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Comment fournir l'électricité dont le monde a besoin ?

Quels choix pour la France ?

L'accroissement considérable de la production d'énergie électrique dans le monde au cours des 25 prochaines années (70% dans le scénario nominal retenu par l'Agence Internationale de l'Energie) montre l'intérêt de faire les bons choix pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Le rapport de la Cour des comptes publié en janvier 2012 sur "Le coût de la filière électronucléaire" vient d'apporter des précisions très attendues sur ce sujet.

C'est pourquoi il est intéressant de comparer toutes les filières technologiques de production d'électricité, en partant de celles qui sont le plus utilisées actuellement et en couvrant bien entendu toutes les nouvelles énergies renouvelables.

Les centrales électriques à charbon : 40% de la production mondiale

Le charbon se trouve partout en grande quantité et est un moyen simple et économique pour satisfaire en toute sécurité les besoins en énergie électrique des pays en voie de développement. Selon l'AIE le rendement moyen mondial des centrales à charbon est de 30%. En Europe ce chiffre est de 38%. L'amélioration de l'efficacité énergétique des centrales existantes est donc un axe de progrès important, les centrales les plus récentes atteignant 45%. Si le rendement moyen des centrales à charbon était amélioré de 5 points les émissions de CO2 du secteur électricité baisseraient de 8%. Le deuxième axe de progrès serait d'abaisser le coût des procédés de capture et de stockage du CO2 (CSC), qui sont trop pénalisants pour pouvoir être déployés à grande échelle.

Les centrales électriques à turbine à gaz : 20% de la production mondiale

Les turbines à gaz en cycle simple sont peu coûteuses à construire et elles ont l'avantage de démarrer très rapidement ce qui permet de suivre les besoins de la consommation. Mais leur rendement ne dépasse pas 35%. Avec des centrales à deux cycles on obtient plus de 50%. Le gaz naturel est le plus propre des combustibles fossiles, mais pour limiter les émissions de gaz à effet de serre il faudra, là aussi, développer les procédés de CSC.

Les centrales nucléaires : 15% de la production mondiale

Les principaux pays producteurs sont par ordre décroissant les États Unis, la France, le Japon, l'Allemagne, la Russie et la Corée du Sud. La Chine et l'Inde ont un important programme d'investissement en cours. Il y a actuellement 442 réacteurs produisant de l'électricité dans 31 pays, dont une centaine aux Etats Unis. L'Europe produit le tiers de l'électricité nucléaire mondiale. Un gramme d'uranium 235 fournit la même quantité d'électricité que 2 tonnes de fuel ou 3 tonnes de charbon, sans émission de CO2. Les réserves de combustible sont d'un siècle au minimum avec les centrales d'aujourd'hui et elles deviennent millénaires avec les réacteurs surgénérateurs capables de recycler les déchets des centrales actuelles.

Les centrales hydrauliques : 15% de la production mondiale

L'hydraulique est de loin, et pour encore longtemps, la première source d'énergie renouvelable. L'hydroélectricité fait l'objet d'investissements importants en particulier en Asie et en Amérique Latine.

Les éoliennes : 2% de la production mondiale

Parmi les énergies renouvelables cette technologie est considérée comme mature.

Cependant elle pose certains problèmes :

  • l'énergie dépend de la puissance et de la régularité du vent et est donc fournie de manière intermittente : on compte en moyenne sur un fonctionnement à pleine puissance de 2400 heures par an, ce qui oblige à disposer d'autres sources de production en complément,
  • les éoliennes génèrent des nuisances visuelles et sonores et des conflits d'utilisation de l'espace terrestre ou marin.

La puissance délivrée par une éolienne récente est de l'ordre de 2 MW. Les projets d'éoliennes offshore devraient mettre en œuvre des turbines de 5 à 10 MW, le principal intérêt de ces installations étant de pouvoir obtenir un fonctionnement de 3 à 4000 heures par an à pleine puissance. Les éoliennes sont exploitées dans des parcs contenant de 10 à 50 équipements pour faciliter le raccordement au réseau et éviter le mitage du paysage. En France des zones de développement éolien ont été instaurées qui permettent de bénéficier de l'obligation d'achat par EDF de l'électricité produite.

  • Le prix du MWh éolien terrestre est estimé dans les conditions décrites à 74 €. Il faut disposer en complément pour assurer une fourniture continue d'énergie, dans une solution sans nucléaire, de centrales à gaz qui vont fonctionner 6000 heures par an . Sur la base du gaz à 6,5$/MBtu le prix du MWh est de 65 €, ce qui donne un mix éolien/gaz à 67 €. Mais le prix du gaz sur le marché international est en train de baisser à 3,5$/MBtu ( sauf en France où nous avons des contrats d'approvisionnement à long terme ) ce qui donne un MWh à 50 € et par conséquence un mix gaz/éolien à 56 €.
  • Le prix du MWh éolien offshore est estimé à 118 €. On a alors un mix gaz/ éolien à 83€ avec le gaz cher et 73€ avec le gaz pas cher. Les trois pays disposant de la plus importante puissance installée sont les Etats Unis avec 35 GW, suivis de la Chine et l'Allemagne avec 26 GW.

Le solaire photovoltaïque : en devenir mais à quel prix ?

La production d'énergie électrique à partir de l'énergie solaire est négligeable au niveau mondial (moins de 2 millièmes), mais le potentiel de développement est intéressant. En effet l'énergie solaire captée par la terre en une heure équivaut à la totalité de l'énergie consommée par l'homme en un an. Deux technologies sont disponibles :

  • la plus répandue est le photovoltaïque non concentré. On obtient des rendements de 12 à 20%,
  • le photovoltaïque à concentration utilise un miroir parabolique ou une lentille de Fresnel qui focalisent les rayons du soleil sur une petite cellule à haute performance capable d'absorber l'énergie solaire dans la totalité du spectre. On divise par 500 à 1000 la surface des capteurs photovoltaïques, ce qui baisse leur coût. Mais on doit en contrepartie orienter précisément les miroirs vers le soleil. Les rendements obtenus avec cette technologie sont de 25 à 35%.

Les principales limites au développement de l'électricité solaire photovoltaïque sont, d'une part, son prix qui est beaucoup plus élevé que celui de l'électricité produite avec les énergies fossiles et, d'autre part, la faible densité énergétique du rayonnement solaire qui conduit à déployer les panneaux solaires sur de vastes espaces.

Situation de la France : le parc nucléaire

Avec une puissance installée de 63 GW en 2011, le parc nucléaire français est le deuxième au monde. Il compte 58 réacteurs répartis sur 19 sites et assure 80% de la production électrique. La standardisation du parc français, dit de deuxième génération, s'est organisée en cinq paliers successifs :

  • Palier CP0 : 6 réacteurs, dont 2 à Fessenheim qui sont les plus anciens,
  • Palier CPY : 28 réacteurs,
  • Palier P4 : 8 réacteurs,
  • Palier P'4 : 12 réacteurs,
  • Palier N4 : 4 réacteurs.

Les paliers se distinguent par des augmentations de puissance de 900 MW pour les premiers, puis 1300 MW et 1450 MW pour le dernier et diverses évolutions technologiques au niveau de la réalisation de l'enceinte de confinement, du circuit primaire de génération de vapeur et de la chaîne de contrôle/commande numérique des réacteurs. Un réacteur de 1650 MW est en construction à Flamanville. C'est un réacteur de troisième génération, l'EPR, qui bénéficie d'un niveau de sécurité accru avec deux épaisseurs d'enceinte de confinement et une peau d'étanchéité ainsi que des redondances des circuits critiques. Ce réacteur devrait être mis en service en 2014.

Le parc nucléaire français a une moyenne d'âge de 24 ans, les premières centrales en fonctionnement atteignant leur trentième année de production. L'allongement de la durée de vie des centrales au-delà de 30 ans est un enjeu économique majeur. La réglementation française ne fixe pas de durée de vie maximale mais oblige EDF à faire valider tous les 10 ans une autorisation d'exploitation par l'ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) après une visite approfondie des installations. Suite à l'accident de Fukushima, l'ASN a demandé à EDF de faire évoluer la sûreté des anciens réacteurs pour les rapprocher de celle des EPR, ce qui correspond à un investissement important mais justifié si la durée de vie des centrales actuelles était prolongée.

Le recyclage du combustible nucléaire et les centrales de quatrième génération

Le combustible MOX (Mixed OXyde fuel) est un mélange d'oxyde d'uranium et d'oxyde de plutonium u tilisé dans certaines centrales nucléaires pour limiter la consommation d'uranium naturel en recyclant les combustibles usés qui contiennent 97% de matière recyclable. Ceci présente trois avantages principaux :

  • la limitation des quantités de plutonium produit par les centrales. En effet un réacteur qui fonctionne avec 30% de combustible MOX consomme autant de plutonium qu'il en produit, ce qui contribue à l'effort de stabilisation des stocks de matière nucléaire,
  • la réduction par 10 de la toxicité à long terme des déchets et par 5 de leur volume,
  • des économies importantes d'uranium enrichi et donc d'uranium naturel.

Ce combustible est utilisé depuis 35 ans dans les réacteurs à eau légère qui constituent l'essentiel du parc nucléaire mondial et notamment 36 réacteurs en Europe, dont 20 en France.

Les recherches internationales en cours visent à développer des réacteurs nucléaires de quatrième génération qui constituent une rupture en termes de rendement, de longévité et de sûreté. Ils seraient mis en service vers 2040. Ces réacteurs à neutrons rapides exploitent la fertilité de l'uranium 238 naturel qui, irradié par des neutrons rapides, est converti en plutonium 239 fissile. Avec la même quantité d'uranium, on peut produire 50 à 100 fois plus d'électricité que dans les centrales actuelles. La ressource d'uranium deviendrait alors millénaire.

Ces systèmes à neutrons rapides permettent en effet le bouclage complet de l'aval du cycle du combustible par un multi-recyclage du plutonium, ce qui préserve les ressources en uranium. Dans les réacteurs actuels à eau pressurisée, le recyclage du plutonium est limité à un cycle sous forme du combustible MOX. L'un des grands enjeux des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides est de faciliter la gestion des déchets radioactifs en réduisant le volume et la radio-toxicité intrinsèque à long terme des déchets ultimes, qui retrouveraient le niveau de radioactivité de l'uranium naturel au bout de 300 ans.

La France, forte de l'expérience acquise dans la conception de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium au travers des programmes Rapsodie, Phénix et Super Phénix a lancé le démonstrateur Astrid, placé sous la responsabilité du CEA, dont la mise en service est prévue en 2020.

Les coûts de production de l'énergie électrique

La Direction de l'Énergie au Ministère de l'Industrie entreprend tous les 3 à 5 ans l'étude des coûts de référence de la production électrique, qui est une évaluation du coût complet du mégawatt-heure (MWh) électrique issu des différents moyens de production. S'agissant d'informations commercialement sensibles pour les moyens de production centralisés (centrales à charbon, à gaz et nucléaires), les résultats sont publiés en valeur relative, la base 100 étant retenue pour une centrale nucléaire de type EPR mise en service en 2020. Les principales hypothèses sont un taux de rentabilité de 8% pour le capital investi, un prix de charbon à 60 Euros/tonne, de gaz à 6,5 $/MBtu et d'uranium à 52 $/lb. Les résultats sont présentés sans appliquer de pénalités sur les émissions de CO2.

Les moyens de production comparés sont une centrale EPR de 1650 MW, une centrale à charbon pulvérisé et traitement des fumées de 900 MW et une centrale à gaz de 450 MW fonctionnant en base, c'est-à-dire 8760 heures par an. Les résultats relatifs sont 100 pour le nucléaire, 110 pour le charbon et 125 pour le gaz, mais alors que pour le nucléaire la répartition entre l'amortissement de l'investissement et le combustible est de 75/25, elle est de 25/75 pour le charbon et le gaz.

Pour une durée annuelle d'appel inférieure à 5000 heures par an les centrales à gaz sont plus compétitives que les centrales à charbon et les centrales nucléaires. Leur coût de référence est alors de 150, ce qui est l'hypothèse à retenir lorsque la centrale à gaz est utilisée conjointement à des moyens de production électrique utilisant de l'énergie renouvelable comme les éoliennes. Mais les surcapacités de production de gaz que l'on constate actuellement ont fait baisser le prix du gaz par un facteur deux aux Etats-Unis par rapport aux hypothèses retenues dans l'étude de la Direction de l'Energie, ce qui rend la filière gaz particulièrement compétitive aujourd'hui. Dans l'hypothèse d'une taxe de 20 Euros/tonne de CO2, les coûts du MWh seraient grevés de 15 Euros pour le charbon et 7 Euros pour le gaz, tandis que le nucléaire ne supporterait aucun surcoût.

La production hydroélectrique sort du cadre de l'étude de la Direction de l'Energie car chaque barrage est spécifique. Néanmoins pour la petite hydroélectricité, sur la base d'un fonctionnement de 3500 à 4000 heures par an, l'étude donne une fourchette de 60 à 120 Euros par MWh pour des petites puissances comprises entre 50 KW et 7,5 MW.

Concernant la production éolienne, pour une mise en service en 2012 d'une éolienne terrestre de 3 MW fonctionnant 2400 heures par an à pleine puissance, on a un coût de 74 Euros par MWh. Pour une éolienne en mer de 4 MW fonctionnant 3000 heures on obtient 118 Euros par MWh.

Enfin la production solaire photovoltaïque, pour une mise en service en 2012 d'une installation de 3 KW pour une maison individuelle dans un environnement où l'énergie solaire incidente correspond au nord de la France, a un prix de revient de 680 Euros par MWh. Pour une centrale solaire à concentration de 10 MW située dans un environnement du sud de la méditerranée on est à 230 Euros le MWh.

Quelle politique d'investissement en centrales électriques pour la France ?

Le parc nucléaire français est homogène et bien que les centrales aient été conçues pour une durée de vie de 30 ans EDF envisage de les faire fonctionner pendant 40 à 60 ans en faisant évoluer la sûreté des anciens réacteurs pour les rapprocher de celle d'un EPR. Compte tenu de la structure des coûts de production de l'électricité nucléaire où l'amortissement de l'investissement initial est prépondérant, la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires devrait permettre de produire de l'électricité de manière très compétitive.

Ceci permettrait d'attendre d'avoir les premiers retours d'exploitation de la centrale EPR de Flamanville avant de décider d'un lancement de tranches industrielles significatives d'un nouveau programme nucléaire. D'autant que par conception, du fait de son très haut niveau de sécurité, l'EPR devrait rester coûteux par rapport à ses concurrents directs qui sont l'AP 1000 américano-japonais (estimation de 55 dollars le MWh) et l'APR 1400 Sud Coréen (estimation de 42 dollars le MWh), ces comparaisons restant à vérifier lorsque plusieurs centrales seront en fonctionnement.

En parallèle les études des réacteurs surgénérateurs de quatrième génération doivent impérativement être poursuivies et il serait important de partager ces travaux de recherche avec des partenaires étrangers américains et japonais, comme il a été prévu dans les déclarations d'intention signées en 2010.

En dehors du nucléaire, il est souhaitable de modérer l'essor des équipements individuels photovoltaïques qui se fait au mépris de toute rentabilité grâce à des subventions payées par la collectivité à travers une péréquation des prix de l'électricité qui a ses limites. L'éolien terrestre et offshore est une solution pour développer les énergies renouvelables, mais elle est coûteuse et ceci d'autant plus que son caractère intermittent oblige à mettre en réserve une capacité équivalente en centrales à gaz ou en centrales nucléaires. D'un strict point de vue économique, les centrales à gaz offrent pour la période à venir un très grand intérêt à cause de leur coût de production très compétitif tant que le gaz est bon marché. C'est la voie retenue par l'Allemagne, qui n'a pas investi dans les centrales nucléaires de troisième génération. Mais l'association gaz/éolien fournira à l'Allemagne une électricité plus chère que celle du parc nucléaire français actuel, dont on aura prolongé la durée de vie.

Concernant le coût du MWh nucléaire qui vient de faire l'objet du rapport de la cour des comptes, on a selon différents modes de calcul les résultats suivants (extraits du rapport) :

  • 33€ du MWh de cout comptable sans reconstitution du capital nécessaire à la préparation de l'avenir,
  • 38€ du MWh avec investissement de 3,7 G€ par an nécessaire au prolongement à 40 ans de la durée de vie des centrales actuelles et quelques EPR en remplacement des plus vieilles centrales en fin de vie.

Les coûts ci-dessus incluent les dépenses futures de démantèlement sur la base de 21G€ pour la totalité du parc et de gestion et stockage des déchets pour 30 G€.

La comparaison brutale des coûts de l'énergie nucléaire à celle d'un mix gaz/éolien est éloquente. Le nucléaire en outre n'émet pas de CO2.

Le choc pétrolier de 1973 avait poussé le gouvernement français à lancer un vaste programme de construction de centrales nucléaires pour garantir notre indépendance énergétique. Cette décision politique devrait continuer à nous rapporter des dividendes jusqu'en 2040, pour peu que l'on sache expliquer aux Français leur intérêt bien compris, dans un contexte où les risques ont toujours été correctement maîtrisés.