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Agriculture allemande : réussite de la start-up Martin

Coup de tonnerre dans le calme de l'été : en 2016 l'Allemagne va devancer la France pour la production et les exportations de blé. On savait que c'était déjà une réalité pour le lait et les porcs. Faudra-t-il attendre que ce soit aussi le cas pour le vin et les alcools pour agir ?

Pendant ce temps, les parlementaires français affolés par l'achat de 1.700 hectares de terres agricoles par une entreprise chinoise (la France compte 29.000.000 d'hectares de terres agricoles) raffinent des amendements pour contourner le droit de propriété et permettre la survie des organismes qui ont conduit notre agriculture dans cette impasse : contrôle des structures, autorisation d'exploiter, schéma directeur régional des exploitations agricoles, objectifs d'installation, SAFER... 

Avec ses 1.200 hectares, « l’agrarunternehmen » de Martin n’est pas représentative de la totalité de l’agriculture allemande, ni un objectif pour toute l’agriculture française. Mais il montre une réussite que les lois françaises s’emploient à interdire avec succès. Avec pour conséquences de brider les agriculteurs français les plus talentueux et les plus entreprenants, ce qui est injuste, et de pénaliser l’économie française, ce qui est inacceptable. L’aventure de cet agriculteur est instructive bien au-delà du monde agricole. 

Martin a grandi sur la ferme de ses parents dans ce qui était encore l’Allemagne de l’Ouest.  Avec 65 hectares, cette exploitation de taille moyenne ne pouvait pas occuper à la fois les parents et leurs enfants adultes. Après des années de stages en Allemagne et en France puis d’études, Martin est donc parti s’installer à l’Est, sur une cinquantaine d’hectares, au moment de la Réunification. Les terres agricoles étaient alors la propriété, soit de grands « kolkhozes », soit de tout petits propriétaires individuels (en 2016 Martin loue des terres à 150 propriétaires). Vingt-cinq ans plus tard, en achetant et en louant peu à peu des terres, il cultive 1.200 hectares produisant blé, colza, betteraves, soja et fraises. Si les méthodes de culture[1] et de commercialisation sont similaires à celles pratiquées en France pour des productions identiques, il existe de profondes différences entre les deux pays au niveau administratif.  

Contrôle des terres agricoles

En Allemagne, les achats et les prix des terres sont librement négociés entre vendeurs et acheteurs. Au-dessus de deux hectares, l’acheteur doit en principe être un agriculteur exploitant qualifié. En pratique, un investisseur peut aussi employer un exploitant compétent. Si les terres sont déjà louées, le locataire ne dispose pas de droit de préemption à l’achat mais son bail reste naturellement valide avec le nouveau propriétaire.

Dans la région où travaille Martin, le prix des terres  est similaire à celui pratiqué en France pour des terres de qualité aussi exceptionnelle. En dix ans, les prix ont augmenté de 9.000 à 18.000 euros, en fonction de la forte rentabilité de l’agriculture et du faible rendement des autres placements. 

Relations locataire-propriétaire

Les prix et les durées de location sont librement négociés entre le propriétaire et le locataire. Typiquement, les baux vont de 2 à 30 ans. Les droits des deux parties sont identiques : pendant la durée du contrat, le locataire et le propriétaire ne peuvent pas interrompre le bail sans obtenir l’accord de l’autre partie ; le contrat prend fin à la fin du bail.   

Types d’exploitations

Dans d’autres régions allemandes, les exploitations agricoles sont très différentes de celle de Martin. En Bavière par exemple, de nombreuses petites fermes sont exploitées par des personnes qui ont une autre activité professionnelle. Cette pratique à laquelle les Allemands sont très attachés est bien acceptée par la profession.  

Nombre d’actifs sur l’exploitation

En plus de Martin, cette entreprise emploie cinq salariés à plein temps, correspondant à la norme française des grandes cultures qui est de un actif pour 200 à 250 hectares. Environ trente saisonniers  sont recrutés surtout pour la saison des fraises.

Quatre retours d’expérience

Leçon 1 : le contrat plutôt que la contrainte

En Allemagne, le fonctionnement d’un marché normal des terres agricoles en vente ou en location permet aux meilleurs projets de se réaliser, et évite le coût, les délais, la fuite des investisseurs et les fraudes de nos systèmes administrés. En France dans tous les secteurs (ex. vente de fonds de commerce ou d'entreprises), la norme est la liberté du marché, mais pas pour les propriétés agricoles. Un secteur où la France rencontre précisément de multiples problèmes par rapport à ses voisins.   

Leçon 2 : respecter la variété des situations  

Le secteur agricole est particulièrement divers en Europe. Chacun doit être respecté comme le sont, en Allemagne, les petites exploitations en pluri-activités et les très grandes.

Leçon 3 : construire des exploitations résilientes

La taille de l'exploitation, les capitaux engagés, la diversification des productions permettent de résister aux mauvaises années (climatiques, niveau des cours). 

Leçon 4 : sans intérêt personnel pas de résultat[2]

Du temps de l’Allemagne de l’Est, le climat était déjà favorable à l’agriculture et la qualité des terres agricoles déjà exceptionnelle. Les techniques de culture modernes n’étaient pas secrètes. La taille des fermes était au moins aussi grande que celle de Martin, et le niveau d’instruction des Allemands était élevé. Mais ce qui manquait c’était l’intéressement individuel des acteurs. Très peu de personnes sont capables de se motiver durablement sans sanction positive ou négative, en fonction de leurs résultats. Une leçon à retenir pour l’agriculture mais aussi pour l’éducation nationale, les hôpitaux publics et la fonction publique en général.   

Leçon 5 : un État bienveillant mais source de dysfonctionnements

Martin emploie des saisonniers, notamment Allemands, Polonais et Roumains. A la différence des étrangers, les nationaux limitent leur activité pour éviter qu’un revenu trop élevé les prive de leurs indemnités de type RSA. Une situation connue également en France.  

Conclusion

La réussite de Martin s’apparente à celle des entrepreneurs qui ont créé en France des start-up comme Parrot, Criteo, BlaBlacar, 1000mercis, Directenergie et beaucoup d’autres, grâce à leur travail et leur talent. Interdire aux entrepreneurs du secteur agricole de faire grossir leur start-up jusqu’à la taille d’au moins une petite PME, c’est priver notre pays du dynamisme de personnes remarquables. Comme l'indique Jean Bizet, sénateur de la Manche en parlant du lait : "Une filière qui a été construite hier au seul prisme de l'aménagement du territoire, au détriment de toute vision de compétitivité...". Un constat qui est vrai pour de nombreuses autres filières agricoles françaises.     

Restauration, Vin: des entreprises modèles à base familiale 

Dans deux domaines typiquement familiaux à l'origine, des entreprises à base familiale ont réussi à se développer brillamment, créant de nombreux emplois et irriguant la France de leurs activités : la restauration et le vin. Dans la restauration, des entreprenuers plutôt cuisiniers (ex. Ducasse, Fréchon, Bras), ou  des entrepreneurs plutôt entrepreneurs (ex. Bernard, Boudronde, Blanc, Frères Costes) ont réussi et sont à la tête de plusieurs, parfois de nombreux établissements. 

Imaginons la situation s'ils avaient dû passer devant des commissions de contrôle des restautants ?

Wikipedia : Gilbert Costes est fils d'agriculteurs. Il étudie à l'école de son village puis arrive à Paris à la fin de son adolescence. Il poursuit alors ses études à Paris où il obtient son Certificat d'aptitude à la profession d'avocat puis un DEA de droit-privé. Perpétuant la tradition aveyronnaise, il commence sa carrière dans le restaurant Ambassade d'Auvergne près du centre Georges-Pompidou, comme « garçon de salle ». Puis, il devient gérant du café-tabac d'Orléans5 Mouton-Duvernet tout en menant ses études de droit.

Les Frères Costes ont géré jusqu'à 40 établissements. 


[1] Sur les plans sanitaires (suivis des traitements) et sociaux (temps de travail, SMIC), les lois sont  exigeantes et voisines de celles qui existent en France. Sur le plan fiscal et des charges sociales, elles semblent plus faibles mais ces points demanderaient une analyse très précise.

[2] Une règle très générale qui souffre de rares exceptions