Actualité

Éoliennes marines : les consommateurs condamnés à vingt ans

Élisabeth Guigou, députée socialiste de Seine-Saint-Denis, a osé, le 22 juillet 2014, poser officiellement la question à son gouvernement : combien coûtera l'électricité produite par les nouvelles centrales éoliennes marines (environ 200 éoliennes) commandées en mai 2014 par le gouvernement ?

Réponse du gouvernement : quatre fois plus que l'électricité produite en France par des moyens classiques.

La transition énergétique est annoncée comme l'axe central des politiques des prochaines années, devant non seulement restructurer notre économie, mais aussi révolutionner notre mode de vie. Les Français ont donc de fortes raisons de s'y intéresser. Pour qu'ils puissent adhérer à ce projet, le minimum est que toutes les informations nécessaires soient disponibles de façon transparente. En ce qui concerne les éoliennes marines, fer de lance des énergies renouvelables en France, c'était jusqu'à présent le « secret défense ». La taille de leurs pales et de leurs mâts, leur puissance, leur production annuelle, le nombre d'emplois qui seraient créés, les implantations des usines de production, on savait tout, sauf le coût de l'électricité qu'elles produiront. La surtaxe que les consommateurs auront à payer pendant des décennies dépendant directement du prix auquel EDF est obligée d'acheter toute leur production, ce sujet les concerne pourtant directement.

PDF - 32.3 ko
Question d'Elisabeth Guigou au gouvernement, et réponse du gouvenement

Le projet de loi sur la transition énergétique ayant déjà été présenté en juillet au conseil de ministres et devant être discuté en octobre 2014 à l'Assemblée nationale, il y avait vraiment urgence à obtenir une réponse à la question posée par Élisabeth Guigou.

Prix d'achat de l'électricité produite par les éoliennes marines

C'est le gouvernement qui fixe les prix d'achat par EDF ou GDF de toutes les nouvelles énergies qui, n'étant pas compétitives (solaire, éolien, biogaz, hydrolien, géothermie, biocarburant, ….), ne seraient pas choisies par les distributeurs ni par la quasi-totalité des clients. Ces prix sont disponibles sur le site du ministère de l'Énergie depuis plusieurs années et sont régulièrement mis à jour.

En ce qui concerne l'éolien marin le prix avait été fixé en 2007 par arrêté ministériel à 130 euros par mégawatt-heure (MWh), chiffre confirmé en 2008. En 2011, les réponses au premier appel d'offres pour quatre centrales éoliennes d'une centaine d'éoliennes chacune, ont obtenu des prix tout à fait différents, de l'ordre de 215 euros par MWh (le prix actuel de l'électricité en France est d'environ 45 euros par MWh). En 2014, la réponse officielle faite à Élisabeth Guigou annonce un prix de 221,7 euros par MWh, en 2022 au moment de la mise en production de ces machines. Un prix qui n'indique aucune baisse des coûts malgré les milliers de machines déjà construites à cette date [1]. Le prix de l'électricité « classique » pour 2022 est estimé par le gouvernement actuel à 53,7 euros par MWh, soit quatre fois plus faible que le prix de l'électricité éolienne marine.

Coût complet de l'électricité éolienne marine

La production des éoliennes marines étant aléatoire et donc pas du tout coordonnée avec les besoins des consommateurs, son utilité est moindre que celle des centrales qui peuvent être activées en fonction de la demande. Faute de pouvoir stocker l'électricité [2], 1) une partie de leur production est inutile, 2) des capacités de secours (centrales au gaz) doivent être maintenues en réserve pour les cas où la production éolienne est insuffisante, et 3) le réseau électrique doit être profondément restructuré pour pouvoir gérer des sources d'électricité intemittentes.

Au total, on estime que le coût brut des MWh éoliens doit être multiplié par deux pour avoir son coût complet : chaque MWh éolien marin ne coûte donc pas quatre fois plus cher que les MWh classiques, mais huit fois plus.

« Le ministre danois du climat et de l'énergie prêt à mettre au rancart les centrales éoliennes »

The Copenhagen post, 3 mars 2014 (Danish energy minister ready to scrap wind farms)

Le Danemark est un pays leader au niveau mondial dans le domaine des éoliennes. L'entreprise Vestas est souvent citée comme le plus important fournisseur d'éoliennes terrestres, et Dong comme le plus important fournisseur d'éoliennes marines. Malgré cela, le ministre de l'énergie danois a déclaré :

« Le coût de l'énergie éolienne doit fortement baisser, ou le gouvernement ne fera pas construire de nouvelles centrales éoliennes dans le futur. Bien que le gouvernement veuille plus d'énergie éolienne, il ne veut pas payer n'importe quel prix. Je suis désolé que le prix pour la centrale existante de Anholt soit si élevé. Je pense que payer 1,05 couronne par kilowatt-heure est trop cher. Nous avons besoin d'un objectif clair de prix significativement plus bas pour les futures centrales offshore. »

Note du journaliste du Copenhagen post : le prix de l'électricité sur le marché danois est de 0,25 couronne par kWh.

Note de l'iFRAP : le prix contre lequel le ministre danois se révolte est équivalent à 141 euros par MWh contre 221 en France.

Une taxe durable

Ce prix de 220 euros étant garanti pendant vingt ans aux entreprises productrices, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) estime à 654 millions d'euros par an, soit 13 milliards d'euros au total, le montant de la taxe « éolien marin » qui pèsera sur les futurs consommateurs. Avant de lancer de nouveaux appels d'offres pour plus de centrales éoliennes marines, le Parlement et le Gouvernement doivent s'interroger sur ces montants au moment où ils se sont convaincus que le niveau de vie des Français est insuiffisant, et que celui des prélèvements obligatoires est insupportable.

Une filière pourtant en difficulté

Au-delà de la production d'électricité renouvelable, l'objectif de ces plans était de créer de toute pièce en France une filière industrielle mondiale. Mais AREVA a annoncé pour 2013 des pertes dans sa branche énergies nouvelles, notamment dans le secteur solaire à concentration qu'elle a décidé d'abandonner. Et ayant aussi essuyé des pertes dans sa filiale éolien marin sur des centrales à installer en Allemagne [3], AREVA a décidé de s'associer à 50/50% avec l'entreprise espagnole GAMESA possédant l'expertise technologique et l'expérience sur les champs éoliens en mer.

Le président de l'autre producteur français d'éoliennes marines, ALSTOM, avait déclaré, avant son rachat partiel par GE, que si aucune des centrales éoliennes du second appel d'offres ne lui était attribuée, son outil industriel ne serait pas rentable. Aucune ne lui a été attribuée. Dans l'accord avec GE, le gouvernement a bien obtenu que cette activité soit isolée dans une filiale où ALSTOM reste majoritaire par rapport à GE qui a abandonné ce secteur, mais le sentiment général est qu'elle sera en effet tellement « isolée » qu'elle sera difficilement viable. Une proposition de regroupement de l'ensemble des éoliennes françaises chez AREVA avait été envisagée. Mais AREVA ne s'est pas déclarée intéressée, et ce regroupement est devenu encore plus compliqué depuis sa coopération avec GAMESA.

Lunidi 8 septembre : Technip ferme son activité dans l'éolien en mer créée en 2011 et qui emploie 200 personnes au Royaume-Uni.

D'autres subventions

En plus de ces prix de vente très élevés, la filière éolienne marine bénéficie de diverses subventions, notamment dans le domaine de la recherche. Ces subventions portent par exemple sur les navires techniques nécessaires à la pose et à l'entretien des éoliennes en mer, sur les éoliennes flottantes, sur les techniques d'ancrage des éoliennes sur les fonds marins ou sur les méthodes de raccordement des éoliennes et de transfert de l'électricité produite au réseau existant. Des subventions plus justifiées que les prix d'achat actuels puisqu'il s'agit de projets de recherche qui pourraient peut-être un jour rendre cette activité compétitive et fournir à nos entreprises un avantage concurrentiel par rapport aux constructeurs déjà établis comme Vestas (Danemark) ou Siemens (Allemagne).

Conclusion

Soit les prix d'achat accordés aux producteurs d'électricité éolienne offshore en France sont anormalement élevés par rapport aux tarifs étrangers [4], et il est urgent de dénoncer les contrats existants. Soit ils sont similaires, et il faut aussi dénoncer les contrats existants qui conduisent à un prix huit fois supérieur au prix actuel, et concentrer les financements publics sur la recherche. Quand le prix de la baguette de pain est de 1 euro, que dirait-on d'un gouvernement qui contraindrait les consommateurs à la payer 8 euros ?


[1] Les éoliennes marines en question mesurent 150 à 180 mètres de haut. Étant constituées d'un millier de tonnes de béton et d'acier, et de moteurs et de générateurs électriques classiques, et leurs implantations posant des problèmes spécifiques pour chaque centrale, une baisse drastique des coûts semble peu vraisemblable avec les technologies actuelles.

[2] Le seul stockage opérationnel est celui de remontée d'eau par pompage dans des barrages. Une solution efficace, utilisée en France mais où il n'existe (contrairement à la Suède ou au Canada) que très peu d'autres sites favorables à cette technique.

[3] AREVA, quoique leader mondial dans le domaine nucléaire, y rencontre déjà de très sérieux problèmes. La question se pose de savoir ce qu'elle fait dans les autres énergies, sinon se plier aux ordres des responsables politiques.

[4] De nombreuses publications font en effet état de prix très inférieurs à l'étranger (140 à 160 euros / MWh).