Actualité

Temps de travail et absentéisme : un tournant gouvernemental bienvenu mais bien tardif…

Est-ce parce que la question de la fonction publique s’invite dans la présidentielle que le sujet évolue sensiblement en cette fin de mandature ? Toujours est-il qu’après un début de quinquennat marqué par la décision de la ministre de la fonction publique Marylise Lebranchu de supprimer le jour de carence au motif de son manque d’efficacité dans la lutte contre l’absentéisme ou de ses déclarations sur le temps de travail évoquant « des clichés trop souvent véhiculés », l’actuelle ministre Annick Girardin opère un tournant.

C’est tout d’abord sur la question de l’absentéisme que le gouvernement a pris les devants : les enquêtes de la Fondation iFRAP dans les communes, les départements, les régions avaient montré l’ampleur du phénomène. Les rapports de la DGCL et les études des courtiers en assurance tels Sofaxis ou Alma avaient pointé l’augmentation, particulièrement depuis la décision de supprimer le jour de carence (alors que son instauration avait permis l'économie de 164 millions d'euros).

Aussi le gouvernement a décidé à l’automne d’introduire des dispositifs visant à renforcer le contrôle des arrêts dans le PLF2017. L’amendement gouvernemental prévoyait que les employeurs publics puissent recourir non seulement aux médecins agréés par l’administration mais aussi aux médecins conseils de l’assurance maladie et à l’ensemble des médecins. Ce dispositif devait se substituer à l’expérimentation de délégation du contrôle administratif des arrêts maladie aux CPAM (voir encadré). Cet amendement adopté a finalement été retoqué par le Conseil constitutionnel au motif qu’il constituait un cavalier législatif.

Une expérimentation qui a révélé de nombreuses failles

Rappelons qu’en matière d’assurance maladie, les employeurs publics sont leurs propres assureurs pour les titulaires. En pratique, cela signifie que les feuilles d’arrêts maladie ne doivent pas être adressées à la CPAM comme pour les salariés du privé mais seulement à l’employeur public qui peut notamment dans le cadre des arrêts de longue maladie diligenter des contrôles. Dans le cadre du PLFSS2010, une convention avait été signée entre la CNAM-TS et le ministre de la fonction publique pour une délégation aux CPAM du contrôle des arrêts maladie des fonctionnaires titulaires. Cette expérimentation qui devait se prolonger jusqu’en 2018 a été, à l’automne, sévèrement critiquée par un rapport de trois corps d’inspection (IGA, IGAS, IGF). Premier reproche, le contrôle expérimenté dans six départements (Clermont-Ferrand, Lyon, Nice, Rennes, Paris, Strasbourg) devait porter sur les arrêts de longue durée (entre 45 jours et 6 mois). Problème, ce n’est pas ces arrêts qui mobilisent les employeurs publics qui souhaitent contrôler les absences de courte et très courte durée (de 8 à 30 jours et de moins de 7 jours). Car ce sont ces arrêts qui affectent le plus leur fonctionnement. Deuxième critique : un échantillon d’administrations « insuffisamment représentatif », un cahier des charges « mal défini », un pilotage qui s’est « délité ». Enfin, le rapport d’inspection regrettait que les administrations n’aient tiré que très peu de conséquences des retours de contrôles médicaux. Ainsi dans 85% des cas d’arrêts injustifiés aucune sanction n’a été prise.

La ministre de la fonction publique a donc publié une circulaire le 31 mars dans laquelle elle précise que les impératifs de continuité et d’efficacité du service public impliquent de développer une politique de renforcement de la prévention des absences pour raison de santé. Dans cette circulaire la ministre rappelle que toute absence au travail doit donner lieu à la transmission dans les délais réglementaires d’une justification, sous peine de retenue sur rémunération, que l’employeur public peut contrôler cet arrêt par le moyen d’une contre-visite médicale assurée par un médecin conseil et en particulier veiller que le fonctionnaire placé en arrêt cesse toute activité rémunérée (dans la limite de certaines exceptions). Enfin, pour faire cesser les polémiques sur le sujet la ministre a prévu de renforcer le suivi statistique et l’harmonisation des indicateurs entre les trois fonctions publiques afin d’assurer une meilleure comparaison dans la fonction publique et entre la fonction publique et le secteur privé.

Parallèlement à ce durcissement sur la question des contrôles, le gouvernement a entrepris de s’attaquer à la question du temps de travail. La ministre de la Fonction Publique s’est saisie du sujet suite à la remise du rapport Laurent et du rapport de la Cour des comptes sur ce thème sensible. Dans une circulaire publiée le 19 avril 2017, la ministre a annoncé vouloir rappeler les règles en matière de temps de travail. Seules 20% des collectivités appliquent l’obligation annuelle de 1.607h de travail. La moyenne s'établit à environ 1.565 heures, selon la Cour des comptes. Selon le rapport Laurent, la durée annuelle du travail est de 1.584 heures même si le rapport insiste, lui, sur les contraintes particulières qui pèsent sur le travail des agents (travail de nuit, le dimanche, astreinte) pour justifier cet écart.

La circulaire rappelle les grands principes de la réglementation applicable aux obligations annuelles de travail, aux autorisations spéciales d’absence, aux modalités d’attribution des jours de réduction du temps de travail, aux heures supplémentaires et aux astreintes. Si la ministre de la fonction publique évoque les spécificités des missions de service public, elle n’oublie pas de relever les situations de mauvaise application de la réglementation et insiste sur la nécessité de faire évoluer l’organisation du travail au regard, tant des nouvelles attentes des usagers que des agents publics, en insistant sur le principe d’exemplarité du service public et de la fonction publique qui l’incarne.

La ministre rappelle que le temps de travail est fixé à 35 heures par semaine et 1.607 heures par an pour les trois fonctions publiques, que les employeurs peuvent appliquer une durée du temps de travail inférieure pour tenir compte des sujétions particulières ou, dans le cas des collectivités locales, si des régimes de travail antérieurs à l’application de la loi sur les 35 heures avaient maintenu un temps de travail inférieur. Mais la ministre invite les employeurs à réexaminer ces dispositions au regard des besoins des usagers et des agents eux-mêmes.

La circulaire revient également sur les autorisations spéciales d’absence « dont il a été constaté une augmentation des motifs d’octroi depuis ces quinze dernières années » et rappelle la réglementation applicable, à savoir privilégier les facilités horaires compensées ou les jours de RTT quand il y en a. La circulaire rappelle aussi que les autorisations spéciales d’absence ne génèrent pas de droit au titre de la RTT sauf celles concernant l’exercice du droit syndical qui sont assimilées à du temps de travail effectif. Enfin la circulaire revient sur la réglementation concernant les heures supplémentaires et sur les astreintes.

Pour être tout à fait complet le texte prévoit une action de formation et d’information dans ce domaine et demande également à la DGAFP de se pencher sur la question des statistiques afin de faciliter la comparaison entre les trois versants de la fonction publique.

Ces différents rappels exprimés dans ces deux circulaires publiées à un mois d’intervalle répondent aux nombreux commentaires faits par la Cour des comptes dans les derniers rapports sur les finances publiques locales (voir encadré). Ils ont rencontré une vive opposition des syndicats de la fonction publique craignant que l’action du gouvernement ne soit guidée par l’élection présidentielle. On peut donc saluer la décision du gouvernement d’agir dans ce contexte. Il demeure que beaucoup de temps aura été perdu en 5 ans…

Extraits des rapports de la Cour des comptes sur les finances locales

Le suivi national d’indicateurs relatifs au temps de travail dans la fonction publique territoriale constituerait un enjeu de premier plan afin de s’assurer du respect des normes en vigueur et d’évaluer la portée des mesures adoptées. Or, de tels indicateurs ne sont pas développés, ce qui empêche d’avoir une vision claire et harmonisée du temps de travail entre les trois fonctions publiques.

En outre, le temps de travail effectif n’est généralement pas aligné sur la durée fixée par la collectivité. En particulier, des autorisations spéciales d’absence sont accordées aux agents pour divers motifs (fêtes religieuses, événements familiaux). Alors que l’octroi des autorisations d’absence est encadré dans la fonction publique de l’État, les collectivités locales peuvent adopter librement un dispositif plus favorable en ce qui concerne les événements familiaux. En outre, les autorisations d’absence octroyées ne sont pas toujours recensées de manière exhaustive, ce qui nuit à la mesure fiable de la durée effective du travail. Ainsi, la commune de Villeurbanne octroie à l’ensemble de ses agents un quota annuel de cinq « jours mobiles » au titre des autorisations d’absence, qu’ils peuvent utiliser à leur entière convenance.

Ayant un caractère général, ces autorisations d’absence doivent être assimilées à des jours de congés supplémentaires.

Rapport sur les finances publiques locales 2016 – Cour des comptes

Dans ses rapports publics de 2013 et 2014 sur les finances locales, la Cour a souligné les différents facteurs de hausse de la masse salariale. Une enquête en cours, conduite par les chambres régionales des comptes sur la gestion locale de la fonction publique territoriale, permettra d’approfondir cette analyse dans le rapport public de 2016.

D’ores et déjà, les chambres régionales ont mis en évidence des durées effectives de travail inférieures à la durée légale et facteurs de surcoûts élevés pour les collectivités. À titre d’exemple, la communauté d’agglomération de Carcassonne a payé en 2013 plus de 15.000 heures non travaillées pour un coût moyen estimé à 350.000 euros, soit l’équivalent de près de dix temps plein et environ, 3% de la masse salariale.

La lutte contre l’absentéisme constitue également une source d'économies, car il grève fortement les dépenses de personnel en provoquant des remplacements coûteux ou des paiements importants d’heures supplémentaires. La chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon a relevé que le taux d’absentéisme du personnel du département des Pyrénées-Orientales est passé de 22,2 jours par agent en 2008 à 26,3 jours en 2012, en dépit des moyens de prévention déployés.

Certaines collectivités, comme la commune de Mâcon, ont mis en place des règles de gestion, réservant le remplacement des absences occasionnelles pour le personnel indispensable à la continuité du service.

La réduction du volume des heures supplémentaires peut être obtenue par une réorganisation du cycle de travail de certains services. À titre d’exemple, la chambre régionale des comptes d’Île-de-France a relevé que la ville de Chelles avait diminué de 37% le recours aux heures supplémentaires entre 2008 et 2013. De même, celui-ci fait l’objet d’un suivi particulier par la commune de Cognac, avec un objectif de baisse de 15% en 2015.

Rapport sur les finances publiques locales 2015 – Cour des comptes