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Agriculture : plan de relance, ou dose de calmant ?

Avec 1,2 milliard d’euros, l’agriculture française recevra 1,2% des 100 milliards du plan de relance annoncé par le gouvernement. Une proportion proche de son poids dans l’économie (1,4%), plutôt inespérée pour un secteur ayant moins souffert de la crise de la Covid-19 que de nombreux autres. Sur les deux années du plan de relance (2021-2022), ces 1,2 milliard d’euros restent minimes (3.000 euros par exploitation), par rapport aux 18 milliards que les agriculteurs français recevront de la nouvelle PAC. Plus encore que dans les autres secteurs, ce n'est pas des miliards d'un plan de relance dont l'agriculture française a besoin, mais d'un plan de retructuration.    

Situation en 2020

Pour l’agriculture française, la situation en 2019 aura été classique : baisse de 1,8% du nombre d’exploitations, baisse de 1,6% de la production de la branche agricole hors subvention, et niveau de subvention PAC inchangée à environ 9 milliards d’euros.  

La situation en 2020 ne sera pas meilleure. Le marché des vins et alcools est pénalisé par la faiblesse de la consommation liée à la crise économique mondiale, et aux mesures de taxation prises par les Etats-Unis. Un secteur clef puisque, sans son excédent, notre balance commerciale agricole serait déficitaire chaque année. La production de céréales baissera de 20% à cause des conditions climatiques, comme celle de betteraves à cause du puceron noir. Et la peste porcine en Chine qui soutenait les cours, commence à se résorber.

Comme le remarque le rapport du Sénat du 30 mai 2019, de tous les indicateurs, le plus inquiérant est la fin de notre excédent commercial agro-alimentaire, non pas avec la Chine ou le Brésil, mais avec les pays européens. 

PAC 2021-2027

La construction de la nouvelle PAC a été compliquée par le BREXIT et la perte de la contribution britannique au budget de l’UE. En 2019, le Parlement européen et la Commission en fin de mandats, n’ayant pas réussi à se mettre d’accord, avaient renvoyé les décisions aux nouveaux élus. Après quatre jours et quatre nuits classiques de réunions tendues, Julien Denormandie, ministre français de l’agriculture a pu annoncer le 21 juillet 2020 :

« Grâce à la mobilisation de la France, le budget de la PAC augmente de près de 22 milliards d’euros par rapport à la proposition de la précédente Commission. L'enveloppe allouée à la France pour la période 2021-2027 est maintenue à hauteur de 62,4 milliards d'euros. »

Concrètement, la France qui avait reçu 62 milliards sur les 7 ans précédents, recevra 62,4 milliards pour les prochains 7 ans. Apparemment la même somme, mais diminuée de l’érosion due à l’inflation sur 8 ans. A l’intérieur de ce budget, les évoluions sont limitées, le premier pilier (paiements directs) perdant 1 milliard de 51 à 50, et le second (installation des jeunes agriculteurs, développement du bio, soutien aux zones défavorisées) en gagnant 1,4 de 10 à 11,4 milliards d'euros. En principe, chaque pays disposera de plus de latitude pour distribuer ses subventions, à condition de respecter les objectifs généraux fixés par Bruxelles. En pratique, les changements en France seront marginaux tant les besoins immédiats des agriculteurs en place sont pressants. Dans tous les secteurs (élevage, grandes cultures, viticulture, fruits et légumes…) les financements PAC sont des compléments de revnus, des aides sociales, pas des financements de plans d'investissements et de changements.    

Plan de relance

La nouvelle PAC n’est donc pas de nature à faire évoluer profondément notre agriculture pour la remettre au niveau de ses concurrentes européennes du nord (Allemagne, Pays-Bas, Danemark), du sud (Espagne, Italie) et de plus en plus de l’est (Pologne). Mais l’opportunité du plan de relance franco-européen pourrait-il servir de déclencheur ? Ses trois priorités et ses 19 plans d’action correspondent à des attentes des Français.  

  • Reconquérir notre souveraineté alimentaire ;
  • Accélérer la transition agroécologique au service d’une alimentation saine, durable et locale pour tous les Français ;
  • Accompagner l’agriculture et la forêt française dans l’adaptation au changement climatique.

Les 19 plans d’actions

M€

Formation à la négociation collective des organisations de producteurs

4

Campagne grand public sur les métiers et formations de l’agriculture
et de l’agroalimentaire

10

Bon bilan carbone

10

Opération 1000 restaurants durables

10

Accélérateur pour les entreprises d’agroéquipements et de bjocontrôle

15

Plan de soutien à l’accueil des animaux abandonnés et en fin de vie

20

Initiative jardins partagés

30

Opération paniers fraicheur

30

Programme plantons des haies !

50

Plan de restructuration des filières agricoles et alimentaires
Renforcement du Fonds avenir Bio

60

Plan de soutien aux cantines scoliares des petites communes

50

Crédit d’impôt pour la certification Haute valeur environnementale (HVE)

76

Partenariat Etat/collectivités au service des projets d’alimentation territoriaux

80

Aide aux investissements de protection face aux aléas climatiques

100

Plan bio-sécurité bien-être animal en élevage

100

Plan protéines végétales

100

Plan de modernisation des abattoirs

130

Prime à la conversion des agroéquipements

135

Plan de reboisement des forêts françaises et de soutien à la filière bois

200

Total

1.210

Objectifs   

Tous ces projets sont consensuels et utiles, mais on voit mal en quoi vont-ils permettre de résoudre les deux problèmes fondamentaux de notre agriculture :

  • Perte de compétitivité sur les marchés extérieurs ;
  • Revenus très insuffisants de 90% des exploitations agricoles.

Sans rétablissement de sa performance économique, notre agriculture ne sera pas en position de répondre aux souhaits des consommateurs français et étrangers. A titre d’exemple, les campagnes de promotion des emplois en agriculture resteront stériles tant que les revenus des exploitations resteront aussi faibles. En 2017, dernière année disponible sur Agreste GraphAgri, le résultat courant avant impôt par chef d’exploitation (actif non salarié) est de 1.750 euros par mois, subventions PAC inclues. Sur les 440.000 exploitations, environ le tiers, qualifiées de « petites », sont en réalité très petites. Sauf exception, elles ne peuvent générer que des revenus annexes. Le rapport Agreste ne donne d’ailleurs pas de chiffres de revenu moyen pour ces 130.000 exploitations. Très inférieur aux 1.275€ gagnés dans les entreprises moyennes, on l’estime à environ 500€ par mois. Dans les autres classes, les revenus moyens sont aussi très faibles pour rémunérer à la fois le capital et le travail de l’agriculteur, surtout pour des personnes qui travaillent 60 heures par semaine.

2017

Moyennes

Grandes

Très Grandes

En euros / mois

1.275

2.225

4.191

Nombre d’exploitations

132.000

151.000

25.000

 

Ce problème ne sera pas résolu par « un meilleur partage de la valeur » donc une augmentation générale des prix de nos produits agricoles qui perdent déjà en compétitivité à l’export, mais par une meilleure performance des exploitations agricoles. Soit par une spécialisation et la mise en valeur des qualités spécifiques des produits, soit par une efficacité accrue. Les deux pistes supposent l’utilisation de technologies de pointe (capteurs, robots, systèmes optimisés de distribution d’eau, d’engrais ou de produits phytosanitaires) pour soulager le travail des agriculteurs (faciliter le recrutement), économiser les intrants et assurer un traçage des productions.

Quelle que soit la taille des exploitations, les candidats à l’installation doivent être avertis que les investissements donc les capitaux nécessaires sont importants comme dans toute entreprise de production, surtout pour cette nouvelle agriculture de pointe. En réalité plus encore qu’ailleurs compte tenu des aléas climatiques ou de marché qui peuvent perturber les productions, dès les premières années. Devoir disposer de ces capitaux constitue un filtre utile : seuls ceux dont le business plan est solide devraient pouvoir convaincre les investisseurs de les soutenir.

Réformes de structure

La co-localisation entre la résidence familiale et l’entreprise familiale a des conséquences positives qui peuvent devenir négatives. Les enfants visualisent chaque jour l’activité de leurs parents, et y participent éventuellement. Leur futur peut leur sembler tout tracé, avant même d’avoir pris conscience de leurs propres talents et des autres opportunités. Reprendre l’exploitation et le logement familial apparaît souvent comme une facilité et un devoir. Même quand les goûts et les talents du repreneur sont optimums, reste le sujet des capitaux souvent très insuffisants pour dédommager les parents et les autres enfants, et investir pour faire franchir un nouveau palier à l’exploitation.

Les règles concernant les baux ruraux renforcent cet enfermement. Non seulement, l’enfant repreneur bénéficie ou « hérite » des terres de ses parents, mais aussi du droit d’utiliser indéfiniment les terres louées par ses parents. Ce droit a une valeur très importante, mais ne pouvant légalement pas être monétisé en France, il incite les familles à le conserver jalousement, et donc à faire reprendre l’exploitation par l'un de leurs enfants.

Au moment des nouvelles installations, pour des raisons sentimentales et objectives, le marché des exploitations agricoles est très fermé en France. Les chiffres fournis par le ministère des installations Hors cadre familial sont en progression (33%) mais concernent presque uniquement des exploitations de très faibles tailles, disposant de très peu de capitaux et pour un tiers à la limite de l’agriculture (élevages d’escargots, de poissons tropicaux, de chiens…)[1]. Ce marché est aussi fermé au moment du développement des exploitations, où les SAFER et le Contrôle des structures ne favorisent pas les entrepreneurs disposant de capitaux suffisants pour permettre de créer des exploitations capables d’expérimenter, d’entrainer les autres agriculteurs et de concurrencer les productions étrangères. Malgré les règles européennes, l’extrême difficulté que rencontrent les agriculteurs étrangers à s’installer en France, témoigne de cette fermeture du système, alors qu’ils pourraient apporter les capitaux et les méthodes nouvelles dont notre agriculture a un besoin urgent. 

Conclusion

Une fois dépensé le 1,2 milliard d’euros du plan de relance agricole, la situation de l’agriculture et des agriculteurs français sera inchangée. Le plan ne comporte d’ailleurs aucun objectif concernant leurs revenus ou la balance commerciale agricole. La spécificité française en matière de réglementation des entreprises agricoles (Projets agricoles départementaux, Plans régionaux d’agriculture durable, Schémas directeurs régionaux des structures agricoles, Contrôle des structures, SAFER, Baux ruraux) ne les protègent pas, mais les handicapent. Au lieu de subventions ce sont des réformes de fond dont l’agriculture française a besoin. Par exemple, un simple alignement sur les règles des pays voisins qui réussissent comme l’Allemagne malgré des atouts naturels inférieurs. On espère que le quatrième ministre de l’agriculture en trois ans (après Jacques Mézard, Stéphane Travert, Didier Guillaume, voici Julien Denormandie) a été nommé pour faire entrer notre agriculture dans le XXIème siècle.    


[1] Etude CNASEA « Le renouvellement des générations agricoles bientôt assuré par des citadins ? »