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La Cour des comptes pour la décentralisation de l'éducation ?

10 ans après son rapport appelant à Gérer les enseignants autrement, la Cour des comptes continue à sonner l’alarme sur l’état de notre système éducatif et préconise, dans son dernier rapport, de repenser son organisation au plus près des territoires. Sans aller jusqu’à proposer une décentralisation, la Cour des comptes appelle à une déconcentration de la gestion de l’Éducation nationale et notamment des effectifs vers les rectorats et les directeurs d’établissements.

Des propositions qui vont vers le bon sens et qui, sur le court terme, devraient flexibiliser le système… tout en rejoignant, sur le long terme, la position de la Fondation IFRAP qui propose de passer à une gestion locale et forfaitisée et à aligner les conditions d’emploi des enseignants :

  • En régionalisant l’éducation et donner la charge de tous les établissements scolaires aux communes,

  • En donnant l’autorité hiérarchique des chefs d’établissement sur tout le personnel,

  • En supprimant la règle du 80/20 qui limite le développement de l’enseignement privé,

  • En recrutant tous les nouveaux enseignants sous un contrat de droit privé,

  • En incorporant une part de 30 % variable de la rémunération et la soumettre aux résultats,

  • En annualisant le temps de travail et refonder le service obligatoire.

Selon les calculs de la Fondation iFRAP, ses recommandations doivent permettre de rationaliser les dépenses d’éducation de 10 milliards d’euros tout en dégageant une enveloppe de 6 milliards d’euros pour financer le coût des réformes et investir dans diverses priorités (rénovation, Éducation prioritaire).

La Cour des comptes favorable aux recrutements par contrat des enseignants

Sans surprise, la Cour des comptes revient sur le manque d’attractivité du métier et rappelle que cette problématique ne concerne pas uniquement les questions salariales, mais aussi, et surtout, un processus de formation initiale et de recrutement inadéquats, l’absence d’accompagnement pour les nouveaux entrants, une formation professionnelle trop éloignée des préoccupations réelles des enseignants souvent administrée par des enseignants qui ne font plus cours en classe depuis trop longtemps, des perspectives de mobilité complètement paralysées (sur le territoire ou entre établissements : par exemple, le statut bloque le transfert d’un enseignant de lycée professionnel vers un lycée polyvalent) et des évolutions de carrières soumises à un corps d’inspection débordé et soumis à des quotas. En conséquence, aujourd’hui « l’évaluation individuelle des enseignants, qui a pour finalité la gestion des promotions, l’emporte sur le contrôle de la qualité des enseignements. »

En plus de créer une insatisfaction chronique dans le corps enseignant, cette mauvaise gestion à des conséquences directes sur la qualité du service apporté aux élèves : ainsi, la Cour estime que sur les 4 milliards d’euros de coût total des absences des enseignants, un tiers de la note serait lié à une mauvaise gestion institutionnelle (formations et réunions planifiées sur le temps d’enseignement par exemple).

Le cœur du problème que la Cour attaque plus directement dans sa synthèse qu’ailleurs, c’est le concours et la titularisation qui se concentre plus sur la « vérification de l’acquisition de compétences disciplinaires » sans parvenir à y concilier « l’évaluation de la capacité professionnelle à enseigner ». La Cour rappelle également que ce « choix du concours comme mode principal de recrutement est minoritaire en Europe (avec l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg et l’Albanie) [et que] la plupart des pays exigent une formation initiale qualifiante pour l’enseignement, généralement de niveau master. ».

D’ailleurs ce mode de recrutement apparait déjà comme obsolète en pratique puisque, désormais, 20% des nouveaux entrants du second degré public et près de 60% des admis du second degré privé passent le concours interne aux personnels de l’Éducation nationale, c’est-à-dire qu’ils exerçaient déjà le métier d’enseignant sous le statut de contractuel, et ce, depuis plusieurs années. On compte près de 67 000 enseignants contractuels qui ont donc été embauchés via un entretien et ces non-titulaires représentent 5,5% des effectifs dans l’enseignement public et 23% dans l’enseignement privé.

Pour répondre à ces problématiques, le ministère envisagerait d’instaurer des bureaux RH de proximité ou d’ouvrir des services de recrutement dans les rectorats qui peinent à attirer les candidats à la titularisation… C’est loin d’être suffisant, mais heureusement la Cour va beaucoup plus loin de propose de :

  • « Permettre aux recteurs de mettre en œuvre des mesures et moyens financiers spécifiques, en expérimentant le recrutement sur diplômes pour une durée limitée de trois à cinq ans, au terme de laquelle l’enseignant pourrait bénéficier d’un contrat à durée indéterminée (CDI) ».

En d’autres mots, cela veut dire abandonner le concours et recruter sous contrat comme le pratiquent de nombreux pays déjà, une proposition défendue par la Fondation IFRAP depuis plusieurs années.

  • La Cour rejoint également les propositions de la Fondation en proposant de redéfinir les obligations de services afin de sanctuariser les temps d’enseignement et de limiter les absences institutionnelles des enseignants.

  • Pour sortir complètement de la logique de titularisation qui demande une égalité de traitement et pour remotiver les meilleurs éléments, la Fondation propose même d’aller plus loin et d’intégrer dans la rémunération une part variable et la lier aux résultats via des primes individuelles modulables. Le montant total des primes représentera 0 à 30 % du salaire annuel en fonction de l’assiduité des enseignants (absentéisme, remplacement de collègue, tâches administratives, rencontre avec les parents, heures de soutien…), l’engagement dans le projet éducatif et pédagogique de l’établissement, l’organisation d’activités extrascolaires, etc)

Est-il possible d’échapper à la contrainte des 99% de dépenses de l’État qui sont des dépenses de personnels ?

La Cour rappelle que la masse salariale des enseignants représente, respectivement, 99,8% et 99,7% des crédits accordés au 1er et au 2nd degré par l’État et à la rentrée 2021-2022, on comptait 1,2 million d’agents en poste à l’Éducation nationale dont 72% d’enseignants et 28% de personnels exerçant des missions d’assistance éducative, d’administration, de direction, d’animation pédagogique, de soutien à l’enseignement, d’inspection, etc.

Si la Cour pointe du doigt la politique de recrutement intense qui a été mise en place depuis 2013 (recrutement de 55 000 postes supplémentaires, vague de recrutements d’assistants d’éducation, transformation de contrats aidés en CDI, etc), elle souligne un emballement de la masse salariale qui a progressé « presque deux fois » plus vite que les emplois notamment à cause d’un « facteur d’amplification » lié à la masse budgétaire en jeu : ainsi, chaque politique de revalorisation, même minimale, augmente de façon considérable les dépenses de rémunération du ministère, et cela sans inclure les effets de l’ancienneté du stock d’agents (GVT : +31% en 10 ans). C’est également sans compter les annonces de revalorisations à venir (Pacte, revalorisation inconditionnelle des enseignants et des AESH, etc) dont le cumul se porte déjà à 4,1 milliards d’euros.

La Cour des comptes critique sans détour la gestion budgétaire de la masse salariale de l’Éducation nationale souligne que la hausse de 20% des dépenses de rémunérations depuis 10 ans (2012-2022) n’inclut pas les 2,8 milliards d’euros de rémunérations des 93 000 assistants d’éducation (AED) et accompagnateurs d’élèves en situation de handicap (AESH). Leur rémunération est comptabilisée comme des « crédits d’interventions », une pratique non conforme depuis 2001. Or, depuis la transformation de 56 000 contrats aidés des personnels chargés de l’aide humaine en 32 000 CDI à temps plein d’AESH, ces derniers sont la seconde catégorie d’agents du ministère après les enseignants. Rémunérés par l’État, les AESH sont d’ailleurs recrutés par les maisons départementales pour les personnes handicapées, ce qui interroge sur la gestion centralisée de ces effectifs qui répondent à des besoins locaux… d’autant plus que, sur leurs heures de travail en dehors du temps scolaire (pendant les heures de cantines notamment), les AESH sont rémunérés par les collectivités !

Pour répondre au flou qui encadre les données financières relatives à la masse salariale de l’Éducation nationale, la Cour demande :

  • La publication « d’un document annuel décrivant la dépense scolaire des collectivités » et d’un « document consolidé avec les dépenses de l’État permettant de décrire la dépense intérieure scolaire ». Une proposition nécessaire qui permettra de faire la transparence.

  • De confier la gestion des personnels d’assistance éducative et la gestion du service de santé scolaire aux rectorats en leur donnant la possibilité d’expérimenter des modes de recrutements alternatives (période probatoire puis CDI notamment).

Des propositions qui vont dans le bon sens, mais ne permettront pas de réformer en profondeur le système. Ainsi, à long terme, la Fondation IFRAP, elle, propose de s’inspirer du modèle allemand et de :

  • Décentraliser la gestion des effectifs afin de gérer les questions RH et financière au plus près des territoires et de leurs besoins. C’est possible puisque s’inspirer du modèle allemand reviendrait à charger les régions de financer la politique éducative et de subventionner les communes, chargées de la gestion (y compris du personnel) de tous les établissements scolaires du premier et du second degré de leur zone.

  • Concernant la gestion des enseignants, en Allemagne, les services du Land rémunèrent et affectent les enseignants selon les besoins des établissements, selon les compétences de l’enseignant (qui peut refuser l’affectation) et avec l’avis du chef d’établissement. Une compétence que les Länder peuvent déléguer aux communes et aux établissements à certains endroits.

+41% des dépenses « Vie de l’élève » : l’angle mort du surencadrement dans l’enseignement public

Le rapport de la Cour rappelle bien qu’il n’existe aucun exercice budgétaire où la dépense scolaire ne baisse, que l’importance des volumes financiers les rend difficiles à piloter et que le système ne dispose actuellement d’aucune marge de manœuvre. La Cour compare, ensuite, la hausse de la dépense selon les programmes budgétaires sur 10 ans et fait émerger que sur une hausse moyenne de +20,5%, les dépenses du programme « Vie de l’élève » ont, elles, augmenté de +41,6% ! En seconde et troisième position, on trouve le programme dédié au financement du 1er degré public (+24,9%) et le programme « Soutien » (+23%).

Si la Cour des comptes, dans son rapport, explique la hausse des moyens affectés au 1er degré public  par une politique volontariste de redoter un enseignement où le niveau de dépense est, durablement, en dessous de la moyenne de l’OCDE, elle ne se penche pas sur la hausse des moyens accordés depuis 10 ans aux programmes « Vie de l’élève » et « Soutien », respectivement +2,8 milliards et +629 millions d’euros. Dans ses conclusions, la Cour propose même de « poursuivre les efforts entrepris pour améliorer le taux d’encadrement des élèves, en particulier dans le premier degré ».

Une recommandation que la Fondation IFRAP met en doute puisqu’en 2021, dans une étude dédiée, nous constations qu’en 2019, plus de 250 000 agents à temps plein étaient employés par le ministère, et donc au sein des établissements publics et des rectorats, pour des missions « non-enseignement ». À ces personnes, il faut ajouter tous les personnels techniques (entretien, restauration, transport scolaire, médecine scolaire…) et les surveillants employés par les collectivités pour une masse salariale de 12 milliards d’euros, en 2017 dont 8 milliards reposant uniquement sur les communes. Soit environ 350 000 agents. Au total, c’est 600 000 agents qui encadrent les 10,2 millions d'élèves du public. En face, selon les données du secrétariat général de l’enseignement catholique12 (qui gère 97 % des élèves du privé), les établissements emploient environ 77 600 salariés dans les services supports (personnels administratifs, d’éducation, d’entretien, de restauration…) et 5870 directeurs d’établissements pour encadrer 2 millions d’élèves. Ainsi :

  • 1 agent « non-enseignant » encadre 17 élèves dans l’enseignement public.

  • 1 agent « non-enseignant » encadre 24 élèves dans l’enseignement privé.

En alignant le taux du public sur le privé, il est donc possible de baisser les effectifs de 175 000 agents et d’économiser environ 6 milliards d’euros. Cette surreprésentation du personnel non enseignant dans le système éducatif est d’ailleurs isolée dans les données de l’OCDE qui constate que la France consacre 21,6 % des dépenses de fonctionnement des établissements à la rémunération du personnel non enseignant alors que la moyenne européenne est à 14,9 %.

Il faut regretter que la Cour des comptes, si elle déplore la hausse incontrôlée des dépenses, n’insiste pas plus sur la nécessité de dégager des économies. Seule perspective pour assainir les finances publiques, selon la Cour, la baisse annoncée du nombre d’élèves : déjà entamée dans le 1er degré (-1,2% d’élèves attendus à la rentrée 2022), cette baisse devrait toucher le 2nd degré dès 2024. Pour suivre cette baisse démographique, le nombre d’enseignants devrait baisser de 15 000 entre 2022 et 2027, mais pour se laisser une « marge de manœuvre dans sa gestion des effectifs », le ministre mise sur une baisse de 9 000 emplois pour une économie de 100 millions d’euros par an, en moyenne, sur 5 ans.

Sans la nommer, la Cour se positionne en faveur d’une décentralisation progressive du système éducatif

Pour rappel, aujourd’hui l’Éducation dite nationale est synonyme de concentrée où l’État décide de tout, à tous les niveaux et seulement quelques questions matérielles ont été décentralisées selon une répartition unique au monde où les communes gèrent les écoles, les départements gèrent les collèges et les régions gèrent les lycées. Principalement reléguées à un rôle de financier non-décideur (30% de la dépense tout de même), le principal motif d’inquiétude des collectivités concerne, aujourd’hui, la rénovation et l’entretien d’un parc d’établissements scolaires vieillissants. Aujourd’hui, il n’existe aucune vision sur les besoins à venir sur ce sujet et les remises à niveau, quand elles peuvent se faire, se font dans l’urgence et sans planification. À cela s’ajoutent la pression des nouvelles normes (environnementales ou relative aux handicaps), la hausse des coûts énergétiques des bâtiments et le financement des nouveaux besoins matériels (matériels informatiques, accès internet, nouveaux outils et logiciels pédagogiques, frais d’accueil en cas de grève, etc).

Le problème ? Les collectivités souffrent, comme l’État, du poids des dépenses de personnel dans leur budget éducatif : elles représentent 41% des dépenses des collectivités (mais jusqu’à 52,5% pour les communes), les dépenses de fonctionnement, 32% et les dépenses d’investissements, 27% alors que c’est par ces dernières que doit passer la rénovation de notre parc d’établissements scolaires.

Pour mieux intégrer les collectivités à la politique éducative, la Cour propose, encore une fois, de profiter de la baisse du nombre d’élèves pour :

  • Commencer une grande concertation entre les élus locaux et l’État pour planifier et organiser les fermetures/ouvertures de classes et/ou d’écoles (notamment dans les petites communes) ainsi que l’avenir des bâtiments scolaires libérés.

Pour rappel, à la rentrée 2021, 34% des écoles publiques ne comptaient moins de 3 classes. Certaines régions profitent déjà de ces mises à dispositions d’établissements scolaires pour créer d’autres formations et filières professionnelles.

La Cour propose également de lutter contre les disparités territoriales en commençant par faire la transparence sur les données :

  • Sur la dépense scolaire par territoire, notamment sur les dépenses de soutien qui peuvent varier de 250 euros par an et par élève à 4 500 euros par an et par élève en fonction des communes. 

  • Sur les dépenses de l’État qui n’apparaissent pas égales sur le territoire : il faut mettre en lumière le niveau de moyens, humains et financiers, mis à disposition par l’État, par établissement.

Enfin, et surtout, la Cour recommande plusieurs orientations qui, sans la nommer, dirigerait le système vers une décentralisation plus de nécessaire où l’État conserverait son rôle de régulateur, de gardien du « déploiement homogène du service public de l’éducation sur le territoire » et d’anticipateur des enjeux à venir (effectifs d’élèves, etc). Ainsi, la Cour appelle :

  • À conclure des pactes territoriaux entre le ministère de l’Éducation et les départements mieux articuler la gestion des collèges et à généraliser les contrats tripartites États-collectivités-établissements qui sont un outil sous-utilisé actuellement, mais qui de calibrer les moyens et les instruments aux besoins d’un établissement scolaire spécifique.

  • À donner davantage de compétences et d’autonomie aux rectorats, notamment dans le dialogue avec l’enseignement privé, sur les ouvertures et les fermetures de classes, en leur confiant la gestion des personnels d’assistance éducative et la gestion du service de santé scolaire et en leur donnant la possibilité d’expérimenter des modes de recrutements alternatives (période probatoire puis CDI notamment).

  • À donner davantage d’autonomies et d’initiatives aux établissements en renforçant « les d’action des chefs d’établissement pour en faire des cadres dirigeants au sein de l’institution, dotés de compétences élargies à l’évaluation des personnels de l’établissement, sans pour autant étendre leurs attributions actuelles en matière de recrutement ».