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Le vrai visage des SAFER

Avec l’ISF et les 35 heures, les SAFER sont une troisième spécialité française unique en Europe. Ses partisans avaient imaginé que nos voisins s’empareraient rapidement de cette idée. Mais malgré les campagnes de promotion des SAFER à l’étranger, en plus d'un demi siècle, aucun pays n’avait franchi le pas, sans doute peu convaincus par nos résultats. Le nouveau gouvernement de Pologne considéré comme "ultraconservateur" et cherchant à "barrer la route aux agriculteurs étrangers" vient de décider de s'aligner sur la France et de contrôler les moindres détails du marché des propriétés agricoles, pour des raisons aussi troubles que dans notre pays. On croyait pourtant la Pologne définitivement vaccinée contre l'économie administrée par l'État. 

Dès la création des SAFER en 1960, leurs objectifs étaient ambigus : d’une part empêcher l’agrandissement des exploitations par des investisseurs (avec le cas emblématique du haras projeté par Jean Gabin), et d’autre part favoriser l’agrandissement des exploitations existantes (on était en pleine activité de remembrement). Avec comme résultat des actions tous azimuts de plus en plus incontôlables (voir ci-dessous : Quelques nouvelles des SAFER françaises). 

Pologne : la tentation SAFER

Depuis leur entrée dans l’Union européenne (UE), les agricultures des ex-pays d’Europe de l’Est (Allemagne de l‘Est, Pologne, Roumanie, Hongrie …) se développent fortement, et le niveau de vie des agriculteurs s’améliore rapidement grâce à leur progrès de productivité et aux subventions européennes. La PAC 2015-2020 leur est très favorable puisqu‘elle aligne progressivement le niveau des subventions de ces pays sur celui des anciens pays de l’UE.  

La situation serait donc excellente mais ces pays redoutent de voir leurs propriétés agricoles achetées par des voisins étrangers au pouvoir d’achat élevé. Au moment de leur entrée dans l’UE ces nouveaux pays avaient obtenu un moratoire de douze ans sur ces possibilités d’achat par des étrangers, en principe libres en Europe. Ce moratoire arrivant à son terme, le nouveau gouvernement polonais a décidé de créer une loi de type SAFER à la française qui pourrait offrir une façon opaque de contourner la règle européenne. En France aussi, très peu d’étrangers réussissent à acheter des propriétés agricoles malgré leurs prix très attractifs, parce qu’il leur est très difficile de comprendre les arcanes des « autorisations d’exploiter », des « contrôles des structures » et des « SAFER », et parce qu’ils ne sont sans doute pas accueillis favorablement par ces organismes. La tentation est généralement de favoriser les « personnes du coin », plutôt que celles d’autres départements, en contradiction avec la Constitution française. 

La crainte des Polonais est compréhensible et, dans une ambiance très protectionniste, voire nationaliste, une partie de l’opinion est favorable à interdire l’accès des étrangers au marché des propriétés foncières. Mais la bonne solution aurait été de négocier à Bruxelles une prolongation du moratoire, surtout pas de plonger durablement l’agriculture polonaise dans les mêmes problèmes que la nôtre. Mais les organismes agricoles polonais (ex. chambres d'agriculture) ont tout de suite vu le pouvoir que leur procurerait le contrôle du marché des propriétés agricoles, et ont immédiatement fait étendre aux Polonais la régulation visant les étrangers. Cette règlementation, ouvertement hostile aux autres européens, est non seulement illégale en Europe, mais va semer la zizanie dans les campagnes polonaises et handicaper l'agriculture polonaise comme elle le fait en France. L’opposition parlementaire s’étant déclarée hostile à cette nouvelle loi, on peut espérer pour la Pologne qu’elle ne s’appliquera pas aussi longtemps qu’en France (55 ans déjà).

Depuis longtemps les SAFER se sentent isolées en Europe et cherchent à convaincre les pays étrangers de mettre en place des organismes similaires, sans succès dans l’Europe de l’ouest. Servir de modèle à la Pologne comme l'affirme la ministre polonaise de l'Agriculture, au moment où sa politique est généralement décrite comme extémiste est clairement embarassant pour la France.

La plupart des pays ont déjà des règles de sauvegarde, capables d’éviter des achats massifs de terres. Ces lois sont similaires à celles qui permettent aux pays de protéger quelques entreprises critiques (ex. défense, énergie) mais aucun pays ne les applique en agriculture au niveau de détail de la France. Dans son enquête de 2015, la FNSAFER a constaté, par exemple, qu’en Allemagne en 2014, les gouvernements n’étaient intervenus que sur 225 dossiers d’exploitations agricoles sur 39.561 ventes, contre plus de 10.000 interventions en France concernant 80.000 hectares. Vu de loin, des lois peuvent être présentées comme très proches, mais être en réalité complètement différentes.  D'un côté une assurance pour des cas très critiques, de l'autre une bureaucratie tatillonne et handicapante. 

Quelques nouvelles des SAFER françaises

  • La SAFER de Basse Normandie condamnée pour tromperie

Après quatre ans de procédures judiciaires, la Justice vient de condamner la SAFER de Basse Normandie. Dans le jugement rendu le 26 février, dont Capital.fr s’est procuré une copie, le Tribunal de grande instance d’Argentan (Orne), a fait annuler la vente du haras et a simultanément condamné pour tromperie le vendeur, la SAFER de Basse Normandie (SAFER), chargée de la commercialisation du bien. Le vendeur, la SAFER, n’avait pas averti l’acheteuse de ce petit haras et de ses 2,5 hectares, de l’installation d’une centrale éolienne (10 éoliennes géantes à 100 mètres de la propriété). Un fait dont il serait étonnant que la SAFER n'ait pas eu connaissanc vu le nombre de ses informateurs sur le terrain. Sur les 530.000 euros de cette vente, la SAFER devait percevoir 30.000 à 40.000 euros de commission, et réussissait à se débarrasser d’une propriété dont on se demande pourquoi elle en était devenue propriétaire et dont la valeur a sans doute été sérieusement réduite après ce fiasco. 

  • La SAFER du Centre privée de 696.000 euros de commission

Pour l’État français et les régions qui déploient des efforts importants pour attirer des investisseurs étrangers, l’achat par un entrepreneur chinois de 1.700 hectares de terres agricoles dans la région Centre est un succès. Le blé qui continuera à être produit sur cette propriété par des Français étant destiné à la Chine, ses exportations garanties sont positives pour notre balance commerciale en déficit. D’autant plus qu’avec la modernisation des agricultures de l’ex. URSS et d’Amérique du sud, la tendance est à la surproduction au niveau mondial. Mais cet investissement étranger a soulevé de vigoureuses protestations de la Fédération nationale des SAFER. Un des arguments est que cette vente « contredit la politique agricole française, décidée en 1960, d’exploitations familiales où le travail, les décisions et les capitaux sont fournis par un ménage d’agriculteurs ». Une référence inquiétante, laissant supposer que le monde agricole pourrait suivre un seul modèle et n’aurait pas été révolutionné depuis 56 ans par des changements tous azimuts (technologies, besoins en compétences et en capitaux, marchés, travail du conjoint …). Si cette politique a été plus ou moins confirmée dans les récentes lois sur l’avenir de l’agriculture (2009, 2014), cela montre le manque de vision ou de courage des responsables politiques et syndicaux. Et explique aussi pourquoi toute une partie de notre agriculture est en crise récurrente.

Le prix annoncé de la vente étant de 7.000 euros par hectare, un prix habituel dans cette région, ce contrat porte donc sur 12 millions d’euros. L’acheteur chinois et les vendeurs français s’étant mis directement d’accord sur les termes du contrat, les collectivités locales ont pu percevoir les taxes légales sur les mutations au taux de 5,8%, soit 696.000 euros. Un taux certes excessif, mais une taxe qu’il est préférable de voir bénéficier au budget des collectivités locales du secteur, plutôt que d’être perçue par la SAFER qui aurait certainement aimé s’introduire comme intermédiaire dans cette transaction.  

Le sujet des achats étrangers est aussi particulièrement sensible dans le domaine viticole. En 2012, l’achat par un investisseur chinois du Château Gevrey-Chambertin avait déclenché une vive polémique, même si le château était en très mauvais état et que le domaine se limitait à deux hectares. Après enquête, il semble que ce riche investisseur (propriétaire de casinos à Macao) soit aussi un très fin amateur et connaisseur des vins français. Achat personnel ou pour le businnes, seul l'avenir nous le dira, mais il ne faut pas oublier que les investissements étrangers (encore très marginaux, rappelons-le) peuvent avoir un impact très positif pour la réputation des vins français à l’étranger. Dans ces pays, ils confortent l’idée que les vins français ont quelque chose d'extaordinaire, une réputation bien nécessaire face à la montée en puissance de bons et très bons vins dans de nombreux pays du monde (Italie, Espagne, Chili, Afrique du sud, Etats-Unis, Chine… ). Être perçu comme exceptionnel, voire incontournable, est un atout évident face à la concurrence (ex. Apple, Hermès, BMW).

De très nombreuses entreprises françaises investissent en Chine et de plus en plus d’entreprises chinoises investiront en France. Une évolution naturelle et souhaitable puisqu’elle crée des intérêts communs entre pays, entreprises et personnes.