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Electricité : comment la baisse des prix... cache une hausse de 221%

Depuis le début de l’année les responsables politiques européens poussent un soupir de soulagement, car la hausse des prix de l’énergie, n’est, semble-t-il, plus qu’un mauvais souvenir. A-t-on vraiment raison de se réjouir et de considérer que le pire est derrière nous et que nous pouvons en fait envisager notre moyen terme énergétique avec beaucoup plus de sérénité qu’il y a six mois ? La réponse est malheureusement non, mais pour le comprendre il faut s’écarter de l’immédiat court terme et prendre du recul par rapport à la mesure des prix. Car l’optimisme actuel met en danger aussi bien les ménages que nos entreprises.

Actuellement, malgré la mise en place très laborieuse du Mécanisme de Correction du Marché (en vigueur depuis le 1er février), le prix du gaz, après avoir dépassé 300 euros/MWh fin août 2022, se traine maintenant en dessous de la barre des 50 euros. De même, le prix de l’électricité en France (le baseload N+1), après avoir explosé tous les records à plus de 1 100 euros/MWh, navigue maintenant paisiblement en dessous de 150 euros/MWh.

La crise énergétique de 2022 n’a rien à voir avec celle de 2008

L’angoisse par rapport à la hausse des prix s’explique par la survenance d’un phénomène qui n’avait jamais été enregistré auparavant en Europe, même pendant la grande crise financière de 2008. Pour la comprendre, il suffit de comparer les chiffres :

Prix de gros

Maximum 2008

Maximum 2022

Ecart 2022/2008

Elec FR             €/MWh

93

1130

+ 1 211 %

Elec ALL           €/MWh

90

985[1]

+ 1 093 %

Charbon          $/tonne

217

325

+ 150 %

Gaz                   €/MWh

43

302

+ 709 %

Pétrole            $/baril

146

127

- 12 %

Carbone          €/tonne

29

98

+ 332 %

N.B. : Elec : Prix de gros en base à 1 an/ Charbon : Rotterdam / Gaz : PEG / Pétrole : Brent / Carbone : ETS à 1 an

Ces chiffres montrent que la crise de 2022 est d’un tout autre niveau financier que celle de 2008[2]. On ne peut même plus parler de crise en l’occurrence mais d’un tsunami spéculatif, qui ne peut se justifier uniquement par les angoisses générées par le conflit ukrainien. En effet, au milieu de cette explosion des prix, on constate que deux marchés non pas été si déstabilisés que cela, à savoir celui du charbon et surtout celui du pétrole, dont le niveau 2022 est resté inférieur à 2008. La spéculation a donc profité de la fragilité des nouveaux marchés développés par l’Union européenne, ceux du gaz, du carbone et de l’électricité, qui ne disposent pas des effets stabilisants joués par les acteurs oligopolistiques des deux marchés les plus anciens. L’Union européenne va donc débattre pendant encore de longues semaines de la nécessité de réformer son marché de l’électricité et incidemment ceux du gaz et du carbone, mais ce qui est clair c’est que le résultat constaté en 2022 est insupportable et inacceptable.

Et ce résultat est d’autant plus inacceptable, qu’il sert actuellement à cultiver l’autosatisfaction des gouvernements et de la Commission Européenne sur le fait que la crise énergétique n’est plus qu’un lointain souvenir.

Loin d’être sortis de la crise, nous sommes en plein dedans

Quand on regarde les prix actuels et que l’on se rappelle de ceux qui ont été enregistrés aux pires moments de juillet et août 2022, on revient incontestablement de loin !

Prix de gros

Maximum 2022

Mars 2023*

Ecart 2023/2022

Elec FR             €/MWh

1130

172

- 85 %

Elec ALL           €/MWh

985

136

- 86 %

Charbon          $/tonne

325

132

- 60 %

Gaz                   €/MWh

302

47

- 84 %

Pétrole            $/baril

127

75

- 42 %

Carbone          €/tonne

98

88

- 10 %

*Cours au 17 mars 2023

En quelques semaines, la plupart des prix ont baissé, avec une belle homogénéité, entre - 60 et - 85 %. Deux exceptions toutefois. L’une est logique, c’est le pétrole, car il avait moins progressé que les autres énergies, et l’autre tient à des variables à la fois politiques (discussions sur la réforme de l’ETS) et financières (spéculation sur un marché qui présente des enjeux majeurs au niveau des futures politiques d’action climatiques).

Seulement il y a une faille dans le raisonnement car la baisse des prix, notamment celle de -86 % sur l’électricité en France, n’est pas calculée sur les prix de la crise de 2008 (pour rappel 93 euros) mais bien sur les prix de la crise de 2022 (soit 1 100 euros).

C’est un problème car les éléments extrêmes constatés en 2022, ne peuvent constituer une situation permanente, car ils sont insoutenables, y compris pour les spéculateurs, et ils ne peuvent donc constituer une référence historique.

Pour analyser correctement le niveau actuel des prix, il faut cesser d’être hypnotisé par ces extrêmes et en revenir aux fondamentaux qui prévalaient avant l’émergence de la crise énergétique qui s‘est développée à l’automne 2021, c’est-à-dire bien avant la crise ukrainienne.

Comparons donc les prix actuels avec ceux qui avaient cours au début de 2021, en évitant par contre la référence avec ceux de 2020 qui avaient été artificiellement déprimés par les conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19.

Prix de gros

Mars 2021

Mars 2023*

Ecart 2023/2021

Elec FR             €/MWh

53

172

+ 221 %

Elec ALL           €/MWh

48

136

+ 182 %

Charbon          $/tonne

69

132

+ 91 %

Gaz                   €/MWh

17

47

+ 185 %

Pétrole            $/baril

66

75

+ 13 %

Carbone          €/tonne

37

88

+ 134 %

*Cours au 17 mars 2023

Qu’en conclure ? Que les prix actuels sont, à l’exception du pétrole, entre + 100 et + 220 % plus élevés que les fondamentaux qui avaient cours avant la crise énergétique de l’automne 2021, et donc leur niveau repose sur des causes structurelles qui avaient été relevées à l’époque et qui avaient déjà généré des appels à la réforme des marché énergétiques de l’Union européenne.

Il s’agit donc de revoir complétement la politique d’approvisionnement en énergie fossile de l’Union et de sortir le plus rapidement possible de cette incohérence consistant à vouloir fournir l’Europe sur la base de marchés spots. Il faut également prendre conscience que l’abandon du gaz russe et le virage pris en faveur du gaz naturel liquéfié va créer une élévation définitive du prix du gaz importé en Europe. Ceci conduit donc à la nécessité de diminuer rapidement son utilisation et d’accélérer l’électrification de l’économie européenne, ce qui implique, en particulier, un recours renforcé à l’énergie nucléaire.

Si les gouvernements ne tiennent pas compte de cette triste réalité, nous allons vers un désastre tant sur le plan social au niveau des ménages, que sur le plan industriel avec la perte de compétitivité que cela implique et donc vers une reprise inexorable des processus de délocalisation.


[1] A remarquer que l’écart significatif entre les prix français et allemand tient aux problèmes rencontrés par le parc nucléaire d’EDF.

[2] Et pourtant en 2008, le prix de 92 € avait conduit au Tartam, puis un peu plus tard à la mise en place de l’Arenh.