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Comité de suivi des retraites : quelle utilité ?

Le comité mis en place après la réforme de 2014 pour aider au pilotage du système de retraites a rendu son rapport. Mais entre non-dits et présentation tronquée, l’avis globalement positif (« le comité estime que la situation et les perspectives du système de retraites ne s’éloignent pas de façon significative des objectifs définis par la loi ») sur lequel le gouvernement s’est précipité pour se féliciter met en doute l’utilité de ce genre de rapport et la capacité à préparer le pays aux réformes pourtant nécessaires.

Le comité de suivi des retraites vient de publier son 2e avis. Ce document doit informer le Gouvernement sur le respect par notre système de retraites d’un certain nombre d’indicateurs de soutenabilité, équité et de solidarité. Le comité peut s’il le juge nécessaire, formuler des recommandations pour assurer que notre système de retraites ne s’éloigne pas de ses objectifs.

Rappelons la genèse de cet organisme que certains qualifient d’énième comité Théodule. Dans le rapport Moreau sur l’avenir des retraites, il était recommandé que le système de retraites se dote d’une fonction de pilotage dont le rôle n’est pas à proprement parler celui rempli par le Conseil d’orientation des retraites (COR) qui donne des prévisions d’évolution des régimes en fonction de différents paramètres macro-économiques. L’idée était d’assurer au fil du temps l’adaptation du système. Rappelant que de nombreux pays (Allemagne, Japon, Suède, Canada, etc.) avaient mis en place des dispositifs de pilotage automatique, le rapport Moreau avait préconisé un suivi régulier mais pas automatique (impossible étant donné la complexité du système de retraites français) au regard d’indicateurs sociaux fixés par la loi. À l’issue de la loi de réforme des retraites de janvier 2014, le Parlement a donc fait sienne cette recommandation et a créé le Comité de suivi des retraites (CSR), plaçant à sa tête Mme Moreau.

Le fonctionnement de ce comité est original : contrairement aux autres comités du même genre, sa composition est retreinte, 5 membresLes autres membres sont Didier BLANCHET, chef du département des études à l'INSEE, Marie DAUDE, administratrice civile de la sous-direction des retraites au ministère des Affaires sociales, Olivier GARNIER, chef économiste à la Société Générale, Florence PARLY, ex-secrétaire d'Etat au Budget sous Lionel Jospin, directrice générale déléguée de la SNCF. Ils ont été nommés par le Gouvernement., et s’appuie par ailleurs sur un jury citoyen censé apporter son point de vue sur les grandes règles de notre système de retraites et les inflexions à y apporter (on y reviendra)La loi du 20 janvier 2014 prévoit que le comité de suivi des retraites soit accompagné dans ses travaux par un jury citoyen composé de neuf femmes et de neuf hommes tirés au sort. Un décret du 20 juin 2014 a précisé que ce jury devait être « consulté » avant la remise des avis et recommandations du comité. Le comité de suivi soumet ses orientations au jury citoyen, qui en débat oralement et communique en retour au comité « le contenu de ses discussions ».. Le COR remet avant le 15 juin  de chaque année un rapport sur les perspectives des systèmes de retraites et donne une batterie d’indicateurs. A la suite de quoi le CSR doit avant le 15 juillet donner son avis sur la soutenabilité de notre régime de retraites au regard de ces indicateurs (voir encadré).

Décret n° 2014-654 du 20 juin 2014 relatif au comité de suivi des retraites 

« Art. D. 114-4-0-5.-Les indicateurs mentionnés au 4° de l'article L. 114-2 sont ainsi définis : 
« 1° Au titre du suivi de l'objectif mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 111-2-1 : 
« Le taux de remplacement défini à l'article D. 114-4-0-14 projeté sur dix ans ; 
« 2° Au titre du suivi des objectifs mentionnés au deuxième alinéa du même II : 
« a) La durée moyenne de versement de la pension projetée sur vingt-cinq ans ; 
« b) Le taux de remplacement, projeté sur dix ans, d'un assuré ayant effectué toute sa carrière comme agent sédentaire de la fonction publique de catégorie B. Le taux de remplacement est défini comme le rapport entre la moyenne des avantages de vieillesse perçus l'année de la liquidation et le salaire moyen d'activité, y compris les primes, perçu la dernière année d'activité ; 
« 3° Au titre du suivi des objectifs mentionnés au troisième alinéa du même II : 
« a) Le rapport, par génération de retraités, pour l'ensemble des régimes de retraite légalement obligatoires, entre la valeur de la pension en deçà de laquelle se situent les 10 % de retraités les moins aisés, d'une part, et la valeur moyenne des pensions de l'ensemble des retraités, d'autre part. Ce rapport est présenté selon le genre ; 
« b) Le niveau de vie des retraités rapporté à celui de l'ensemble de la population, ce rapport étant présenté selon le genre ; 
« 4° Au titre du suivi des objectifs mentionnés au quatrième alinéa du même II : 
« Les soldes comptables annuels exprimés en droits constatés des régimes de retraite légalement obligatoires pour l'année en cours et projetés sur vingt-cinq ans, déterminés sur la base des prévisions financières des régimes de retraite sous-jacentes aux prévisions de comptes publics présentés dans le programme de stabilité de l'année en cours. »

Source : Legifrance

Le rapport a donc été remis le 13 juillet dernier à M. Manuel Valls et Mme Marisol Touraine. Et dans un communiqué, Matignon a déclaré « le gouvernement partage le souhait exprimé par le Comité de voir les partenaires sociaux parvenir à un accord sur les retraites complémentaires. Et il se félicite des conclusions de cet avis qui démontre la capacité de notre système à atteindre ses objectifs de solidarité, d’équité et de pérennité financière tels que fixés par la réforme votée en 2014 ».

Pourtant, quand on y regarde de près, le rapport n’est pas aussi élogieux que semble le dire le gouvernement :

Dans la première partie relative aux objectifs au regard des montants de retraites, le rapport indique notamment que pour les générations de 1975 à 1990 le taux de remplacement pourrait chuter en dessous d’un rapport des deux tiers (plancher prévu par la loi sur les retraites) selon les hypothèses macroéconomiques projetées. Il s’agit des scénarios A et A’ et dans une moindre mesure du scénario B. S’il s’agit de scénarios rassemblant des hypothèses optimistes - chômage à 4,5% à partir de 2027 (ou 2031 scénario B), croissance de la productivité entre 1,5 et 2% à partir 2026 (2024 scénario B) – difficiles à prévoir, ce passage met le doigt sur la question essentielle de l’indexation des salaires portés au compte du calcul de la retraite dans le régime général (voir encadré).

Comment les pensions peuvent décrocher par rapport aux salaires ?

À titre purement illustratif, si l’augmentation des prix est de 2% par an, et l’augmentation des salaires nominaux de 3,5% par an, le salaire moyen des 25 dernières années avec une indexation sur les prix vaut 84% du salaire moyen des 25 dernières années calculé avec une indexation sur les salaires. Avec la même augmentation des prix, mais une augmentation des salaires nominaux de 4% par an, le salaire moyen des 25 dernières années indexé sur les prix ne vaut plus que 79% du salaire moyen indexé sur les salaires : plus la croissance des salaires est élevée, plus la pension « décroche » donc par rapport aux salaires.

Et le comité d’insister, rappelant que si cette baisse des pensions permet d’équilibrer à terme le système de retraites, des scénarios économiques favorables provoqueraient un surajustement qui justifierait le politique de prendre des décisions et de revoir la formule d’indexation. La réforme des retraites de 2014 n’a donc pas tout réglé.

Idem, dans la deuxième partie relative aux objectifs d’équité du système de retraites entre générations. Un des indicateurs a trait au taux de cotisation moyen sur la carrière. Le rapport indique que le taux moyen a connu une nette augmentation entre la génération 1940 (19,6%) et la génération 1962 (26%).

En revanche, le rapport ne s’étend pas sur l’augmentation tendancielle du taux de cotisation pour les générations 1970-1990. Certes, le taux de cotisation est un taux moyen sur la carrière, carrière qui n’est pas encore achevée pour ces générations, mais la probabilité qu’il reflue est assez faible. Or on est aujourd’hui proche des 28-30% alors même que la réforme des retraites avait fixé à 28% le taux limite. Ce passage permet d’ailleurs de souligner qu’il n’est pas question tout au long du rapport de la soutenabilité du système de retraites au regard de la compétitivité des entreprises. La capacité de celles-ci à continuer à supporter un prélèvement sans cesse croissant est pourtant une question essentielle que ni le CSR ni le gouvernement ne semblent vouloir regarder. On est dans le non-dit.

Enfin dans la partie relative à l’équité entre les régimes, le CSR approche avec prudence la question de la comparaison public-privé. Il estime que les taux de remplacement sont similaires (bien que des éléments relatifs aux carrières, aux diplômes, à la proportion de personnel féminin puissent aussi influer sur la comparaison des taux de remplacement). Cette approche est loin d’être complète car elle ne tient pas compte de la contributivité. Or le taux global de prélèvements même en le corrigeant des effets d’assiette, de prestations, etc. est tout de même supérieur dans le privé par rapport au public quoi qu’en dise le CSR qui se retranche derrière ces différents facteurs  pour mettre en cause « la pertinence d’une comparaison des taux de cotisation ». Sans compter que la répartition pèse essentiellement sur l’employeur dans le cas des fonctionnaires, c’est-à-dire le budget de l’État, alors que le partage est plus équilibré dans le privé. Cette « apparente » similitude des taux de remplacement ne règle donc absolument pas la question de l’équité entre les régimes.

Sur cette question d’ailleurs le CSR estime qu’il n’est pas possible de faire des projections sur les taux de remplacement, « faute de pouvoir déterminer quelle sera la part des primes dans les rémunérations à venir des fonctionnaires ». Mais c’est nier le fait que les primes sont prises en compte désormais dans la retraite avec le régime additionnel par capitalisation RAFP. Or, si actuellement les rentes sont faibles compte tenu de la courte durée de cotisation à ce régime, il est certain que son impact va aller croissant dans le temps. On ne pourra donc pas toujours raisonner hors primes pour comparer les retraites du public et du privé. Aussi affirmer que « si la hausse de la part des primes dans la rémunération des fonctionnaires devait se poursuivre, la baisse des taux de remplacement des agents publics pourrait être supérieure à celle des salariés du secteur privé » est précipité.

Mais c’est dans la dernière partie que les conclusions paraissent tronquées.

Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, le CSR ne prévoit pas à court terme un retour à l’équilibre financier en 2020, fortement dépendant à ce stade de la trajectoire financière des régimes complémentaires. Le CSR reconnaît qu’il revient aux partenaires sociaux d’assurer pleinement le pilotage des régimes complémentaires et admet donc que sa fonction de pilotage s’arrête là.

C’est surtout le commentaire qui accompagne ce passage qui est choquant : « Cette situation dégradée des régimes complémentaires conduit donc à faire de la négociation engagée un enjeu clef du système de retraites. En effet en l’absence d’accord, le déficit de ces régimes constituerait la part prépondérante du déficit des régimes de retraites à horizon 2020, alors que leurs dépenses cumulées constituent une part minoritaire des dépenses du système de retraites. »

Comment dire que les retraites complémentaires constituent la part prépondérante des déficits du système alors même que les déficits des régimes publics ne sont pas connus. Au mieux, leur déficit est dissimulé derrière une subvention d’équilibre – SNCF, RATP – au pire, leur déficit n’est tout simplement pas mesurable en l’absence de caisse spécifique et financé directement par le budget. Cette affirmation n’est pas responsable lorsque l’on sait à quel point les agents publics sont eux-mêmes convaincus que leur régime est à l’équilibre et qu’ils remettent systématiquement en cause par la voix de leurs syndicats toute mesure, même partielle de convergence avec le privé. D’ailleurs figurent en annexe les discussions du jury citoyen, et il est intéressant de noter que dans la partie relative à l’équité du système de retraites, le jury a estimé que l’équité des efforts contributifs devait être recherché. Alors que pas un mot n’a été dit sur l’éventuelle réforme des retraites publiques  dans le rapport lui-même.

Dans sa fonction de conseil du gouvernement le CSR manque donc à son devoir d’alerte et de pédagogie. Après ce deuxième avis, on peut se demander s’il ne faut pas sérieusement revoir le fonctionnement et les objectifs de ce comité de suivi des retraites.