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L'usine à gaz de la loi Climat et résilience

Après dix-huit mois de concertation citoyenne, 645 pages d’étude d’impact, et deux mois de discussion à l’Assemblée nationale, le projet de Loi climat et résilience a été votée en première lecture le 4 mai avant que le Sénat n’examine le texte, le vote final étant programmé pour septembre 2021.

Le projet de Loi présenté par le gouvernement comportait 69 articles relatifs à 6 thèmes qui correspondent à 6 titres : Consommer ; Produire et travailler ; Se déplacer ; Se loger ; Se nourrir et Renforcer la protection judiciaire de l’environnement. Une analyse attentive du texte nous conduit à considérer qu'une majorité d'articles sont a minima très lourds quant à leur mise en place, voire franchement irréalistes. Au final, 15 articles (22%) semblent recevables mais nécessiteraient un examen plus approfondi compte tenu de leur impact sur l’activité économique, notamment dans le domaine des transports ou du logement. Ils côtoient par ailleurs des dispositions qui semblent bien symboliques s’agissant du climat.

Le débat à l’Assemblée Nationale a contribué à amender sensiblement certains de ces 69 articles. Globalement, les amendements adoptés vont dans le sens d'un alourdissement et d'un durcissement de la règlementation. Dans l’attente du débat au Sénat, nous livrons une revue de détail des 69 articles du projet de Loi initial.

Des articles irréalistes ou rédigés de manière assez floue

Quatre articles du domaine des transports paraissent plutôt irréalistes. Ce sont :

  • L'article 29, voulant une économie ferroviaire qui d’expérience n’a pu déjà se réaliser parce qu’elle nécessiterait un régime de très fortes subventions ;
  • L'article 30, parlant de convergence européenne pour la fiscalité des carburants et d’offres de véhicules lourds moins polluants à l’horizon 2030, vœux pour le moins pieux ;
  • L'article 32, voulant réinstaurer l’Ecotaxe ;
  • L'article 35, niant que le prix du carbone pour le transport aérien ne peut être que mondial, ce qui fait que les études à ce sujet, lancées depuis 2005 environ, ne pourront aboutir à l’horizon 2025. 

Cinq articles semblent supplétifs par rapport à des dispositifs qui existent déjà. Ce sont les articles :

  • L'article 28, voulant privilégier le covoiturage sur les autoroutes, déjà présent dans la Loi LOM sur les mobilités ;
  • L'article 15, sur la prise en compte des aspects environnementaux dans les marchés publics ;
  • L'article 19, qui réaffirme la préservation et la restauration des milieux naturels énoncés dans la Loi sur l’eau ;
  • L'article 31, sur la formation à l’éco-conduite des conducteurs de transport routier ;
  • L'article 56, sur la création de zones protégées pour l’environnement, alors qu’existent déjà divers zonages (zones humides, biodiversité, etc.), à moins que de servir un objectif de simplification du contrôle de ces divers zonages, ce qui n’est pas apparent dans l’article.

Trois articles sont rédigés de manière assez floue :

  • L'article 4, sur la non publicité pour les énergies fossiles qui prévoit un décret dont le contenu II n’est pas clair ; 
  • L'article 61, qui ne précise pas ce que sont les objectifs d’une « politique de l’alimentation moins émettrice de gaz à effet de serre » ;
  • L'article 65, sur un « plan stratégique national » précisant les modalités de la politique agricole commune.

Les excès du projet de loi "Climat"

Il s'agit tout d'abord de 7 articles qui seraient à supprimer du fait de leur « extravagance » :

  • L'article 10, sur la suppression de la distribution d’échantillons de produits au motif que cette pratique serait ressentie comme une pratique commerciale agressive ;
  • L'article 11, sur l’obligation de la vente en vrac de produits alimentaires ou pour la maison, une obligation qui soulève de vraies questions d’hygiène ;
  • L'article 22, sur la régionalisation de la programmation pluriannuelle de l’énergie selon une méthode non précisée, alors qu’il a déjà été démontré que la régionalisation d’objectifs énergétiques nationaux n’engendre aucune valeur ajoutée, voire est contre-productive, car la gestion énergétique du pays est mieux optimisée à la maille nationale ;
  • L'article 23, pour le développement de communautés d’énergie renouvelables et citoyennes, selon la même raison que précédemment, mais aussi parce que c’est la porte ouverte aux litiges entre citoyens et aux malversations des promoteurs d’éoliennes ;
  • L'article 25, pour un objectif de 95% de voitures « propres » émettant moins de 95gCO2/km à l’horizon 2030 ; cet article devrait lever l’imprécision qui entoure le concept imprécis de véhicule « propre », la confusion se faisant entre propre au sens des émissions de GES et propre au sens de la pollution de l’air avec les particules fines - les véhicules électriques n’étant propres pour leur part que si la proportion de production d’électricité nucléaire ne diminue pas, car ils polluent aux particules fines autant que les véhicules thermiques avec les pneumatiques et les plaquettes de freins ;   
  • L'article 59, pour l’introduction de menus végétariens dans la restauration collective à menu unique, dont on n’a nullement prouvé que cela réduirait le gaspillage alimentaire et que cela apporterait des bénéfices pour l’alimentation des élèves, notamment les plus défavorisés - sans compter que les débats sur les « menus des cantines » sont toujours la porte ouverte à de fortes tensions sociales… ;
  • L'article 64, article qui sert essentiellement à légitimer la communication de données entre deux administrations (les douanes et l’environnement), ce qui est donc inutile.

Huit articles prévoient de mettre en place des « usines à gaz », et notamment des expérimentations préalables. Ce sont :

  • L'article 1, pour des expérimentations de l’obligation d’affichage de l’impact carbone de produits et services, alors que le calcul de l’impact carbone n’est pas toujours accessible par une méthode éprouvée et que le consommateur ne peut avoir de jugement sur un impact carbone affiché sans avoir recours à un système d’étiquettes de classement comme celles relatives à la consommation énergétique de l’électroménager ;
  • L'article 9, pour une expérimentation de l’interdiction de publicité dans les boîtes aux lettres, une expérimentation dont on sait déjà l’impact que cela aura sur la filière de l’imprimerie ;
  • L'article 12, pour la mise en place de dispositifs de consigne des emballages en verre, qui pourront sans doute grever les coûts pour les consommateurs ;
  • L'article 13, pour des produits plus nombreux pour lesquels les fabricants mettent à disposition des pièces détachées, soit avec un décret complexe là où la concurrence pourrait arriver à réguler la situation ;
  • L'article 27, pour la création de nouvelles zones à faibles émissions mobilité, potentiellement lourdes de conséquences sociales, ou de besoins en subventions importants ;
  • L'article 36, pour l’interdiction de transports aériens dont l’alternative ferroviaire est de moins de 2h30, article avec expérimentations dont le bénéfice en émissions de CO2 n’est pas prouvé ;
  • Les articles 62 et 63, articles qui risquent de fragiliser encore davantage les agriculteurs du fait de contraintes nouvelles sur leurs émissions de protoxyde d’azote et d’ammoniac.

Une douzaine d’articles représentent des dispositions de mise en œuvre assez lourdes ou qui alourdissent à des systèmes déjà contraignants. Ce sont :

  • L'article 5, qui prévoit des codes de bonne conduite établis par le CSA pour éviter les communications commerciales audiovisuelles sur des produits et services à impact carbone et GES ;
  • L'article 16, qui insère dans le code du travail la notion de gestion prévisionnelle des emplois et compétences pour répondre aux enjeux de la transition écologique ainsi que l’information sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise ;
  • L'article 17, qui ajoute deux personnes qualifiées en matière de transition écologique dans le comité régional de l’emploi (CREFOP) ;
  • L'article 18, qui demande aux opérateurs de compétences (OPCO) de soutenir les PME en matière d’adaptation à la transition écologique ;
  • L'article 33, qui demande aux entreprises « chargeurs » de produire un suivi de leurs émissions de GES avec un bilan annuel des actions pour réduire leur empreinte environnementale ;
  • L'article 34, dont l’objectif est de faire participer les citoyens à l’élaboration des stratégies territoriales des mobilités ;
  • L'article 39, qui donne une assise législative aux étiquettes DPE (diagnostic performance énergie) dans le logement, avec une nouvelle définition du DPE intervenant au 1er juillet 2021 ;
  • L'article 40, qui adapte les obligations d’audit énergétique et de DPE dans les bâtiments d’habitation collective lors de la vente d’immeubles très consommateurs d’énergie et pour les immeubles construits avant 2013 ;
  • L'article 43, qui réforme le service public de la performance énergétique de l’habitat à l’échelle des EPCI ;
  • L'article 44, qui fixe la réalisation tous les 10 ans d’un plan pluriannuel de travaux dans les copropriétés, ainsi que des provisions dans le fonds de travaux de la copropriété ;
  • L'article 49, qui, pour l’objectif de « zéro artificialisation des sols », décrit la cascade de mise à jour des documents de planification régionale et de planification infra-régionale de l’urbanisme ;
  • L'article 60, qui étend à la restauration collective privée l’obligation d’utiliser 50% de produits durables dont 20% de produits issus de l’agriculture biologique.

Sept articles impliquent des charges supplémentaires pour les communes ou les intercommunalités, ou une mise en œuvre laborieuse. Ce sont :

  • Les articles 6 et 7, qui transfèrent aux maires le pouvoir de police de la publicité, y compris pour la publicité dans les vitrines de magasins ;
  • L'article 26, qui figurait déjà dans la Loi LOM et qui permet aux maires de développer des parkings-relais en entrée de ville ;
  • Les articles 47 et 48, qui définissent la mise en œuvre de l’objectif de « Zéro artificialisation nette » des sols, un objectif dont on peut se demander s’il ne va pas nous entraîner vers le « zéro usine net » à terme ;
  • L'article 50, qui prévoit un rapport annuel par chaque commune de suivi de cet objectif ;
  • L'article 53, qui prévoit un inventaire tous les 6 ans par chaque intercommunalité au sujet des zones d’activités économiques.

Quel impact concret de la loi "Climat" ?

Une quinzaine d’articles seulement semblent viables sans (trop) de problèmes de mise en œuvre. Ce sont les articles :

  • 2, sur l’éducation au développement durable de l’école au lycée ;
  • 3, sur l’élargissement au développement durable des mission du comité d’éducation à la santé et la citoyenneté de chaque établissement d’enseignement ;
  • 8, qui interdit les aéronefs avec banderoles publicitaires ;
  • 14, qui instaure la nécessité d’une cohérence de la stratégie nationale de recherche avec la stratégie nationale bas-carbone ;
  • 24, qui abaisse de 1 000 m2 à 500 m2 les surfaces commerciales ou les entrepôts devant installer des couvertures photovoltaïques ou végétalisées ; 
  • 37, qui encadre le développement aéroportuaire pour moins d’émissions de GES et moins d’artificialisation des sols ;
  • 38, sur l’obligation de la compensation carbone pour tous les opérateurs aériens, et ce, avec des projets de compensation sur le territoire national ou en Union Européenne ;
  • 41, qui interdit l’augmentation des loyers pour les logements dans des « passoires thermiques » ;
  • 42, qui corrige la définition de la décence d’un logement par rapport à un niveau de performance énergétique minimal de classe E du DPE ;
  • 46, qui interdit les terrasses chauffées pour diminuer les consommations d’énergie ;
  • 51, qui rend obligatoire une densité minimale dans les grands projets d’urbanisme ;
  • 52, qui fixe un principe général d’interdiction de nouvelles surfaces commerciales entraînant l’artificialisation des sols, et ses motifs de dérogation ;
  • 54, qui oblige les projets de construction ou de démolition de bâtiments à une étude préalable du potentiel de changement de destination et d’évolution du bâtiment ;
  • 58, qui autorise des ordonnances du Gouvernement en vue de l’adaptation des collectivités concernées par le recul du trait de côte maritime suite au dérèglement climatique ;
  • 66, qui prévoit la reconnaissance de labels de commerce équitable pour les PME afin que les consommateurs soient bien informés des impacts environnementaux de leurs choix de consommation.

Pour finir, les trois articles du Titre VI d’ordre judiciaire 67, 68, 69 prévoient des sanctions très lourdes pour mises en danger de l’environnement et pour délit de pollution, des eaux notamment.

Reste à savoir comment concilier l’interdiction des passoires thermiques et la lutte contre le mal logement, sans aggraver la pénurie de logements ni renchérir leurs coûts. Ou encore quel avenir pour le secteur aérien qui représente tout de même 4% des emplois et du PIB en France, qui serait particulièrement touché (certaines régions étant même encore plus impactées). Idem pour l'industrie automobile. Ces sujets auraient nécessité un débat de fond. Ils cohabitent par ailleurs avec des décisions qui semblent bien plus symboliques en termes d’impact sur l’environnement (ex. : aéronefs publicitaires, terrasses chauffées).

A noter que l’on ne peut se positionner sur trois articles, les articles 45, 55 et 57, qui renvoient à des dispositions juridiques ou de prise d’ordonnances.

Le débat à l'Assemblée n'a pas contribué à rendre le projet de loi plus opérable

Au titre des changements qui tendent à rendre le projet de loi encore plus complexe dans sa mise en œuvre on peut noter ce qui suit :

  • Sur l'article 1er "Affichage informant le consommateur sur les caractéristiques environnementales, ou environnementales et sociales, de biens ou de services", les députés ont souhaité également qu'il tienne compte de l’ensemble des impacts environnementaux, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre, d’atteintes à la biodiversité et de consommation de ressources naturelles. Ou encore pour les produits agricoles, sylvicoles et alimentaires, que cet affichage prenne en compte l’ensemble de leurs externalités environnementales ;
  • Sur l'article 4, portant sur l'interdiction de la publicité des énergies fossiles, il a été proposé de créer une amende sanctionnant le manquement à l’obligation d’accompagner toute publicité en faveur des véhicules terrestres à moteur d’un message encourageant l’usage des mobilités actives, ou partagées, ou des transports en commun ;
  • Sur l'article 13 prévoyant la mise à disposition de pièces détachées pour certaines catégories de produits, les députés ont proposé l'extension de l’obligation de proposer des pièces de rechange issues de l’économie circulaire à la place de pièces neuves pour les produits précédemment mentionnés avec introduction de sanctions administratives en cas de non-respect ;
  • Sur le volet social, notons que des dispositions paraissent éloignées des préoccupations sur le climat comme le respect du principe de parité femmes-hommes pour la nomination des deux personnalités qualifiées au sein des CREFOP ou la question de l’harmonisation et au renforcement de la réglementation sociale applicable au transport routier de marchandises à l’échelle européenne ;
  • Sur le volet transports, on note que les députés ont parfois choisi des formulations plus strictes que le texte présenté par le gouvernement. Par exemple : Article 27 : Création et mise en œuvre des zones à faibles émissions mobilité, les députés ont ajouté :
    • Encadrement plus strict des possibilités de dérogation à la mise en place d’une ZFE-m ;
    • Extension des restrictions de circulation dans les ZFE-m aux véhicules utilitaires légers ;
    • Fixation du contenu des mesures de restriction par le maire ou le président d’EPCI ;
    • Rapport du Gouvernement au Parlement sur la possibilité d’étendre le dispositif d’interdiction aux services aériens de fret entre Paris–Charles-de-Gaulle et les métropoles situées à moins de 2 h 30 en train.
  • ​Sur le volet logement, on note aussi des mesures plus complexes à mettre en œuvre : Mise en place d’un nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) à double seuil pour mesurer la performance énergétique d’une part, et l’émission de gaz à effet de serre des logements d’autre part. Insertion, dans le DPE, d’une évaluation de la qualité de l’air intérieur ;
  • S'agissant de l'artificialisation des sols, notons l'Inscription dans la loi d’un objectif concret et contraignant d’absence de toute artificialisation nette des sols à l’horizon 2050. Ou encore l'obligation d’étude sur l’optimisation des constructions tenant compte de la qualité urbaine, de la préservation et de la reconquête de la biodiversité et de la nature en ville pour toute action ou opération d’aménagement faisant l’objet d’une évaluation environnementale ;
  • Sur le volet alimentation, enfin, les dispositions se sont multipliées notamment dans la restauration collective qui ne vont pas en simplifier la gestion, exemple : Ajout des produits issus du commerce équitable à la liste des produits éligibles en restauration collective considérés comme durables et de qualité.

Conclusion

Il faut attendre la version définitive du texte, une fois son passage au Sénat effectué, pour mesurer les conséquences concrètes sur la vie des Français des changements apportés par cette loi.

Le texte, qui prévoit un nombre consistant de décrets et qui couvre des domaines extrêmement étendus, vise des objectifs souvent souhaitables et témoigne en général de bonnes intentions. L’enfer en est pavé. Mais elle prend peu en compte les effets négatifs induits : des logements plus coûteux et différents de ceux que veulent les Français, une énergie et une alimentation plus chère, une obligation à renouveler une grande part du parc automobile français… Plus subtilement, elle renforce la prise en main de l’Etat sur le mode de vie courante des Français et leur infantilisation, au lieu de faire appel à leur jugement et leur responsabilité.  Elle se traduira par de nouvelles normes et contraintes sur notre économie. La création d’un délit général de pollution et un délit de mise en danger de l'environnement constitue l’exemple type avec une extension « criminalisée » du principe de précaution qui cause déjà beaucoup de dégâts à notre économie. Tout cela va brider encore un peu plus l'innovation et l'emploi en France alors même que le sujet de la réindustrialisation est dans tous les discours.

Contrairement aux promesses initiales du quinquennat, aucun plan équivalent de simplification n’est adjoint à cette loi. Emmanuel Macron semblait pourtant avoir compris la leçon en déclarant le 15 avril 2021 à CBS « Si vous allez au Palais de l’Elysée pour dire : maintenant, il va falloir vous adapter et payer plus cher, je peux vous assurer que vous allez augmenter les inégalités. J’admets avoir fait une erreur de ce genre en 2018 ».