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Les 3 blocages qui détruisent l'Education nationale

Pour réformer l'Education nationale, il faut se débarrasser des handicaps qui pénalisent le système, c'est à dire le refus de laisser l'enseignement privé se développer librement, celui d'empêcher les directeurs de devenir les vrais gestionnaires de leurs établissements et le maintien mordicus d'un statut à vie des enseignants qui ne satisfaient plus personne. 

Le refus du développement libre de l’enseignement privé impacte négativement les résultats des élèves

Après sa nomination au ministère de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, avait dû justifier sa décision d’inscrire ses enfants dans l’enseignement privé. A la rentrée 2023, le nouveau ministre, Gabriel Attal, devait justifier, lui, d’avoir fait sa scolarité dans le privé. Une suspicion maladive envers l’enseignement privé qui n’a aucun sens alors que 17% des élèves du pays le fréquentent (jusqu’à 51% en Vendée ou encore 50% dans le Morbihan) et que, selon la DEPP, plus que le type d’établissement, c’est la distance avec le domicile qui est l’un des critères les plus déterminants dans le choix de l’inscription.

Dans la pratique, l’Éducation nationale suit une règle qui veut que les moyens (financiers, matériels et humains) publics accordés à l’enseignement privé se limitent à 20% du total. Cette limite freine fortement le développement du privé puisque sur 96 départements, seulement 18 d’entre eux scolarisent 20% ou plus d’élèves dans l’enseignement privé (principalement en Bretagne et dans le Pays de la Loire)[1]. En conséquence, l’établissement public le plus proche est, en moyenne, à 670m du domicile de l’élève tandis que le privé le plus proche est à 3,8km. Si la règle du 80/20 était vraiment respectée, plus de 330 000 élèves actuellement scolarisés dans le public devraient l’être dans le privé, faisant passer le nombre d'établissements privés sous contrat de 7 600 à 9 200.

Cette limitation du développement de l’enseignement impacte, à la fois, nos dépenses publiques, mais aussi les résultats des élèves.

Depuis plusieurs années et dans plusieurs études, la Fondation IFRAP a démontré que l’enseignement privé assurait ses missions pour une dépense par élève inférieure de 30%. Cette différence correspondait à une sur-dépense de l’enseignement public de 29 milliards d’euros en 2019 : sur-dépense qui, si elle venait à disparaitre, pourrait :

  • dégager les fonds nécessaires au financement d’une réforme structurelle du système éducatif,
  • financer une politique de revalorisation salariale (basée sur la performance) du personnel éducatif,
  • permettre de réduire la dépense publique durablement.

Concernant les résultats des élèves, en 2022, seulement 52 % des élèves de sixième arrivent à lire correctement un texte de deux cents mots et quinze lignes dans le public (43 % en REP et 36 % en REP + 1) pour 64 % dans le privé. Le résultat est semblable concernant les mathématiques où, là encore, le public se place dix points derrière l’enseignement privé.

Au niveau du lycée, on retrouve cette même tendance, avec la Bretagne où 40% des élèves sont inscrits dans le privé et qui affiche l’un des meilleurs taux de réussite au baccalauréat : + de 98% pour le baccalauréat général, mais la région affiche aussi les meilleurs taux pour le baccalauréat professionnel (+ de 87,2% de réussite) et le baccalauréat technologique (+ de 95,1% de réussite, département en première position).

En juillet dernier, la Cour des comptes proposait de donner davantage de compétences et d’autonomie aux rectorats, notamment dans le dialogue avec l’enseignement privé, sur les ouvertures et les fermetures de classes ce qui, de facto, revient à ne plus limiter le développement de l’enseignement privé en fonction de la répartition des moyens, mais à le calibrer selon les besoins locaux. Une formulation timide, mais qui revient à supprimer la pratique du 80/20 comme le propose la Fondation IFRAP.

Le refus d’accorder réellement la gestion des établissements aux directeurs déresponsabilise le système et cache les dysfonctionnements

Cette semaine, le livre Omerta dans l’Éducation nationale (Cherche midi, à paraitre le 7 septembre), de Patrice Romain, un ancien directeur d’établissement, livre les témoignages de plusieurs chefs d’établissements :

  • « On porte le nom de chef, mais on n’en a aucune prérogative. On est juste bon à porter le chapeau quand ça tourne mal »,
  • « La hiérarchie confond la nécessaire loyauté du personnel de direction avec l’obligation de taire tout dysfonctionnement »

Ces témoignages mettent à jour un système où les chefs d’établissements qui signalent les dysfonctionnements dans leurs établissements, qui multiplient les conseils de discipline, voient leurs carrières pénalisées et à qui on demande de modifier les notes des élèves à l’issue du contrôle continu pour améliorer la situation générale de l’établissement. Une politique de camouflage qui entretient la baisse du niveau scolaire, mais aussi la montée de la violence dans les établissements : en 2018, on comptait 12,2 « incidents graves » pour 1 000 élèves, soit 69 000 incidents sur l’année scolaire avec 79,4% des incidents qui étaient des « atteintes aux personnes.

Encore une fois, on observe une réelle distinction entre le ressenti des enseignants du public et du privé : si 47,5% des enseignants du public déclarent être confrontés à des refus ou contestations d’enseignement, ils ne sont que 25,6% dans le privé. Concernant les moqueries ou insultes, 29,7% des enseignants du public y sont confrontés contre seulement 13,1% du privé.

Incontestablement, les chefs d’établissements du privé disposent de plus de pouvoirs pour gérer leur établissement et en échange, leur responsabilité est nettement plus engagée que dans le public. Les chefs d’établissement du privé ont ainsi le rôle de supérieur hiérarchique des équipes non enseignant et ne bénéficient pas de la protection du statut de la fonction publique puisqu’ils signent un contrat de droit privé et sont recrutés sur entretien avec l’autorité de tutelle (le propriétaire de l’établissement). La bonne gestion des comptes, l’entretien du bâtiment et sa propreté sont donc leurs prérogatives, mais leurs compétences vont plus loin. Ils sont chargés de recruter les enseignants contractuels et les enseignants remplaçants, ils font également passer des entretiens aux enseignants titulaires qui souhaitent changer d’établissement (selon un système de vœux). Une caractéristique que le ministère de l’Éducation reconnaissait, déjà en 2004, comme le gage d'« une plus grande cohésion de l’équipe pédagogique ». En face, dans le public, les chefs d’établissement n’ont la main que sur les emplois du temps, ils doivent passer par le rectorat pour gérer les équipes pédagogiques (mais uniquement pour recruter ou remplacer) tandis qu’une collectivité gère le personnel technique et les questions matérielles.

Conscient du problème, le gouvernement a voté en février 2022 et dans la loi dite de décentralisation, 3DS, l’instauration de l’ « autorité fonctionnelle de la collectivité de rattachement à l’égard de l’adjoint au chef d’établissement public local d'enseignement (EPLE) chargé de la gestion matérielle, financière et administrative ». L’objectif affiché est de fluidifier l’articulation des responsabilités entre le chef d’établissement et les collectivités territoriales via la signature d’une convention bilatérale. Il reste à savoir combien de conventions seront signées dans le courant de l’année scolaire, mais on reste très loin d’une responsabilité et d’un renforcement des compétences des chefs d’établissements.

En juillet dernier et comme la Fondation IFRAP le propose depuis plusieurs années, la Cour des comptes proposait de donner davantage d’autonomie et d’initiatives aux établissements en renforçant « les actions des chefs d’établissement pour en faire des cadres dirigeants au sein de l’institution, dotés de compétences élargies à l’évaluation des personnels de l’établissement, sans pour autant étendre leurs attributions actuelles en matière de recrutement ».

Le refus de réformer le statut des enseignants et leur mode de recrutement nourrit la pénurie des enseignants

Pour la deuxième année consécutive, la « pénurie » d’enseignants à la rentrée scolaire inquiète les familles. En septembre 2022, il manquait 4 000 enseignants titulaires principalement dans les grandes académies de Versailles et de Créteil (équivalent à 23% de postes non pourvus). En 2023, 3 100 postes n’ont pas été pourvus dans le public sur 23 800 postes ouverts (équivalent à 18% de postes non pourvus[2]). Si le ministère explique ce phénomène par la modification du niveau de master (M2 au lieu de M1) nécessaire pour l’inscription au concours, cela n’explique pas pourquoi, depuis 2000, le nombre de candidats qui se présentent au Capes est passé de 40 000 à 15 500 en 2022, ni l’explosion du nombre de démissions chez les enseignants du public (on en compte 4 fois plus en 2021 qu’en 2011, 2 411 contre 504), ni l’augmentation du nombre de professeurs en « disponibilité », c’est-à-dire qui ne veulent plus être devant les élèves, ils sont ainsi dispensés d’enseignement et non rémunérés : leur nombre est passé de 17 700 en 2011 à 24 200 en 2021.

Il est ainsi incorrect de parler de pénurie puisqu’il s’agit bien d’un manque d’enseignants titularisés lors de la dernière session du concours… et que des enseignants seront bien devant les élèves, mais sous le statut de contractuel : il s’agit généralement d’enseignants qui enseignent déjà depuis plusieurs années et qui peuvent passer un concours interne de titularisation (sur dossier puis un oral) après 3 ans en poste. A la rentrée 2022-2023, on comptait 71 000 enseignants contractuels, 6% des effectifs de l’enseignement public et 18% de l’enseignement privé, mais leur part augmente rapidement : +26,3% dans l’enseignement public et +12,2% dans l’enseignement privé entre 2015 et 2021.

La réalité est qu’une transition du mode de recrutement des enseignants s’est déjà opérée et que le contrat est devenu une véritable voie pour entrer dans le métier : alors que seulement 7% des nouveaux titularisés avaient été contractuels en 2008, cette part était de 26% en 2018[3]. Le système éducatif se retrouve donc à devoir faire de plus en plus le grand écart entre un stock d’enseignants titulaire, aux modalités très rigides (pour les chefs d’établissements, mais également pour eux aussi, avec très peu de possibilités de mutation et aucune reconnaissance de leur travail personnel puisque les inspections sont rares, soumises à de quotas et que c’est l’ancienneté qui définie toujours la politique salariale), mais formées… et un stock d’enseignants contractuels très peu formés, mais qui offre beaucoup plus de flexibilité aux établissements : ainsi, si c’est le titulaire qui décide s’il veut travailler à temps plein (18h) ou à mi-temps (9h), le contractuel, lui, peut travailler dans un ou plusieurs établissements pour assurer 3h, 8h, 18h ou 20h de cours. Dans l’enseignement privé, on trouve le cas de directeurs d’établissements qui recrutent, à l’année, un contractuel uniquement pour combler les absences courtes de leurs équipes pédagogiques, car pour une absence de moins de 15 jours, les rectorats ne proposent plus de remplacement.

Alors que la Dares estime que 328 000 enseignants partiront à la retraite d’ici 2030, il est urgent de revoir le mode de recrutement et le statut de ces derniers.

En juillet dernier, la Cour des comptes proposait de « permettre aux recteurs de mettre en œuvre des mesures et moyens financiers spécifiques, en expérimentant le recrutement sur diplômes pour une durée limitée de trois à cinq ans, au terme de laquelle l’enseignant pourrait bénéficier d’un contrat à durée indéterminée (CDI) ». En d’autres mots, abandonner le concours et recruter sous contrat comme le pratiquent de nombreux pays déjà, une proposition défendue par la Fondation IFRAP depuis plusieurs années.


[1] Fondation IFRAP, Mixité scolaire : il faut plus d’établissements dans l’enseignement privé sous contrat.

[2] Résultats des concours enseignants de la session 2023, education.gouv.fr

[3] La moyenne d’âge des nouveaux enseignants augmente dans l’enseignement scolaire public, education.gouv.fr