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Maîtrise de la masse salariale de l’Etat : la rétrospective 2007-2020

La Cour des comptes vient de publier son rapport annuel sur l’exécution des comptes de l’Etat 2020 préparatoire à la discussion sur le projet de loi de règlement des comptes 2020. Désormais et depuis 2019 les pouvoirs publics entendent augmenter le poids de cette phase budgétaire particulière pour l’évaluation des politiques publiques dans le cadre du « printemps de l’évaluation ». A cette occasion il peut être intéressant de faire le point sur l’évolution de la masse salariale de l’Etat, et ce, avec une vision rétrospective jusqu’en 2007. Pour mémoire et en comptabilité nationale la dérive des rémunérations (cotisations sociales incluses) pour l'ensemble des administrations publiques s'est élevée entre 2017 et 2020 à +13 milliards d'euros (+11,4 milliards d'euros pour les seuls salaires et traitements bruts). Entre 2019 et 2020 pour l'ensemble des administrations publiques la dérive est de 6,4 milliards d'euros (5,4 milliards hors cotisations). Nous travaillons dans la présente note sur le champ de l'Etat uniquement et non plus en comptabilité nationale mais budgétaire. Il apparaît en particulier qu’en 2020, la masse salariale de l’Etat (hors contribution au CAS pensions (HCAS)), s’élève à 89,6 milliards d’euros à périmètre budgétaire courant. Soit une augmentation de 1,1 milliard d’euros par rapport à 2019. Si maintenant on recalcule le niveau de la masse salariale de l’Etat en 2020 à champ constant 2006, celle-ci ressort toujours en augmentation par rapport à 2019 à +1,1 milliard d’euros, mais en niveau à 99,6 milliards d’euros, soit 10 milliards d’euros plus haut. Entre 2007 et 2020, la masse salariale de l’Etat (HCAS) a augmenté de 12 milliards d’euros à champ constant, ce qui représente une dérive annuelle de +923 millions d’euros chaque année et de 11,39 milliards d’euros sur 2,5 quinquennats.

Source : Cour des comptes, calculs Fondation iFRAP avril 2021.

Evolution de la masse salariale de l’Etat sous le quinquennat de N. Sarkozy

Les documents fournis désormais en Open Data par la Cour des comptes[1] en complément de son rapport sur l’exécution du budget, permettent de documenter plus précisément les évolutions des différentes composantes de la masse salariale de l’Etat.

Nous commençons notre analyse par la période du quinquennat de Nicolas Sarkozy (16 mai 2007-15 mai 2012). Durant cette période la masse salariale de l’Etat à champ constant 2006, évolue en passant de 88,2 milliards d’euros (exercice 2008) à 90,1 milliards d’euros (exercice 2012).

En conséquence, celle-ci augmente à champ constant (donc hors effets des mécanismes de réallocation de la masse salariale publique en direction des autres niveaux d’administration publique : collectivités territoriales, opérateurs (ou ODAC), administrations de Sécurité sociale) de 2,5 milliards d’euros (il s’agit du cumul des variations par rapport à l’année précédente donc inclut nécessairement la variation de 2008 par rapport à l’année 2007 exécutée).

 

Quinquennat N. Sarkozy

 

 

2008

2009

2010

2011

2012

Total 2007-2012

Variation masse salariale

(périmètre constant) par rapport à n-1

0,6

0,8

0,6

0,4

0,1

2,5

Schéma d'emplois

-0,64

-0,87

-0,82

-0,94

-0,94

-4,2

Mesures générales

0,57

0,63

0,59

0,29

0,20

2,3

Mesures catégorielles

0,47

0,55

0,58

0,56

0,45

2,6

GVT+

1,002

1,04

1,309

1,411

1,325

6,1

GVT-

-0,814

-0,783

-1,127

-1,257

-1,034

-5,0

GVT solde

0,19

0,26

0,18

0,15

0,29

1,1

Mesures diverses + débasage et rebasage

0,1

0,3

0,0

0,3

0,1

0,8

Source : Cour des comptes, rapport d’exécution du budget 2013[2].

Cette limitation de l’augmentation de la masse salariale a été obtenue par la mise en place d’un schéma d’emplois ambitieux (avec le non renouvellement d’un agent public sur deux partant à la retraite), et malgré la poursuite des transferts de personnels dans le cadre de l’acte II de la décentralisation ainsi que la mise en place de l’autonomie des universités et les transferts de personnels éducatifs et d’encadrement qui vont avec (qui se sont retrouvés logés et portés par les budgets des opérateurs). Les mesures générales ont été tirées vers le haut par la revalorisation régulière du point de fonction publique : 0,5% le 1er mars 2008, 0,3% le 1er octobre 2008, 0,5% le 1er juillet 2009, 0,3% le 1er octobre 2009, 0,5% le 1er juillet 2010 avant son gel à compter du 1er janvier 2011[3]. Par ailleurs les mesures catégorielles augmentent de 2,6 milliards d’euros sur la période liée aux effets de partage de 50% des économies du 1 sur 2 en direction des agents publics. La maîtrise des effectifs permet de limiter le coût de la progression des rémunérations liées à l’avancée dans les carrières à 1,1 milliard d’euros sur la période. Enfin les effets de transferts représentent près de 800 millions d’euros sur la période. Sur le quinquennat du président Sarkozy, la masse salariale augmente donc de 2,83%.

Augmentation de la masse salariale de l’Etat sous le quinquennat de François Hollande

Sous le quinquennat de François Hollande, la masse salariale de l’Etat évolue de 5,4 milliards d’euros. Les dépenses de personnel hors CAS pensions évoluant de 89,9 milliards d’euros en 2013 à 95,4 milliards d’euros à périmètre constant. A périmètre courant toutefois, l’évolution est bien différente puisqu’elle évolue de 81 milliards d’euros à 85,6 milliards d’euros, soit +4,6 milliards d’euros.

Cette augmentation qui représente plus du double de l’évolution du quinquennat précédent se décompose de la façon suivante. L’augmentation totale est plus importante car elle inclut en 2013 la variation par rapport à l’exercice clos 2012, soit +5,4 milliards et non seulement +4,6 milliards sur la période :

 

Quinquennat Fr. Hollande

 

 

2013

2014

2015

2016

2017

Total 2007-2012

Variation masse salariale (périmètre constant) par rapport à n-1

-0,1

0,4

0,4

1,4

3,4

5,4

Schéma d'emplois

-0,58

-0,23

-0,06

0,23

0,47

-0,2

Mesures générales

0,15

0,14

0,19

0,30

0,66

1,4

Mesures catégorielles

0,25

0,30

0,22

0,38

1,30

2,4

GVT+

1,194

1,20

1,21

1,21

1,21

6,0

GVT-

-0,908

-0,91

-0,92

-0,92

-0,93

-4,6

GVT solde

0,29

0,30

0,37

0,35

0,32

1,6

Mesures diverses + débasage et rebasage

-0,2

-0,2

-0,3

0,1

0,6

0,0

Source : Cour des comptes.

Le quinquennat est divisé en deux parties :

  • de 2013 à 2015, les dépenses de masse salariale sont très contenues, avec même une baisse en 2013 (-0,1 milliard d’euros), puis +0,4 milliard en moyenne chaque année ;
  • A partir de 2016 et 2017, les attentats terroristes aboutissent à une modification du schéma d’emplois dont les effets d’extension en année pleine ne se produisent que l’année suivante soit 2016. Ensuite 2017 poursuit sur la lancée avec un effet « d’année électorale » peu propice à une maîtrise des dépenses salariales publiques. Par ailleurs les effectifs de l’Education nationale sont également en forte hausse avec le recrutement sur la période de 54.000 postes sur 60.000 promis durant la campagne présidentielle de 2012[4].

La baisse des effectifs initiée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy continue de manifester ses effets sous le quinquennat de François Hollande malgré le réajustement à la hausse des effectifs régaliens (police/justice, défense). Le schéma d’emplois participe sur la période à raison de -0,2 milliard d’euros. Les mesures générales pèsent entre 2013 et 2017 pour 1,4 milliard d’euros sous l’effet de la mise en place de deux revalorisations salariales de 1,2% en tout (0,6% au 1er juillet 2016 et 0,6% au 1er février 2017).

Par ailleurs, les mesures catégorielles explosent à +2,4 milliards d’euros sur la période et significativement à compter de 2017 qui voit une augmentation plus importante que les 4 années précédentes cumulées. Notamment à cause de la mise en place du protocole PPCR dans la FPE. Le protocole PPCR pèse sur ces dernières à hauteur de 17 millions en 2016 et 702 millions en 2017 en exécution[5]. Le reste des mesures catégorielles (619 millions d’euros) sont également en très forte augmentation en cette année électorale.

Le GVT solde, quant à lui positionné à 1,6 milliard d’euros sur le quinquennat, est un peu plus haut que sous le quinquennat précédent 1,1 milliard, lié à un GVT négatif (effet noria), lié au tassement de la masse salariale un peu moins fort qu’entre 2008-2012 (-4,6 contre -5 milliards) à cause des revalorisations de points de fonction publique et de plus faible baisse des effectifs.

Point d’étape sur le quinquennat en cours d’Emmanuel Macron

A périmètre constant 2006, les dépenses de masse salariale de l’Etat en 2020 s’élèvent à 99,6 milliards d’euros soit une croissance de 2,5 milliards d’euros en seulement 3 ans (2018-2020). A périmètre courant et en incluant la variation du budget 2018 exécuté par rapport à l’exécution 2017, l’augmentation atteint 4,1 milliards d’euros.

La décomposition de la variation cumulée de la masse salariale de 2018 à 2020 se distribue comme suit :

 

Quinquennat E. Macron ….

 

 

2018

2019

2020

Total 2020-2007

Variation masse salariale (périmètre constant)

1,7

1,4

1,1

4,1

Schéma d'emplois

0,28

0,011

0,1

0,3

Mesures générales

0,04

0,011

0,0

0,1

Mesures catégorielles

0,30

0,71

0,89

1,9

GVT+

1,28

1,30

1,30

3,9

GVT-

-0,86

-0,85

-0,85

-2,6

GVT solde

0,35

0,37

0,37

1,1

Mesures diverses + débasage et rebasage

0,7

0,3

-0,25

0,7

Source : Cour des comptes.

Le schéma d’emploi semble bien maîtrisé en exécution depuis 3 ans. Il contribue à la hausse de la masse salariale globale mais ne tombe pas en territoire négatif puisqu’il n’y a pas de réduction du nombre d’emplois publics au sein du budget général de l’Etat et que le projet de baisse des emplois publics au niveau de l’Etat de 50.000 à 15.000 en juillet 2019 a depuis lors été abandonné. Les mesures générales sont très faibles car le point de fonction publique est gelé depuis la dernière revalorisation de février 2017. Les mesures catégorielles augmentent malgré la pause de 2018 du déploiement du protocole PPCR. Son report en 2019 aboutit à des dépenses supplémentaires de 348 millions d’euros environ et 550 millions d’euros en 2020. Par ailleurs d’autres mesures de revalorisations catégorielles viennent grever un peu plus une note qui s’élève sur la période à 1,9 milliard d’euros. Le GVT solde est du même niveau que celui du quinquennat de Nicolas Sarkozy en à peine 3 ans, mais devrait sous toute vraisemblance dépasser en fin de quinquennat le niveau cumulé de la présidence Hollande à +1,4 milliards d’euros, pour atteindre potentiellement 1,9 milliards d’euros. Les diverses mesures de rebasage et primes atypiques représentent un niveau cumulé de 0,7 milliard d’euros sur la période. 

Conclusion

Avec une dérive de 12 milliards d’euros en 14 ans ou de 11,3 milliards d’euros en 13 ans, la dérive de la masse salariale de l’Etat hors CAS pensions on assite à une dérive de 860 millions d’euros environ par an. Les leviers d’action sont parfaitement connus et identifiés :

  • Les pouvoirs publics peuvent jouer sur le nombre des effectifs, notamment en ne renouvelant pas l’ensemble des départs à la retraite. C’est la stratégie qui a été utilisée avec efficacité sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy (-4,2 milliards d’euros) mais en lâchant du lest sur les mesures générales et catégorielles (+4,9 milliards d’euros), ce qui n’a pas stabilisé la masse salariale en valeur ;
  • Il est possible d’agir également sur le GVT positif en ralentissant les promotions à l’ancienneté et d’augmenter le GVT négatif en baissant les entrées dans la fonction publique par non renouvellement des postes. Cette option n’a été mise en place que partiellement (GVT négatif) par Nicolas Sarkozy. Une extrapolation du GVT positif sous E. Macron livre un chiffre de +6,5 milliards d’euros sur le quinquennat, ce qui serait une hausse jamais vue (+6,1 milliards sous N.Sarkozy, +6 milliards sous Fr. Hollande).

Si l’on veut vraiment contenir la masse salariale de l’Etat il faudra jouer inévitablement sur l’ensemble des leviers à la fois, et tenir une baisse des effectifs non essentiels conjointement à une modération salariale portant sur les mesures générales et catégorielles. Dans ce cadre les pouvoirs publics pourraient en retirer un double dividende : bénéficier d’un effet schéma d’emplois et mesures générales et catégorielles négatives, mais aussi faire passer le GVT solde à nouveau en territoire négatif.


[1] https://www.data.gouv.fr/en/datasets/le-budget-de-letat-en-2019-resultats-et-gestion/, le dernier jeu de données date de 2019, on peut aisément le mettre à jour pour 2020 en attendant la publication des données définitives par la Cour d’ici fin avril 2021.

[2] Cour des comptes, rapport 2013 p.151, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20140528_rapport_budget_de_l_Etat_2013_resultats_gestion.pdf#page=151

[3] Voir sur ce point, le document interne de la DGAFP, Eléments statistiques de référence sur l’évolution globale des rémunérations dans la fonction publique, mars 2016, p.28, https://www.ifrap.org/sites/default/files/articles/fichiers/rapport_salaires_publics_-_mars_2016.pdf#page=28

[4] https://www.vousnousils.fr/2017/03/20/francois-hollande-son-bilan-pour-leducation-nationale-601303#:~:text=La%20loi%20de%20finances%20de,000%20dans%20l'enseignement%20agricole.

[5] Pour la FPE uniquement, voir Joël Giraud, rapport tome 1 PLF 2019, p.62, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b1302-ti_rapport-fond.pdf#page=62. Il faut noter que le coût pour l’Etat stricto sensu est plus faible à raison du poids de PPCR au sein des opérateurs/ODAC, ce qui explique les différences en exécution. A comparer avec le rapport d’exécution budgétaire de la Cour des comptes 2017, p. 134 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-05/20180523-rapport-budget-Etat-2017_0.pdf#page=134