses ressources proviennent de transferts ;
  • Une définition des « salariés agricoles » très extensive ;
  • Des activités immobilières, de sous-traitance, de services, hors périmètre, coûteuses voire opaques;
  • La MSA, seul régime agricole en Europe à assurer aussi les salariés agricoles ;
  • Un régime en déclin structurel ;
  • Tous les régimes sociaux, obligatoires et en situation de monopole, évoluent vers la centralisation : collecte des cotisations, liquidation unique des droits.  

Retraite des non-salariés agricoles

La pyramide des âges des non-salariés agricoles (chefs d’exploitation et chefs d’entreprise[1] en activité) résume la situation de la caisse de retraite de ce régime. Fonctionnant par répartition les cotisations des actifs devraient financer les pensions des retraités. En 2019, environ un million de retraités MSA, ex-chefs d’exploitation, perçoivent une retraite de droit direct. Avec un rapport de 2 retraités à la charge de chaque actif, la démographie de ce régime est très négative, la moyenne en France étant d’environ 0,5 retraité par actif. La dette de ce régime est actuellement de 3,7 milliards d’euros malgré des reprises périodiques effectuées par la CADES.

En matière de retraite, les chefs d’exploitation ont des caractéristiques et des besoins différents de ceux des salariés. Ils s’apparentent à ceux des indépendants et professions libérales, mis en évidence au cours des débats de 2019. Le taux de cotisation retraite des salariés agricoles (patronal + salarié) est d'environ 28%. Comme d'autres professions non-salariée, les agriculteurs ont des pratiques de capitalisation dans leur propre entreprise qui peut difficilement se cumuler avec un taux de cotisation aussi élevé. Ces caractéristiques justifient l’existence d’un régime de retraite particulier pour les chefs d’exploitation, garantissant à la société qu’ils se constituent une retraite minimum, tout en les laissant libres de le faire en partie comme ils le souhaitent.

Même dans cette catégorie des non-salariés, et même pour les seuls droits personnels, le taux de poly-pensionnés est très élevé (91%) signe que le concept de MSA interlocuteur unique est illusoire. Avant, pendant ou après leur activité de chefs d’exploitation, ces personnes ont eu une autre vie professionnelle. Parmi ceux en activité, 18% sont poly-actifs. Un guichet unique est souhaitable, mais à condition qu’il traite de tous les sujets retraites des personnes.      

Le nombre de retraités ex-non-salariés baisse de 3% par an. Ce régime qui gère actuellement deux millions de personnes (547.000 actifs + 1.371.000 retraités) en traitera un million (actifs + retraités) en 2035. Rapidement très surdimensionné, il est de son devoir et de son intérêt de se regrouper rapidement avec d’autres régimes aux besoins similaires. 

Retraite des salariés agricoles

En termes de retraite, les droits et devoirs de ces « salariés agricoles » sont identiques à ceux de tous les salariés du secteur privé affiliés à la CNAV et à l’ARRCO-AGIRC : le régime MSA est dit « aligné » sur le régime général.

Pour agréger le plus possible de salariés dans le régime MSA, la notion de salarié agricole est extensive, allant du véritable salarié agricole, aux employés de la banque Crédit agricole ou de l’assureur Groupama, ou, pour l’anecdote, aux employés de maison des agriculteurs.

Qui sont les salariés agricoles ?

Les salariés travaillant sur les exploitations et dans les entreprises agricoles, les garde-chasse, garde-pêche, gardes forestiers, jardiniers, les employés de maison au service d’un exploitant agricole, les personnels enseignants des établissements d’enseignement agricoles privés, les salariés des organismes de mutualité sociale agricole (MSA), des caisses de crédit agricole mutuel, des chambres d’agriculture ou des syndicats agricoles, les apprentis et les stagiaires occupés dans ces exploitations, entreprises, organismes et groupements.

Sont aussi affiliés au régime agricole, les salariés employés dans les filiales créées par les sociétés et groupements exerçant une activité agricole ainsi que ceux des sous-filiales de ces mêmes sociétés. En cas de restructuration de ces sociétés, s’il n’y a pas création d’une personne morale nouvelle, les salariés demeurent au régime agricole. Les salariés des centres de gestion agréés et des associations de gestion et de comptabilité dont les statuts prévoient que le conseil d’administration est composé en majorité de membres désignés par des organisations professionnelles agricoles ou des chambres d’agriculture, sont des salariés agricoles.

Avec le développement des très grandes exploitations, la notion même de salarié agricole est devenue floue. Les mécaniciens, électroniciens, chimistes, comptables, financiers, informaticiens, responsables du marketing et des ventes à l’international… sont très éloignés du salarié agricole classique et beaucoup plus proches de leurs collègues des entreprises non-agricoles.     

Comme on le voit ci-dessous, la forme cylindrique de la pyramide des âges des salariés agricoles en activité est relativement satisfaisante pour l’avenir.

Note : la barre des 15-24 ans n’est pas significative

Poly-pensionnés 

Parmi les vrais salariés agricoles permanents,  nombreux sont ceux qui ont des compétences rendant très probable qu’une partie de leur carrière se déroulera dans le secteur privé. La probabilité est encore plus élevée pour les saisonniers agricoles qui viennent de tous les secteurs de la société, et ont de fortes chances de travailler avant, pendant ou après dans le secteur privé. Enfin, les « assimilés salariés agricoles » (ex. du Crédit agricole) ont des emplois typiques du secteur privé et ont toute latitude de faire une partie de leur carrière dans ce secteur.

Effectivement, la durée de cotisation à la MSA des ex-salariés, retraités actuels, n’est que de 9,7 ans. Et le taux de poly-pensionnés des retraités MSA (droits personnels) est de 94%. Conséquence : la pension moyenne MSA des salariés agricoles est de 227 euros par mois. La MSA multiplie donc les cas de poly-pensionnés pour des retraites très faibles, avec les inconvénients de ce statut, une source de complexité pour les intéressés et des surcoûts de gestion pour les caisses de retraite.  

Coût de gestion

En matière de retraites, les règles appliquées aux salariés agricoles sont identiques à celles des autres salariés. La duplication des traitements très complexes par deux entités, pendant les périodes d’activité et de retraite, est source de surcoûts. Les responsables de la MSA assurent utiliser des modules de gestion informatique communs avec la Sécurité sociale CNAV. Les différences entre des systèmes informatiques développés indépendamment les uns des autres, et les interférences entre les programmes des différents secteurs (maladie, retraite…) gérés par la MSA, rendent hypothétiques les gains de cette réutilisation. D’autant plus que les changements à opérer dans ces modules pour suivre les réglementations sont incessants. On a vu que les caisses de retraites ARRCO-AGIRC supposées partager des modules n’ont vraiment fait des économies qu’après avoir convergé vers le même système, et avoir dépensé 400 millions d’euros en dix ans pour créer leur usine retraite.

Périmètre de la MSA

La dépendance de la MSA sur l’affiliation de salariés non agriculteurs (Crédit agricole, Groupama, coopératives…) et de chefs d’entreprise para-agricole, aux salaires et revenus nettement supérieurs à ceux des vrais agriculteurs, est artificiel et entraine la MSA à chercher constamment à étendre son périmètre. 

Le rapport de la Cour des comptes est globalement critique. Il démontre que la gestion de la MSA vise à entretenir ses structures existantes et à en développer de nouvelles pour renforcer son pouvoir et protéger ses salariés, plus qu’à améliorer sa performance et le service rendu à ses adhérents. La Cour n’évoque pas directement le lien entre la MSA et le syndicat agricole majoritaire pour qui les multiples organismes liés à la MSA constituent un puissant relais d’influence vers les agriculteurs. Enchevêtrées avec les chambres d’agriculture et les SAFER, et forts de leurs milliers de salariés, de délégués et d’administrateurs, ces nombreuses structures départementales sont en plus de généreux dispensateurs de subventions aux associations amies.

Quant à la politique de proximité de la MSA, elle est de plus en plus difficile à financer, les agriculteurs étant de moins en moins nombreux[2] mais toujours dispersés sur tout le territoire. Pour 92% des agriculteurs, la MSA n’est plus que l’une de ses caisses de retraite. Et au niveau du ménage, la MSA n’est plus l’assureur retraite de toute la famille, le conjoint étant le plus souvent adhérent du régime de la fonction publique (ex. enseignant) ou du régime général du secteur privé (ex. infirmier). Dans de nombreux cantons, même ruraux, les agriculteurs sont très minoritaires, et  la seule solution est de partager les services sociaux de proximité. C’est ce que vont fournir les maisons France Services.

Conclusion

Le déclin de la MSA n'est pas synonyme de déclin de l'agriculture française qui a tous les atouts pour être la plus performante d'Europe, à condition de continuer à adapter ses structures, à faire le choix de la modernité  et à s'ouvrir sur le reste de la société, y compris pour ses régimes sociaux.  Pour les retraites, les faits rendent deux réformes inévitables :  

  • Le régime de retraite des non-salariés agricoles (chefs d’exploitation) couvre peu d’adhérents et ses effectifs sont en décroissance, mais les besoins de ses adhérents sont spécifiques : pour des raisons d’efficacité de gestion, il doit être regroupé avec des régimes ayant des caractéristiques similaires (indépendants, professions libérales) ;
  • Le régime de retraite des salariés agricoles couvre peu d’adhérents dont beaucoup de non- agriculteurs et ses effectifs sont stables, mais les besoins de ses adhérents sont identiques à ceux des autres salariés du privé : pour des raisins d’efficacité de gestion et de clarté pour les assurés, il doit être intégré au régime général des salariés CNAV et ARRCO-AGIRC.

La collectivité qui finance les déficits de la MSA est en droit de s’assurer que ses contributions sont justifiées et dépensées de façon efficace. La Cour des comptes et le directeur de la Sécurité sociale jugent à regret que l’intégration complète de la MSA dans le régime général n’est pas actuellement faisable vu la surcharge de travail supportée par le régime général avec les réformes en cours et l’intégration du RSI. La Fondation iFRAP estime que l’intégration des salariés agricoles dans le régime général de retraite des salariés du privé, est la réforme la plus justifiée et la plus simple à réaliser. Les deux propositions ci-dessus doivent être actées dans la Convention d’objectif et de gestion en cours de négociation, avec l’objectif d’être réalisée fin 2023.   

Annexes

Réponses officielles au rapport de la Cour des comptes

Ministre de la santé et des solidarités : dans une courte réponse, le ministre soutient le diagnostic et les recommandations importantes de la Cour. Il rappelle que les réformes PUMa et  LURA ont considérablement réduit l'activité de la MSA. 

Ministre des comptes publics : dans une très courte réponse, le ministre soutient les recommandations d’amélioration de la performance de la MSA.

Directeur général de la caisse nationale d’assurance maladie : le directeur valide le diagnostic et les propositions de la Cour, mais regrette de ne pas pouvoir appliquer ces recommandations pour le moment, ses équipes étant surchargées de réformes.

Directeur général de la caisse nationale d’assurance familiale : le directeur valide le diagnostic et les propositions de la Cour.

Directeur général de la caisse nationale d’assurance familiale : le directeur valide le diagnostic et les propositions de la Cour.

Directeur général de la MSA : dans un très long plaidoyer (9 pages), le directeur de la MSA défend son organisme et rejette les points clefs du rapport de la Cour.

Ministre de l’agriculture : dans un très long plaidoyer (7 pages), le ministre rejette les points clefs du rapport de la Cour des comptes. et s’aligne sur la position de la MSA.

Commentaire iFRAP

Les réponses fournies par les responsables concernés sont conformes à ce qu’on pouvait attendre. La position du ministre de l’Agriculture défend largement le statu quo. Les recommandations de la Cour des comptes doivent être prises en compte dans la Convention d’objectifs et de gestion 2021-2026 en cours de négociation. Si rien n’est fait, en 2027, la situation de la MSA sera devenue insupportable pour les Français.

 

Position des syndicats agricoles

Les syndicats agricoles ne font pas partie des organismes fournissant une réponse officielle au rapport de la Cour, mais deux se sont prononcés : 

La FNSEA et les JA soutiennent le maintien de ce régime au niveau de la corporation agricole.    

La Coordination rurale : Si le syndicat estime que « la MSA est le bon outil pour retrouver une proximité avec le monde agricole et qu’il est de ce fait essentiel de conserver les antennes locales, la CR milite pour une optimisation du système qui pourrait effectivement passer par le développement de synergies avec le régime général ».

Références

  • Livre blanc de la MSA, février 2019
  • Chiffres utiles de la MSA, édition 2019
  • MSA : tableau de bord trimestriel, retraites des non-salariés agricoles, 2019
  • MSA : tableau de bord trimestriel, retraites des salariés agricoles, 2019
  • MSA : Convention d’objectifs et de gestion, 2016-2020
  • Évaluation de la convention d’objectifs et de gestion 2011-2015 de la MSA dans la perspective de son renouvellement, IGAS, 2016
  • Cour des comptes : La mutualité sociale agricole, mai 2020

 


[1] En plus des véritables chefs d’exploitations agricoles, la MSA a obtenu d’étendre son périmètre aux chefs d’entreprises proches de l’agriculture (ex. travaux de création et d’entretien des parcs et jardins, professions hippiques). Ils représentent environ 8% des affiliés non-salarié de la MSA.

[2] Les structures sociales dédiées aux mineurs de fond ont rencontré les mêmes problèmes de baisse de leurs effectifs, mais avaient l’avantage d’affiliés très regroupés géographiquement.