Tribune

Derrière la prétendue “guerre scolaire”, le vrai bilan du public et du privé à l’école

En quoi est-ce un crime de scolariser ses enfants dans un établissement scolaire privé, en France, en 2024 ? Non, le privé n’est pas l’ennemi du public et la réponse de la ministre Amélie Oudéa-Castéra aurait dû être d’assumer totalement d’y scolariser ses enfants, en expliquant que le privé sous contrat fait intégralement partie du service public d’éducation, exerce une mission de service public et ce, depuis plus de trente ans ! Plus précisément depuis les accords Lang-Cloupet signés en 1992 et 1993.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le jeudi 18 janvier 2024.

La ministre aurait également pu rappeler que ce service public est financé par l’État, soit par les impôts des Français et qu’il coûte moins cher par élève ! 30 % de moins en moyenne selon le suivi que la Fondation Ifrap effectue sur le sujet depuis dix ans. Un écart qui représente, chaque année, un coût supplémentaire pour nos finances publiques de 30 milliards d’euros en dépenses.

Gabriel Attal, précédent ministre de l’Éducation et actuellement premier ministre, était scolarisé lui-même à l’École alsacienne, tout aussi privée, et il a assumé totalement cela. Son prédécesseur scolarisait aussi ses enfants dans la même École alsacienne… Et on pourrait remonter loin encore comme cela dans l’historique des ministres de la Rue de Grenelle. Il serait intéressant aussi de faire un sondage à l’Assemblée pour savoir quel est le pourcentage d’enfants de nos députés scolarisés dans le public ou dans le privé.

Alors pourquoi tant de drames médiatiques ? Peut-être parce que cette polémique met en lumière le non-dit de nos élites face à l’effondrement de notre système scolaire, composé à 80 % d’enseignement public ? En clair, de tous bords, ils savent que le système éducatif français est dual, inscrivent leur propre progéniture dans le privé, mais n’en disent rien officiellement.

Entre 2018 et 2022, le niveau des élèves de France a baissé de -21,5 points en mathématiques, -19 points à l’écrit, -6 points en sciences. 23e du classement, la France a connu entre 2018 et 2022 selon l’OCDE, « une baisse historique du niveau des élèves ». Or il est vraisemblable que cette baisse de niveau ne soit pas aussi flagrante dans les établissements privés sous contrat, mais, pour le moment, il est impossible d’avoir accès de manière différenciée public-privé aux résultats pour l’enquête Pisa. Pourquoi ? Mystère.

En revanche, on connaît les écarts aux tests de maîtrise de la langue française à la fin du 1er degré (enquête Cedre) et ils sont bien meilleurs dans le privé : en 2021, le score moyen des élèves du privé était de 263 points, contre 257 dans le public hors éducation prioritaire (233 points). Un test équivalent à la sortie du collège souligne que l’écart grandit à la fin de celui-ci : score de 260 points en moyenne dans le privé, 247 dans le public (225 pour les établissements en éducation prioritaire).

Actuellement, le vrai débat devrait être plutôt celui de faire sauter ce plafond des accords Lang-Cloupet, qui limite les moyens accordés à l’enseignement privé sous contrat à 20 % des moyens éducatifs totaux. Aujourd’hui, l’enseignement privé sous contrat prend en charge 17,6 % des élèves scolarisés. On notera que ce frein n’existe que dans le secteur éducatif, car, par exemple dans le domaine de la santé, les cliniques privées représentent 33 % de l’offre.

D’ailleurs, l’application actuelle de cette fameuse répartition en 80-20 est très aléatoire selon les départements : dans la Creuse, seulement 2 % des élèves sont inscrits dans le privé, en Corse, 5 %, en Seine-Saint-Denis, 8 %, et dans toute l’académie de Limoges, seulement 8 % également. Or, comme la DEEP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation) le soulignait en 2017, la distance avec l’établissement le plus proche est l’un des critères déterminants dans le choix de l’inscription : aujourd’hui, l’établissement public le plus proche est, en moyenne, à 670 mètres tandis que le privé le plus proche est à 3,8 km.

Si la règle du 80-20 était vraiment respectée, plus de 330.000 élèves actuellement scolarisés dans le public devraient l’être dans le privé, faisant passer le nombre d’établissements privés sous contrat de 7600 à 9200. Enfin, soulignons que si, aujourd’hui, seulement 3,6 % des établissements scolaires privés sous contrat sont non confessionnels, le seul moyen d’augmenter ce taux est de permettre la création de nouveaux établissements. Une lapalissade.

Bref, la guerre scolaire n’existe que dans la tête des détracteurs du privé qui se pressent de nourrir, à chaque remaniement, ces polémiques inutiles et datées. Ce n’est pas à la hauteur de la devise de la France : liberté ! Nous devrions tous, en France, être libres de scolariser nos enfants dans le privé si cela nous convient. Et ne pas être apeurés de devoir s’en justifier. Il semble qu’on n’ait jamais demandé à un ministre de la Santé si, dans sa famille, on préfère accoucher en clinique privée ou à l’hôpital… Sommes-nous tombés si bas pour nous crêper le chignon sur l’écume sans rentrer dans le dur des sujets ?

Ne vaut-il pas mieux se pencher sur la question de l’autonomie des établissements scolaires, l’un des facteurs principaux de réussite des systèmes éducatifs selon l’OCDE. Sur ce sujet, tout est à faire, car, en France, seulement 10 % des élèves sont inscrits dans un établissement où le chef d’établissement est compétent pour recruter les enseignants, contre une moyenne de l’OCDE à 60 % ! Et seulement 35 % des élèves sont inscrits dans un établissement où « les observations des cours par le chef d’établissement ou le personnel d’encadrement étaient utilisées pour contrôler les pratiques des enseignants », contre une moyenne de l’OCDE à 77 % ! Plus de choix entre public et privé, plus de décentralisation, plus d’autonomie et de pouvoir de gestion aux chefs d’établissement, loin de la « guerre scolaire », mais proche des préoccupations des Français, ce serait tellement plus constructif et plus respectueux.