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Supprimer le contingent HLM pour les fonctionnaires

... et tous les contingents

La crise du logement qui se prolonge nous impose de réfléchir à une meilleure allocation du soutien public, notamment dans le secteur du logement social. A ce titre un rapport de l'Inspection générale de l'administration consacré à la gestion du contingent préfectoral de 5% réservé au logement social des agents publics de l'État [1] éclaire ce débat. Il indique que le seuil de 5% de logements alloués sur le contingent fonctionnaire n'est atteint nulle part sauf à Paris. Pour le reste de la France, on atteint 3 et 4% respectivement dans le Rhône et les Bouches-du-Rhône et l'on tourne autour de 1% dans les agglomérations moyennes. Cela reflète selon les rapporteurs "la disparité des demandes reçues, et donc la tension sur le marché du logement". Ils vont même plus loin relevant de nombreuses faiblesses dans le dispositif. Au point que l'on peut se demander si le contingent fonctionnaire sert encore à quelque chose.

Le 5%, définition :

En échange de la garantie qu'il accorde sur les dépôts du livret A qui servent à financer le logement social, l'État, par l'intermédiaire du préfet, dispose dans chaque département d'un droit de réservation sur 30% du parc de chaque bailleur social, dont 5% pour loger ses fonctionnaires (agents civils et militaires de l'État) et 25% pour loger les publics prioritaires, établis selon différents critères [2]. Un décret de février 2011 est venu préciser les choses : il indique que le contingent ne peut représenter plus de 30% du total des logements "dont au plus 5%" au bénéfice des fonctionnaires de l'État. En revanche, pour les opérations nouvelles, le taux de 5% est systématiquement appliqué.

Les différentes catégories de logements pour les agents publics :
- Le logement de fonction pour nécessité absolue de service (NAS) (normalement accordé en contrepartie de sujétions particulières liées à la fonction). Ex. gendarmes
-Le logement de fonction pour utilité de service (US) accordé parce que le logement du fonctionnaire à proximité de son lieu de travail présente un "intérêt certain" sans être "absolument nécessaire à la fonction". C'est celui qui aura le plus défrayé la chronique.
- Le logement au sein du parc immobilier de l'Etat sous la forme de conventions d'occupation précaire (COP) qui doit donner lieu à paiement de redevances domaniales au prix du marché.
- Enfin, les logements de fonctionnaires au sein du parc HLM, sur le 5% de la réserve préfectorale.

Les différentes filières d'attribution de logements sociaux : les filières sont aussi nombreuses qu'il y a de réservataires. Les réservataires sont les structures qui participent au financement de la construction de logements sociaux, soit en fonds propres, soit en garantie. Ce sont ces réservataires qui gèrent leur propre fichier de demandeurs de logements et qui proposent les candidats.

Les réservataires réglementaires sont :
- l'État (Préfectures) avec des publics on l'a vu particuliers
- les collectivités territoriales (Mairies, Conseils Régionaux et Généraux) : à vocation généraliste, ils servent en partie à loger les personnels des collectivités concernées

Les réservataires conventionnels sont :
- les grandes entreprises publiques (RATP, SNCF)
- le 1% logement Ces filières ont vocation à loger les employés de chacune des catégories de financeurs

Combien de logements sont concernés par le 5% fonctionnaire ?

Ce droit appliqué à l'ensemble du parc social d'un peu plus de 5 millions de logements devrait représenter un potentiel de 250.000 logements pour le contingent. Sauf que l'État connait mal son propre parc de logements réservés. Le Conseil d'État avait regretté en 2009 que "beaucoup de préfectures ne connaissent pas, ou plus très exactement, l'historique et le volume de logements sur lesquels peuvent s'exercer leurs droits de réservation et de présentation" [3]. Cette affirmation avait été formulée à l'occasion de la mise en œuvre de la loi DALO. Aujourd'hui, les préfets ont fait en sorte d'avoir un suivi beaucoup plus détaillé justement pour utiliser leur droit de réservation au bénéfice des publics défavorisés. Aussi des conventions ont été signées entre les préfets et les bailleurs sociaux qui permettent accessoirement une meilleure connaissance du contingent fonctionnaire. La logique voudrait que le contingent fonctionnaire soit mutualisé avec le contingent social mais en pratique cette gestion commune est rarement constatée. Les rapporteurs indiquent que seuls les départements des Bouches-du-Rhône et de la Haute-Vienne gèrent le contingent de 30% au sein d'une même unité administrative, assurant ainsi une cohérence d'ensemble.

L'autre difficulté, c'est qu'en pratique l'État "perd" des logements sur son contingent. En effet, il faut savoir que les bailleurs sociaux ont la haute main sur les procédures d'attribution : d'abord, ils ont l'information précise et complète sur les logements désignés. Car ce contingent n'est pas seulement un droit théorique, les logements qui en relèvent sont en principe identifié un par un. Ensuite, la procédure d'attribution conserve leur pouvoir de décision. Bien sûr, les bailleurs sociaux recherchent ces locataires aux revenus réguliers et qui améliorent la fréquentation du parc social. Mais, dans de nombreux endroits où les demandes sont faibles, le préfet ne propose qu'un nom au lieu de trois théoriquement requis, voire rend directement le logement au bailleur social, faute de candidat, pour éviter une vacance couteuse. Dans un rapport du Sénat consacré à l'application de la loi DALO [4] il était indiqué que selon l'Union sociale pour l'habitat d'Île-de-France, les services de l'État franciliens perdent chaque année environ 5.000 logements, notamment suite au rejet de la candidature par la commission ou du refus du candidat, les logements initialement proposés étant repris par le bailleur.

Les résultats du 5% fonctionnaire relevés par le rapport de l'IGA :

Paris fait figure d'exception puisque sur tous les départements français en 2010 c'est le seul où le droit de réservation de 5% est appliqué entièrement avec 7.885 logements au titre du 5%. Cette situation s'explique selon les rapporteurs par "les prix élevés des logements sur le marché privé et le souhait des fonctionnaires d'éviter des temps de déplacement pénalisants". Pour le reste de la région Ile-de-France, le rapport reconnaît qu'en dehors de certaines zones résidentielles où le marché est tendu, les demandes y sont moins nombreuses. Le parc réservataire s'élève à un total de 22.717 logements (Île-de-France hors Paris). Les demandes ont plus de chances d'aboutir en petite couronne, qui dispose de deux fois plus de logements réservés que la grande couronne. C'est aussi à Paris que la demande est la plus forte. Le service en charge du 5% reçoit ainsi plus de 10.000 demandes par an qui concernent prioritairement Paris intra muros.

Dans les autres départements, le taux réel des réservations du 5% se situe aux environs de 1% à Nancy et Limoges et entre 3 et 4% pour Lyon et Marseille. On recensait 4.739 logements réservés dans le Rhône en 2010 et 3.945 dans les Bouches-du-Rhône. Ce rapport indique qu'il existe une "corrélation entre tension sur le marché du logement et performance du dispositif du 5%". Dans les Bouches-du-Rhône et le Rhône, le nombre de demandes est encore significatif (respectivement 580 et 610 pour l'année 2010). En revanche, dans les départements de taille intermédiaire, le nombre de demandes adressées à la cellule de gestion du 5% est faible : en Meurthe-et- Moselle, en dépit de la présence de nombreux agents de l'État, le chiffre s'élève, pour la même année, à 146 demandes ; il n'atteint pas la centaine en Haute-Vienne et dans le Morbihan (respectivement 81 et 34). Les causes sont multiples : stock inadapté aux demandes (quartiers sensibles, logements très éloignés du lieu de travail), absence de véritables tensions sur le marché local (des logements du parc privé, souvent mieux situés et parfois moins onéreux), mauvaise gestion, mauvaise information des agents, … (la mission relève que, mise à part l'Île-de-France, la gestion du 5% s'effectue davantage "au fil de l'eau", au fur et à mesure des demandes de logement qui parviennent au service).

Quels problèmes ce système soulève-t-il ?

Effet d'aubaine :

Le contingent fonctionnaire a vocation à répondre à deux sortes de demandes : d'une part offrir un logement à ceux qui peuvent avoir des exigences spécifiques (nouvel arrivant dans le cadre d'une mutation, les policiers ou les surveillants de l'administration pénitentiaire dont le logement doit être près de leur lieu de travail mais hors des zones sensibles…), soit dans le cadre d'un traitement social (difficultés financières, décohabitations ou arrivée d'enfants). Longtemps le contingent fonctionnaire a été considéré comme une compensation d'une rémunération plus faible, argument qui aujourd'hui ne peut plus être défendu.

Mais il peut y avoir aussi des effets d'aubaine comme n'hésite pas à le reconnaître la mission de l'IGA. C'est notamment le cas lorsque la demande est faible et que le service peine à trouver des candidats, mais on trouve des effets d'aubaine partout, même à Paris. Ainsi un agent parti en retraite : si le rapport considère qu'il "ne doit pas être pour autant évincé du logement qu'il a obtenu : ce serait socialement malvenu alors que la retraite coïncide avec une diminution des revenus" ce qui est discutable. Les rapporteurs reconnaissent en revanche que lorsque le logement sert alors de "résidence secondaire" ou que le logement est confié à un parent, "il n'est pas illogique que l'affectation de ce logement soit analysée à la lumière des demandes". Néanmoins, les rapporteurs refusent de procéder à une enquête systématique préférant un système déclaratif pour les occupants de très longue durée, procédure dont on peut douter des résultats puisqu'il est toujours possible de justifier la nécessité de conserver le domicile (intégration sociale dans le quartier par exemple…)

Interférences avec le système de réservation ministérielle.

À côté du 5%, l'accès au logement social peut se réaliser par le biais des réservations interministérielles et des réservations ministérielles. La mission regrette qu'il n'y ait pas une vision globale de ce que cela représente comme effort en direction des fonctionnaires. Les réservations interministérielles, effectuées sur les crédits DGAFP, sont relativement faibles et concentrées sur les départements où les marchés du logement sont tendus : Île-de-France, PACA, Rhône-Alpes. À la fin 2010, on dénombrait 1.182 logements ainsi réservés pour une durée de 20 à 30 ans, pour des montants par logement de l'ordre de 25.000 euros en PACA à 65.000 euros à Paris. L'importance de ces montants peut expliquer le faible nombre de logements réservés. Beaucoup plus significative est la part des réservations ministérielles, notamment en Île-de-France, pour certains ministères. Les ministères de la Justice, des Finances et de l'Intérieur consacrent des moyens financiers importants pour faire face à des problèmes spécifiques de logement de leur personnel. Même pour des ministères où les effectifs sont plus faibles, les réservations sont utilisées : à Paris, les agents du ministère des Affaires étrangères sont logés à 47,5% sur le contingent préfectoral et à 52,5% sur le parc de réservations ministérielles. Malgré son importance, le poids budgétaire des réservations ministérielles reste inconnu. Or il apparaît selon ce rapport que certaines administrations choisissent systématiquement la réservation sans se soucier de l'offre existante sur le 5%, qui est pourtant gratuit.

Une solution évoquée par le rapport est la mise à disposition du contingent à d'autres destinataires de la fonction publique. Ainsi à Paris, il est cité l'exemple de la brigade des sapeurs-pompiers, composée de militaires bénéficiant chaque année de 120 logements réattribués de la sorte : des logements de petite taille ou mal disposés ou situés dans des quartiers qui pouvaient ne pas convenir aux premiers demandeurs, trouvent preneurs chez des jeunes sapeurs-pompiers pour qui le prix peu élevé et la proximité de l'emploi opérationnel sont les critères prioritaires. Le lien avec la fonction publique hospitalière semble aussi devoir être étudié avec un esprit d'ouverture. Ainsi, dans la Haute-Vienne, le CHU de Limoges fait partie des principaux bénéficiaires du contingent, et ceci ne pose pas problème dans la mesure où l'offre du 5% excède largement la demande d'agents qui arrivent en Limousin à un stade de leur carrière où ils sont désireux de s'ancrer dans le territoire et d'accéder à la propriété. Comme le précise le rapport, la meilleure utilisation sans doute des logements non retenus sur le contingent fonctionnaire serait de les reverser au contingent social du préfet afin de traiter les publics prioritaires.

En conclusion de son rapport, la mission de l'IGA formule une quinzaine de recommandations afin d'améliorer le fonctionnement du contingent fonctionnaire. Mais au bout du compte se pose la question de l'utilité de maintenir ce principe de réservation. Consciente que cette filière est manifestement sous-utilisée sauf quelques villes en France, la mission propose l'instauration d'une péremption des logements 5% non utilisés sur une certaine durée. Ainsi, après un certain nombre d'années ou de refus, les bailleurs sociaux, en contrepartie de la sortie du stock de ces logements jamais attribués à des agents publics, proposeraient des logements mieux situés et plus récents. Par ailleurs, la mission recommande que soit mis fin au foisonnement d'initiatives de réservations ministérielles et clarifie ses priorités entre contingent de 5% et réservations ministérielle et interministérielle, de façon à promouvoir une cohérence sociale et à préserver ses intérêts financiers. Les rapporteurs rappellent que le dispositif du 5% a d'indiscutables mérites : gratuit pour l'État, interministériel par principe et équitable entre agents des différents services.

La proposition de la Fondation iFRAP : supprimer le contingent fonctionnaire

Il nous semble qu'une bien meilleure solution serait de banaliser l'accès au logement social des fonctionnaires comme n'importe quel type de public sur toute la France. Déjà, cela permettrait d'améliorer la mobilité dans le parc et de limiter au minimum la vacance, qui est impardonnable dans un contexte de crise du logement. Mais rien ne justifie un service d'accompagnement des agents publics sur tout le territoire : comme l'expliquent les rapporteurs, les marchés du logement détendus trouvent facilement à proposer aux agents publics des logements du secteur privé bon marché et souvent mieux situés. Cette suppression du contingent fonctionnaire pourrait au mieux libérer des logements en direction des publics prioritaires, voire être rendus aux bailleurs sociaux s'il s'avère qu'il n'y a vraiment pas de demande. A eux, dans une logique de gestion patrimoniale, d'envisager, pourquoi pas, une revente pour financer de la rénovation ou de nouveaux investissements. On arguera sans doute que le secteur privé possède, avec le 1% logement, une filière d'accès privilégiée des salariés vers du logement social. Mais pour les mêmes raisons il nous semble qu'il n'y a plus lieu de maintenir cette filière d'attribution et qu'il faudrait le remplacer par un système d'aides personnelles aux personnes les plus en difficultés. Resterait la question épineuse des zones tendues dont Paris qui concentre un grand nombre de fonctionnaires d'Etat rattachés aux ministères et aux administrations centrales sur un parc de logements particulièrement convoités. Plusieurs solutions sont possibles : faire accepter des trajets plus longs ou au contraire sortir certaines administrations de Paris. Jouer la carte des réservations ministérielles ou interministérielles pour les cas les plus critiques.

[1] Rapport sur la gestion du contingent préfectoral de 5% réservé au logement social des agents publics de l'État - Inspection générale de l'administration n° 11-092-01 décembre 2011

[2] La liste des publics prioritaires est la suivante : Les logements HLM sont attribués en priorité : personnes en situation de handicap ou aux familles ayant à leur charge une personne en situation de handicap, personnes dont la demande présente un caractère d'urgence (difficultés particulières à trouver un logement pour des raisons d'ordre financier, logées dans un logement insalubre, expulsées ou menacées d'expulsion), personnes hébergées ou logées temporairement dans un établissement ou logement de transition, personnes justifiant de violences au sein de leur couple (mariés, pacsés, concubins).

[3] Rapport annuel du Conseil d'Etat, "Droit au logement, droit du logement", 10 juin 2009"

[4] Rapport n°621 sur l'application de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, par les sénateurs Claude DILAIN et Gérard ROCHE.