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Éducation : la ministre favorable à l’autonomie des établissements, chiche ?

Après la Cour des comptes cet été, l’OCDE et son classement PISA en décembre 2023, le sujet d’une plus grande autonomie locale du système éducatif français revient sur la table… Cela, car un ministre de l’Éducation nationale y est, peut-être, pour la première fois, ouvertement favorable. 

Sur le sujet, les arguments de la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet ont été publiés en 2016 dans la revue Après-Demain, sous le titre, provocateur de « Supprimer le ministère de l’Éducation nationale ? À l’évidence il s’agit d’une provocation, mais une provocation source de réflexion !» La ministre y aborde la nécessité de renforcer la territorialisation, l’autonomie des établissements et le pouvoir de recrutement des chefs d’établissements ainsi que la meilleure prise en compte de la performance dans la rémunération des enseignants.

Seulement 3 ministre de l’Éducation nationale ont occupé une fonction de recteur

La nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet est agrégée de droit public (1992), professeure des universités, ancienne rectrice des académies de Limoges (1997-2000) puis de Toulouse (2000-2005) et ancienne présidente du Comité interministériel de pilotage pour la promotion de l’égalité des sexes dans les systèmes éducatifs (2000-2005). Elle a également été membre du PS (depuis 1983), vice-présidente du Conseil régional du Midi-Pyrénées (2010-2013), membre du Conseil constitutionnel (2013-2017) et Garde des Sceaux (2017-2020).  

Notons qu’elle n’est que le troisième ministre de l’Éducation nationale à avoir été recteur (avec René Haby, de 1974 à 1978, et Jean-Michel Blanquer, de 2017 à 2022) de la Vème République. 

Plus de responsabilité locale : « Le système éducatif français doit évoluer vers plus de décentralisation territoriale et fonctionnelle. »

Comme la Fondation, la ministre fait que le constat que « la gestion unique par l’État [du système éducatif] devient une exception » et qu’un « rapide regard sur les 35 pays membres de l’OCDE permet d’esquisser deux lignes directrices » où :

  • « partout les systèmes sont plus décentralisés qu’en France (dans plus des 3/4 des pays, les enseignants sont gérés au niveau local soit par les collectivités soit par les établissements) »
  • « partout les établissements sont plus autonomes (curriculum, recrutement des enseignants par les établissements, etc.) ». 

La ministre en tire la juste conclusion que le système éducatif ne peut plus être « gérer de façon pyramidale ». En effet, à l’heure actuelle, l’Éducation dite nationale est surtout le synonyme d’Éducation concentrée où l’État décide de tout et intervient à tous les niveaux via ses 1 145 services déconcentrés (18 régions académiques, les 30 académies, les 97 directions académiques et les 1 000 circonscriptions du 1er degré). En face, les questions matérielles ont été décentralisées selon une répartition unique au monde et qui ne répond à aucune logique d’efficacité où les communes gèrent les écoles, les départements gèrent les collèges et les régions gèrent les lycées. Ainsi, les grands établissements qui regroupent un collège et un lycée au sein d’une même structure, voient leurs questions matérielles gérées par deux entités différentes. Malgré ce manque de responsabilités, les collectivités assument tout de même 30% de la dépense totale.    

Si Nicole Belloubet pointe ensuite que les régions sont déjà largement compétentes en matière d’éducation, elle ne va pas jusqu’à poser la question de la régionalisation du système éducatif. Il s’agit pourtant du modèle préconisé par la Fondation IFRAP, inspiré de la méthode allemande qui reviendrait à charger les régions de financer la politique éducative et de subventionner les communes, chargées de la gestion (y compris du personnel) de tous les établissements scolaires du premier et du second degré de leur zone. Un modèle alternatif est proposé par le Royaume-Uni où ce sont des autorités locales (équivalent d’une intercommunalité) qui gèrent le système scolaire (moyens matériels humains, recrutement des enseignants avec les chefs d’établissements, gestion des dépenses) tandis que les établissements scolaires publics ont la possibilité d’opter pour un statut indépendant comme les établissements privés. Dans les deux modèles, l’État est le garant de l’égalité de répartition des moyennes et assure une mission de contrôles et d’unicité des programmes.  

Pour une autonomie des établissements : « C’est le chef d’établissement qui est le garant de l’unité et de la réussite de son équipe »

En France, les établissements scolaires publics n’ont presque aucune autonomie et les chefs d’établissements n’ont qu’un rôle de point de contact pour les parents. Pour les questions de gestion, ils doivent s’adresser au rectorat qui gère le corps enseignant (salaire, carrière, mobilité, inspection) et la collectivité référente pour les questions matérielles (cantine, ménage, etc). Cette passivité des établissements scolaires est une anomalie que l’OCDE a particulièrement mise en avant dans la dernière étude PISA qui déterminait que la clé d’une performance haute des élèves, c’est l’autonomie des établissements.

Ainsi, en France seulement 10% des élèves sont inscrits dans un établissement où le chef d’établissement est compétent pour recruter les enseignants… contre une moyenne de l’OCDE à 60% ! En 2016, Nicole Belloubet faisait le même constat et préconisait « une forte déconcentration des affectations et de la gestion des ressources humaines de plus de 800 000 enseignants. » La ministre, comme la Fondation IFRAP, identifiait que le chef d’établissement doit devenir le gestionnaire-manager central de l’établissement scolaire. Elle expliquait qu’il faut « conférer le pouvoir de choisir l’affectation de l’enseignant à celui qui a l’expertise pour ce faire au niveau où les besoins éducatifs sont le mieux identifiés. Même s’il faut un pouvoir régulateur de niveau supérieur, c’est le chef d’établissement qui est le garant de l’unité et de la réussite de son équipe ». 

Quand on voit toutes les difficultés à mettre en place une « autorité fonctionnelle » des directeurs d’écoles sur les enseignants du primaire, on comprend que la ministre touche là un grand point de blocage dans le milieu éducatif. Pourtant, ce refus d’accorder la gestion des établissements aux directeurs entretient un système où, au final, personne n’est responsable. Incontestablement, sur ce point, la France doit s’inspirer des chefs d’établissements de l’enseignement privé qui disposent de plus de pouvoirs pour gérer leur établissement et en échange, leur responsabilité est nettement plus engagée que dans le public. Les chefs d’établissement du privé ont ainsi le rôle de supérieur hiérarchique des équipes non enseignant et ne bénéficient pas de la protection du statut de la fonction publique puisqu’ils signent un contrat de droit privé et sont recrutés sur entretien avec l’autorité de tutelle (le propriétaire de l’établissement). La bonne gestion des comptes, l’entretien du bâtiment et sa propreté sont donc leurs prérogatives, mais leurs compétences vont plus loin. Ils sont chargés de recruter les enseignants contractuels et les enseignants remplaçants, ils font également passer des entretiens aux enseignants titulaires qui souhaitent changer d’établissement (selon un système de vœux). Une caractéristique que le ministère de l’Éducation reconnaissait, déjà en 2004, comme le gage d'« une plus grande cohésion de l’équipe pédagogique ».

Pour une rémunération à la performance des enseignants : « Rémunérer plus justement [les enseignants] et récompenser ceux qui s’engagent le plus »

Toujours en 2016, l’actuelle ministre de l’Éducation nationale estimait que « pour être créatifs, les enseignants doivent être considérés comme des cadres dans leur statut. » Sur ce point, l’OCDE pointait qu’en termes d’autonomie des enseignants sur les ressources pédagogiques, la France se place au-dessus de la moyenne (80% contre 76%). 

Sans surprise, la ministre estime que « des cadres considérés doivent être mieux rémunérés [et qu’]il n’est pas indécent de viser pour nos professeurs de l’enseignement scolaire des statuts financiers comparables à ceux des pays voisins ». Sur ce point, la formule relève plus du vœu pieux et il faut regretter que la ministre n’évoque pas directement la problématique du statut des enseignants qui tire les rémunérations vers le bas. Cela pour deux raisons :

  1. À cause de la masse salariale en jeu : avec 866 000 enseignants et 334 000 personnels non enseignants, la moindre politique de revalorisation salariale impacte de façon conséquente les finances publiques. Ainsi, la promesse de campagne d’Emmanuel Macron de revalorisations de « 100 à 300 euros nets par mois » équivaut à une dépense supplémentaire de 3 milliards d’euros pour l’État en 2023. Tout cela sur une masse salariale de 51 milliards d’euros. Ces dépenses salariales représentent 70% des moyens que l’État accorde à la mission d’enseignement scolaire, son plus gros budget. À ce niveau, augmenter le salaire de tous les enseignants de manière uniforme mettrait en péril nos finances publiques. Alors, depuis plusieurs années, les marges de manœuvre salariales se font sur des primes : ces dernières représentent désormais 12% de la rémunération totale des enseignants.
  2. À cause du poids des pensions des enseignants du public : si l’on compare le salaire moyen super brut (incluant les pensions) entre un enseignant du public en France et en Allemagne, on constate que la contribution aux pensions est deux fois plus élevée chez nous et se traduit par un écart de 11 250 euros par enseignant français et par an. Cela veut dire que si le salaire net d’un enseignant apparait plus faible en France qu’en Allemagne, c’est à cause des charges de retraites, car l’employeur public dépense, en réalité, plus pour un enseignant français que pour un Allemand (respectivement 78 479 contre 76 628 euros annuels). Au final, les retraites du personnel de l’Éducation nationale coûtent 22 milliards d’euros par an. Tant que la prise en charge de ce passif relèvera du ministère de l’Éducation nationale et en l’absence d’une réforme des retraites des agents publics (328 000 nouveaux enseignants partiront à la retraite d’ici 2030) toute politique de revalorisation du personnel enseignant sera vaine. 

Nicolas Belloubet affronte cependant un tabou concernant le salaire des enseignants en affirmant qu’il faut « les rémunérer plus justement et récompenser ceux qui s’engagent le plus et en premier les enseignants exposés à des situations particulièrement difficiles qui nécessitent des équipes stabilisées (éducation prioritaire, territoires isolés…). On pourrait aussi récompenser l’engagement dans la formation continue pour accélérer une véritable mutation culturelle. » En d’autres mots, conditionner une partie de la rémunération aux missions annexes et à la performance. Aujourd’hui, l’ancienneté est le critère le plus déterminant dans la rémunération d’un enseignant et les inspections, très rares, n’offrent quasiment plus la possibilité d’accélérer la progression salariale. Ainsi à échelon et service identique, la rémunération statutaire d’un enseignant est la même qu’il exerce à Paris ou en Auvergne, qu’il soit l’enseignant qui s’engage le plus dans son établissement ou le moins. Loin de cela, la grille salariale des enseignants est régionalisée en Allemagne et prend en compte les missions hors de la classe tandis qu’en Suède, les enseignants sont recrutés sous des contrats de droit public par les directeurs d’établissements et négocient leur salaire en fonction des besoins du marché et des finances de l’établissement.

Pour une meilleure prise en compte de la performance, la Fondation estime, comme la ministre, qu’il faut intégrer dans la rémunération une part variable et la lier aux résultats via des primes individuelles modulables. Le montant total des primes pourrait représenter 0 à 30 % du salaire annuel et elles seraient versées par le chef d’établissement après évaluation. Il disposera, pour cela, d’une enveloppe globale inextensible permettant de limiter les évaluations complaisantes. Il faudra, en parallèle, donner aux inspecteurs le rôle de médiateur en cas de conflit entre un enseignant et son chef d’établissement. Cette part variable pourra s’appuyer sur plusieurs critères parmi lesquels : l’assiduité des enseignants (absentéisme, remplacement de collègue, tâches administratives, rencontre avec les parents, heures de soutien…), l’engagement dans le projet éducatif et pédagogique de l’établissement, l’organisation d’activités extrascolaires, les résultats des élèves dans l’établissement et l’organisation d’évaluations nationales dans chaque matière en début et en fin d’année scolaire afin d’observer la progression de chaque élève au cours de l’année scolaire.

Qu’en conclure ? 

L’OCDE revendique l’autonomie des établissements scolaires comme un facteur de réussite des élèves depuis 2012. En France, la Cour des comptes préconise de repenser notre système éducatif au plus près des territoires et des établissements scolaires depuis 2013. Cela fait plus de 10 ans que les pistes pour réformer notre système scolaire sont connues et malgré cela, la dernière réforme structurelle du système date de 1989 et modifiait la formation des enseignants pour un modèle aujourd’hui complètement obsolète. À cause de cet attentisme, le chantier est désormais colossal, les résistances au changement particulièrement importantes et aucun gouvernement n’a le courage de s’y atteler. 

S’il faut se réjouir de voir nommer à la tête du ministère de l’Éducation nationale, un ministre favorable à la déconcentration du système éducatif et au renforcement de l’autonomie des établissements, la vérité est que tout reste à faire et qu’il ne lui reste que 3 ans pour entamer l’une des plus grandes réformes dont notre pays a besoin…