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Electricité : une crise programmée par nos gouvernements

Des risques de pénurie d’électricité ont été annoncés pour cet hiver par RTE, filiale réseau de transport d’électricité d’EDF. Mais plusieurs signaux confirment que la situation est déjà très tendue cet automne sur le marché « spot » de l’électricité, avec de sérieuses conséquences sur le niveau de vie des consommateurs européens. Crise importée, ou créée de toutes pièces en Europe ?

Prix de l’électricité

Les prix spot sont les prix établis sur le marché de l'électricité le jour J pour le lendemain. Pour se protéger contre des variations brutales de court terme, la plupart des fournisseurs souscrivent des contrats d’achat à moyen et long terme auprès de producteurs. Sur tous les marchés (blé, gaz, électricité, sucre..), le niveau de prix des contrats à moyen et long terme finissent par s’aligner sur les prix spot. En France, même les tarifs EDF régulés par l'Etat étant fonction des prix spot, le coût du "bouclier" de Jean Castex protégeant les consommateurs contre les augmentations de prix de l'électricité va devenir rapidement insupportable, passant de 4 à 12 milliards sur l'année.  

En France et en Europe, des fournisseurs qui s’étaient peu protégés par des contrats à moyen et long terme ont mis fin à leur activité, ou ont proposé des augmentations de prix à leurs clients, ou ont été mis en faillite par cette brutale augmentation des prix spots.

Au sortir de la phase aigüe de la crise du COVID, l’activité économique n’ayant pas encore retrouvé son niveau de 2019, le marché français et européen de l’électricité devrait être encore paisible. Il est en réalité bouleversé en matière de prix, d’indépendance de la France et d’émission de CO₂ comme le résume le tableau ci-dessous.

Situation électrique française en novembre 2021 par rapport à novembre 2019

Consommation

Prix pic de consommation

Prix creux de consommation

Indépendance

CO₂

Inférieure
de 3 %

Plus élevé
de 5 à 8 fois

Plus élevé
de 3 à 7 fois

Importatrice au lieu d’exportatrice

Augmentation de l’utilisation des fossiles

Note : Les diagrammes ci-dessous sont publiés par RTE qui fournit de remarquables données en temps réel et historiques sur la consommation d’électricité en France, son prix, son mode de production et les échanges avec l’étranger.

 

  • Consommation

Pour deux jours similaires (jeudi 21 novembre 2019 et jeudi 25 novembre 2021) les courbes de consommation d’électricité sont très voisines, et les pics de consommation à 19 heures aussi :  76.550 Mw en 2019 contre 77.500 Mw en 2021.

Le jeudi 25 novembre 2021, les prix maximum des Mwh sur le marché européen, vers 19 heures, sont cinq fois supérieurs à ceux de 2019 à une date et heure comparables (soit 330 €/Mwh vs. 70 €/Mwh). Le 25 novembre n’est pas un cas particulier, les données sont très voisines les autres jours depuis la rentrée de septembre. A titre de comparaison, EDF cède le quart de sa production nucléaire à ses concurrents au prix de 42 €/Mwh, correspondant à peu près à ses coûts.

Cet écart est choquant, mais le plus étonnant est qu’il est encore plus fort (7 fois) au moment où la consommation est la plus  creuse (soit 280 €/Mwh vs. 40 €/Mwh). 

  • Prix français

En 2019 comme en 2021, les prix maxi (375€ /Mwh) français sont les plus élevés d’Europe. Les courbes complètes fournies par RTE montrent que c’est la même chose toute la journée, même si les prix mini sont très proches dans toute l’Europe.  

  •   Emissions de CO₂

RTE fournit le niveau d’émission de CO₂ par Kwh pour les productions d’électricité réalisées en France. Depuis deux ans, au moment du pic de production, il a baissé de 80 à 79 grammes de CO₂ par équivalent kilowatt heure (g CO₂ eqkWh) soit de 1,25%. Dix ans auparavant, le 22 novembre 2012 ce taux était de 77g CO₂ eqkWh, ces taux instantanés sont très variables.

Mais RTE fournit aussi les productions de l’électricité par filière, pour les mêmes journées que ci-dessus (jeudis 21 novembre 2019 et 25 novembre 2021). La baisse d’utilisation en France du charbon et du fuel est compensée par l’augmentation des importations provenant majoritairement d’Allemagne, dont les émissions de CO₂ ne sont pas prises en compte deans les chiffres de RTE.

Filières de production d’électricité à partir d’énergies fossiles en Mw

 

Charbon

Fuel

Gaz

Importation

Total

2019

1748

510

8283

5446

15987

2021

665

204

8283

8211

17363

 

  • Balance commerciale

L’exportation d’électricité était un point fort de notre commerce extérieur. En novembre 2019 et 2021, des périodes de début de forte consommation et de prix élevés en Europe, ce n’est plus le cas.  

  • Pourquoi ?

La consommation d’électricité n’ayant pas augmenté en 2021 et le Covid n’ayant détruit ni centrale ni réseau électrique, la cause de cette explosion des prix est ailleurs. En France, le plan de 2017 annonçant une baisse régulière de la consommation d’électricité a envoyé un mauvais signal aux acteurs. Il a sans doute poussé à la fermeture sans précautions de centrales à charbon et au fuel, et des deux réacteurs nucléaires de Fessenheim.

Des retards dus au Covid dans la maintenance de réacteurs nucléaires sont aussi mis en avant. En Europe, c’est aussi l’arrêt de centrales nucléaires, à lignite et à charbon, notamment en Allemagne, qui constitue le principal problème. La perspective d’arrêt d’autres centrales nucléaires en Belgique, Espagne et Suisse est inquiétant pour les années à venir.   

Les engagements pris imprudemment, dans les réunions internationales, par les responsables politiques pour le prestige, ou pendant les campagnes électorales pour gagner les élections, sont très risqués. Le minimum serait de ne pas se référer aveuglément aux études de scientifiques et d'économistes "aux ordres" des ministres. 

Comme pour tous les produits indispensables qui se raréfient et viennent à manquer, l’augmentation de leurs prix est pratiquement sans limite, surtout s’ils ne sont pas stockables. Un rappel sévère que leur production doit être gérée avec prudence, que les délais de remise en route des centrales nucléaires sont exposés à divers aléas, et qu’aucun pari sur la bienveillance du climat, une baisse éventuelle de la consommation d’électricité en France ou la sollicitude des pays voisins ne devrait être pris par le gouvernement.