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Retraites par points : largement répandu… sauf dans le public

Un récent article du quotidien Le Monde rappelait les critiques nombreuses que l'on retrouve dans les cortèges contre le système de retraite par points. En résumé, le système par points est accusé de garantir à coup sûr un recul de l’âge de départ en retraite, et une baisse du niveau des pensions, d'introduire en douce un système par capitalisation, de ne pas être solidaire…

Les retraites par points : un système largement répandu… sauf dans le public

Ces quelques exemples pourraient faire croire que le système par points est quelque chose de complètement inconnu en France. C'est pourtant tout le contraire : ainsi les retraites complémentaires des salariés du privé fonctionnent en points (Arrco-Agirc), les fonctionnaires contractuels et les élus locaux sont également en points pour leur retraite complémentaire (Ircantec), les professions artisanales et commerciales et professions libérales non réglementées affiliées à la SSI (ex-RSI) pour leur régime complémentaire, le CNBF (avocats) pour son régime complémentaire, les non-salariés agricoles (MSA complémentaire)... La CNAVPL (professions libérales) est le seul régime de base qui fonctionne par points.

Note d’information sur les deux principaux régimes de retraite par points existant en France

Caractéristiques

ARRCO-AGIRC

et IRCANTEC  

Des régimes significatifs

20,9 millions d’actifs
14,5 millions de retraités

Par répartition

Oui

Création paritaire par les syndicats

Oui

Gestion paritaire par les syndicats

Oui

Gestion équilibrée

Oui

Part dans la retraite individuelle totale

De 25 à 75%

Montant et part dans le budget total retraites

81 Mds €   - 27 %

Mécanismes de solidarité

Oui

Prise en compte de la carrière entière

Oui

Âge pivot

Oui

La technique des points est donc largement répandue en France puisqu'elle concerne 24 millions de cotisants et 17 millions de retraitésIl s'agit de retraités qui peuvent être affiliés dans différents régimes étant le nombre important de polypensionnés en France. mais elle a effectivement pour caractéristique d'être pas ou peu développée dans les principaux régimes spéciaux publics. C'est d'ailleurs majoritairement des représentants des entreprises publiques et de la fonction publique que l'on entend dans les manifestations dire tout le mal qu'ils pensent des systèmes par points.

Et pour cause, les retraites des salariés du public (fonctionnaires et entreprises publiques) sont des régimes intégrés (ils correspondent à la fois à un régime de base et à un régime complémentaire) qui fonctionnent à prestations définies : l'employeur prend un engagement sur le niveau de leur future pension soit 75% du salaire des 6 derniers mois. Même si la garantie de prestation est très relative comme l’ont montré la désindexation des retraites ou l’allongement de la durée de cotisation. 

Certes la CNAV vend elle aussi "la promesse" d'une retraite établie à 50% du salaire des 25 meilleures années mais on sait que cette promesse s'est beaucoup émoussée avec le temps : passage des 10 dernières aux 25 meilleures années, et encore 50% du plafond de la Sécu, dont les droits ne sont plus revalorisés comme les salaires mais comme l'inflation, etc. Et cette promesse est elle-même soumise à une deuxième condition : avoir validé une durée d'assurance pour s'assurer le taux plein. Exit donc la promesse des 50%, on en est loin !

Les retraites par points, c’est le travail infini ?

Les retraites par points ne sont pas non plus des retraites en comptes notionnels suédois. Ces derniers fonctionnent comme un compte virtuel de cotisations, compte qui est transformé au moment de la retraite selon un coefficient de conversion qui dépend de l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient l’assuré. Dans les comptes notionnels, l’allongement de l’espérance de vie se répercute sur chaque génération concernée et ajuste l'âge de la retraite automatiquement. Cette condition permet d’équilibrer le système à la différence des régimes par points, où il est prévu un pilotage par des instances de gouvernance qui se réunissent régulièrement pour faire le point sur l'équilibre du régime et fixer les paramètres à moyen terme. 

Effectivement les régimes en points fonctionnent avec un âge pivot qui équilibre ressources et pensions à servir. Autour de cet âge pivot des abattements ou majorations peuvent être appliqués (voir notamment la mise en applicaton de l'accord de 2015 pour les retraites Arrco-Agirc avec un malus de 10% sur 3 ans pour un départ avant 63 ans). Mais le même concept a été introduit dans les régimes en annuités avec l'âge du taux plein, ce n'est donc pas une injustice propre aux régimes par points.

Les points seraient aussi une meilleure façon d'aborder un sujet qui devient majeur aujourd'hui : la transition emploi-retraite. Les cotisants pourraient procéder à une liquidation partielle de leurs points par exemple avant l’âge pivot. Ou encore, continuer à acquérir des droits à la retraite, dans le cadre du cumul emploi retraite, mais en changeant la valeur d’achat du point pour les retraités, plutôt que de les faire cotiser pour rien comme c’est le cas aujourd’huiLire l'article "Le potentiel d'innovation des points pour créer le système de retraites de demain", https://www.ifrap.org/retraite/le-potentiel-dinnovation-des-points-pour-creer-le-systeme-de-retraites-de-demain.

Les 75% dans la fonction publique comme les 50% dans le privé visaient à avantager les carrières linéaires proches de celles de la fonction publique mais ces carrières ne sont plus la norme aujourd'hui. Le système par points est plus adapté à la mobilité professionnelle plus fréquente aujourd'hui, car les points sont "portatifs". Une innovation intéressante dans la mesure où un tiers des retraités sont des polypensionnés. L'Insee vient aussi de rappeler qu'en France, fin 2016, 23% des non-salariés ont aussi une activité salariée ou en ont exercé une au cours de l’annéeUn non-salarié sur quatre travaille aussi en tant que salarié, https://www.insee.fr/fr/statistiques/4261369?. La pluriactivité est donc particulièrement répandue.

Les points permettent également des dispositifs de solidarité en distribuant par exemple des points gratuits pour les périodes de chômage, maternité, maladie. Ils permettent également de gérer les droits issus de la réversion en partageant les points par exemple au pro rata de la vie commune, ou bien encore en octroyant une fraction des points au moment du décès. On retrouve les points aussi dans le compte pénibilité (le C2P) qui sont attribués en fonction de l'exposition aux risques.

C’est une façon de faire baisser les retraites !

Leur principale critique ? La valeur des points n'est pas gravée dans le marbre même si le Premier ministre s'est engagé à garantir la valeur des points acquis par une règle d'or. Cette critique est justifiée, mais peu réaliste. En cas de crise économique ou démographique sérieuse, les retraites devront naturellement participer à l’effort national et accepter une baisse des pensions. C’est exactement ce que tous les gouvernements ont fait depuis 30 ans, de façons différentes mais impactant tous les régimes, en annuités comme en points : changement de mode d’indexation ou même désindexation… Qui peut penser qu’en cas crise, les retraités pourraient se désolidariser de leurs concitoyens ?   

La critique concernant la mainmise de l’État sur leur gestion n’est pas plus réaliste. Elle est inévitable en dernier ressort : au moment du passage à 60 ans, les retraites complémentaires ont été contraintes de s’incliner devant la loi, même si certains partenaires sociaux étaient persuadés qu’il s’agissait d’un énorme contre-sens, vu les perspectives démographiques (rapport Rocard).    

Aujourd’hui encore, les dispositifs de type carrières longues ou les rachats de trimestres, conçus et tarifés par le seul régime de base, fragilisent l’équilibre dans les régimes complémentaires.

En ce qui concerne le niveau des retraites, le point critique est le maintien à 14% du PIB des ressources consacrées aux retraites. La façon dont elles seront ensuite réparties peut avantager ou désavantager certains à la marge, mais n’a aucune raison d’entrainer une baisse généralisée des retraites. Au contraire, les milliards d’économies de gestion qu’entrainera à terme le passage de 42 à 1 régimes devraient permettre de réduire les pertes dans les différentes tuyauteries. 

Conclusion

Une très grande majorité de Français (90%) ont une partie de leur retraite dans un système par points qu’ils comprennent bien, et qui ne leur a jamais posé de problème. Le débat ne doit donc pas porter sur son principe, mais se concentrer sur les façons de faire converger les régimes du public qui, pour l’instant encore, n’évoluent pas selon ce modèle.

Cet attachement tient bien entendu au mode de calcul dans les régimes du public. Les débats sur le régime universel de retraite auront d'ailleurs permis de clore une controverse ancienne et passionnée : les retraites des régimes spéciaux sont plus favorables que celle du régime général. Depuis 1990, de multiples rapports (dont ceux du COR) s’étaient pourtant évertués à démontrer le contraire en se basant notamment sur les taux de remplacement primes comprises. Mais au delà c'est un rapprochement plus profond pour les régimes du public, une normalisation avec le privé et la fin de ce qui faisait les spécificités du statut (voir l'interview ci dessous). 

Interview de Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’Union fédérale des syndicats de l’État (UFSE-CGT) - Acteurs Publics, le 11 décembre 2019

"Avec les dispositions de la loi de réforme de la fonction publique (contractualisation à outrance, fin des compétences des commissions administratives paritaires…), la réforme des retraites qui se profile concrétise la fin d’une certaine conception de la fonction publique de carrière telle qu’elle existe depuis 1946. Ce qui est en train d’être remis en cause, c’est le socle du statut général de la fonction publique et le bénéfice pour un fonctionnaire d’acquérir une progression de carrière garantie et d’avoir une retraite basée sur ses meilleurs éléments salariaux. Le tout en contrepartie, souvent, d’un décrochage en début de carrière par rapport à des qualifications égales dans le secteur privé. Si la fin de la règle du calcul sur les six derniers mois était actée, le gouvernement mettrait ainsi à mal la fonction publique de carrière telle qu’elle a été conçue et dont nous croyons qu’elle apporte encore du progrès en France."

https://www.acteurspublics.fr/articles/jean-marc-canon-cgt-la-reforme-des-retraites-va-mettre-a-mal-la-notion-meme-de-fonction-publique-de-carriere