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Deutsch Bahn NETZ : un modèle pour RFF et la SNCF

Depuis les Assises du ferroviaire, la question du retour à une intégration Réseau ferré de France (RFF)/SNCF agite le monde des transports. Le modèle allemand de holding rassemblant les activités de gestionnaires d'infrastructure et d'opérateurs de transports a retrouvé des admirateurs. Mais pour transposer ce modèle en France, il faut regarder ce que cela implique.

L'ancienne ministre de l'Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet avait organisé à l'automne dernier les Assises du ferroviaire, sorte de grand-messe qui devait permettre de définir un avenir à la filière et donner les grandes lignes de son organisation. A cette occasion, avait été invité Rüdiger Grube, président de la Deutsch Bahn (DB), pour présenter les résultats très positifs de la réforme ferroviaire allemande.

En 1993 le transport ferroviaire dans ce pays était assuré par deux compagnies publiques qui se partageaient alors le marché à l'Ouest et à l'Est, respectivement la Bundesbahn, et la Reichsbahn. Elles devaient faire face à deux problèmes majeurs qui étaient la baisse importante des parts de marché du ferroviaire et des résultats financiers largement déficitaires (33 milliards d'euros de dettes). La réunification allemande a permis de trouver une nouvelle organisation mise en place début 1994 capable de résoudre ces deux problèmes, après la fusion de la Bundesbahn et de la Reichsbahn, qui peut se résumer ainsi :
- Un domaine « entrepreneurial » responsable du transport, des voies, des activités commerciales avec création d'une holding la Deutsche Bahn AG. La DB est une société anonyme dont le capital en actions est détenu à 100 % par l'État fédéral et sa composition est la suivante :

  1. DB Netz (infrastructure)
  2. DB Station & Service (gestion des gares)
  3. DB Bahn (grandes lignes)
  4. DB Regio (transports régionaux)
  5. DB Schenker (ex-DB cargo, transport de fret)

- Un domaine public avec Eisenbahn-Bundesamt (EBA) et Bundeseisenbahn-vermögen ( BEV) :

  1. EBA (sécurité)
  2. BEV (administration de la dette et des personnels)

Dans cette réforme le législateur a appliqué trois principes clairs :
- Libéralisation complète du marché ferroviaire
- Régionalisation et rationalisation du financement
- Claire séparation des responsabilités entre l'État et les acteurs ferroviaires

La BEV dépend du ministère des Transports et est, tout comme RFF en France, une structure de défaisance pour la dette ferroviaire. Elle reprend à sa création la dette des anciens chemins de fer estimée à 66 milliards de Deutschmarks (33 milliards d'euros).

Elle est aussi l'autorité de tutelle du personnel : à l'occasion de la réforme il est décidé que les nouveaux cheminots seront sous contrat privé et les anciens cheminots au statut de fonctionnaires seront "loués" à la DB. L'objectif est clairement de se rapprocher des conditions d'exploitation du privé. En 1991, les cheminots étaient au nombre de 426.000. Lors de la réforme de 1994, on comptait 108.000 fonctionnaires pour 244.000 employés contractuels. Aujourd'hui, on compte 37.000 fonctionnaires et 181.000 employés contractuels. L'effet de la réforme de 1994 sur le secteur des transports ferroviaires peut se présenter ainsi :

Transport ferroviaire de marchandises (en Mds-Tonnes-km)

19942010Variation
Volume global 70.6 107.3 + 52 %
DB 69.8 80.4 + 15 %
Opérateurs concurrents * 0.8 26.9 + 25 %

Le seul fret des opérateurs privés en Allemagne correspond au volume de fret total en France.

Transport passagers (Mds-passagers-km)

19942010 Variation
Volume global 65.2 83.1 + 27 %
Opérateurs concurrents la concurrence sur ce secteur n'est que marginale, inférieure à 1%

Transport régional (Mds-trains-km )

19942010Variation
Volume global 502 634 + 26 %
DB 490 497 + 1.5 %
Opérateurs concurrents 12 137 + 22 %

Malgré l'ouverture à la concurrence le chiffre d'affaires de la DB est en augmentation

Données financières (en Md€) :

1994 2010Variation
CA de la DB 14.8 34.4 + 132 %
Fond fédéraux affectés 20.4 16.9 (- ) 17 %

Investissements avant/après la réforme (en Md€)

1970>19931994>2010
Investissements 52 sur 24 ans 125 sur 17 ans

L'organisation française actuelle ne ressemble pas du tout au modèle allemand : en France RFF est un EPIC distinct de la SNCF créé en 1997 avec pour objectif de :

  1. réorganiser le rail français pour se mettre en conformité avec la directive européenne 91-440
  2. soulager la SNCF d'une partie de la dette, 20 milliards d'euros, liée à l'infrastructure en la transférant à RFF
  3. mettre en place une organisation avec RFF en tant que gestionnaire du réseau et la SNCF qui serait gestionnaire délégué (RFF a la responsabilité de l'infrastructure mais n'a pas les personnels pour l'entretien, pas plus que les horairistes pour les sillons etc.) Ce schéma ne donne satisfaction ni à la SNCF ni à RFF. C'est pourquoi Guillaume Pepy plaide pour une organisation à l'allemande avec une intégration de l'infrastructure, alors qu'Hubert du Mesnil, patron de RFF, plaide, lui, pour une véritable séparation des entités en récupérant tout le personnel de la SNCF travaillant pour RFF dans le cadre de la gestion déléguée.

On se doute que dans ce contexte, la Cour européenne de justice qui s'apprête à juger l'Allemagne (mais aussi 12 autres pays dont la France) pour une implémentation incomplète du premier paquet ferroviaire européen (directive européenne 91-440) qui prévoyait une séparation stricte entre réseaux et activités opérationnelles, va voir sa décision examinée de près. Il faut croire que le texte n'était pas suffisamment précis car des différences d'interprétation subsistent, comme le souligne Hervé Mariton [1] : "Tant que le droit communautaire laissera perdurer la possibilité de regrouper dans un holding l'infrastructure et les services de transport, il demeurera toujours un doute quant à la non-discrimination." Ce qui est le cas en Allemagne, où des opérateurs privés ont porté plainte pour un traitement non équitable en ce qui concerne l'accès au réseau. C'est ce que le tribunal administratif fédéral a retenu contre la DB en octobre 2011 pour pratiques discriminatoires lors de l'attribution de sillons. Cette décision a de facto repoussé la sortie du quatrième paquet ferroviaire à début 2013.

Ces problèmes amènent à relativiser les avantages d'une intégration complète, mais si de tout façon on veut transposer le modèle allemand en France, il faut le faire jusqu'au bout c'est-à-dire avec reprise de la dette ferroviaire par l'État ; abandon du statut public pour une partie des agents et ouverture effective du marché sur tous les segments. Vaste programme.

[1] Rapport d'information de l'Assemblée Nationale du 1 février 2012.