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Logement de fonction pour utilité de service

Supprimer 7000 logements dans la fonction publique d'Etat

Nous avons eu l'occasion d'aborder dans une précédente étude l'importance du « trou noir » constitué par les logements de fonction attribués aux fonctionnaires. Nous y montrions que la plus grande opacité y régne, notamment s'agissant des « avantages en nature » que ces logements constituent au regard du fisc [1]. Rappelons au lecteur que la summa divisio des logements de fonctions est instituée par l'article R. 94 du Code du domaine de l'Etat. Celui-ci énonce les différences qui existent entre la nécessité absolue de service et l'utilité de service dans le cadre du logement de l'agent public ; la différence structurante résidant dans l'opposition entre la nécessité absolue de service (NAS) caractérisée par l'impossibilité « d'accomplir normalement son service sans être logé dans les bâtiments où il doit exercer ses fonctions » (al.1) et la simple utilité de service pour laquelle le logement sur le lieu de travail « sans être absolument nécessaire à l'exercice de la fonction (…) présente un intérêt certain pour la bonne marche du service. (al.2) ».

Lire aussi notre étude sur les logements de fonction des ministres et membres du gouvernement

Fort de ce constat et en période de disette budgétaire, le Président de la République a précisé dans sa lettre du 28 juin 2010 envoyée au Premier ministre, une évolution sensible de la situation actuelle, en remettant en cause le principe même de la notion d'utilité de service : « Concernant plus généralement les agents publics, je demande que les avantages en nature qui sont concédés à certains d'entre eux soient strictement circonscrits à l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, les logements accordés pour utilité de service seront supprimés au fur et à mesure du départ de leurs occupants. »

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Lettre du Président au Premier Ministre sur les mesures d'économie budgétaire, 28 juin 2010

Désormais donc, la plupart des logements de fonction attribués pour utilité de service (US), quelque 7 000 sur les 9 109 recensés [2], vont progressivement basculer du parc locatif des ministères dans le giron de France Domaine. A l'Etat propriétaire ensuite de choisir leur mode de valorisation : prise à bail auprès du public moyennant le paiement d'une redevance domaniale, ou bien cession pure et simple dans le cadre du programme des cessions immobilières de l'Etat.

En reprenant ainsi la main, la Présidence « siffle » en quelque sorte la fin de la partie, et prend acte de l'impossibilité pratique pour l'Etat de faire payer à ses agents bénéficiaires des « redevances domaniales » au prix du marché ou, dans le cas contraire de logements délivrés à titre gratuit, d'obtenir d'eux leur déclaration sous forme d'avantages en nature dûment fiscalisés.

Dans la pratique, jusqu'à présent en effet, nombre de fonctionnaires avaient fini par voir dans ces avantages de véritables compléments de traitement. Résultat : des encaissements domaniaux sur ce segment de l'ordre de 9 millions d'€ (en 2003 derniers chiffres connus), pour un manque à gagner devant atteindre environ 45,5 millions d'euros rien que pour les logements pour US (utilité de service), soit une valorisation de 16,5%. Une situation qui ne semble guère avoir évolué en 2009 où l'on relève une valorisation plus proche des 12,5% [3] ! Par ailleurs, chaque ministère gérant lui-même son propre parc immobilier en lieu et place de l'administration des domaines, le taux de vacance des locaux pouvait atteindre en 2009 entre 18 et 20% du parc, soit une sous-valorisation de l'ordre des 11 millions d'euros !

La réforme sera-t-elle exportable aux fonctions publiques locales et hospitalières ?

Cette initiative sera-t-elle pour autant suivie d'effet dans le cadre des deux autres fonctions publiques : territoriale et hospitalière ? Il est encore trop tôt pour pouvoir le dire. D'ailleurs la situation des logements de fonction est diversement traitée suivant la fonction publique considérée :

- D'une part, s'agissant des logements pour utilité de service (US) prodigués par les collectivités locales aux agents de la fonction publique de l'Etat (on pense en particulier à certains fonctionnaires de l'éducation nationale), la tentation sera sans doute vive de se mettre en conformité avec la législation nationale puisque ces US représentent à l'heure actuelle un manque à gagner certain pour les collectivités bailleuses (notamment s'agissant de fonctionnaires de l'éducation nationale).

- D'autre part, s'agissant de la fonction publique territoriale elle-même, il semble que les textes énoncent pour le moment limitativement [4] leur emploi. Il serait néanmoins légitime de procéder à un recensement exhaustif des logements de fonction attribués, ainsi que de procéder à une réforme objectivant la surface des locaux au regard de la situation de famille.

Une telle démarche est d'autant plus aisée que ces mécanismes attributifs ont été introduits par voie législative. Il est donc possible de les compléter par amendement.

Quant à la situation de la fonction publique hospitalière, le paradoxe réside dans le fait qu'elle ne vient que très récemment de recevoir les dispositions réglementaires explicitant le mode d'attribution de ses locaux de fonction. En effet, il aura fallu attendre le décret n°2010-30 du 8 janvier 2010 pour voir préciser clairement leur régime juridique [5]. Ce décret présente un intérêt particulier : il comporte une clause de surveillance quant aux dépenses relatives à la rénovation des logements de fonction [6] (article 13) afin de limiter les dépenses somptuaires : «  Les dépenses d'investissement et de gros entretien afférentes aux logements concédés dans le patrimoine de l'établissement figurent au programme annuel de travaux de l'établissement. Le bilan d'exécution de ces dépenses ainsi que des dépenses d'entretien courant fait l'objet d'une présentation annuelle auprès de l'assemblée délibérante de l'établissement. ». Par contre, beaucoup moins heureuse est la disposition permettant la sortie des logements de fonction des agents hospitaliers ne rentrant plus dans les critères d'attributions visés par le décret (article 16). En effet, ceux-ci « qui ne satisfont pas aux conditions prévues (…) en conservent le bénéfice [de leur ancien logement de fonction] pendant une durée de deux ans ». Etant donné la situation actuelle de nos finances publiques, on aurait aimé voir inscrit un temps beaucoup plus court !

Conclusion

La réforme de l'allocation des logements pour utilité de service a longtemps constitué un véritable « serpent de mer » pour l'administration publique. Pas une statistique à jour rendue publique depuis 2003 ! D'ailleurs le rapport fondateur de Georges Tron sur la politique immobilière de l'Etat datant de 2005 reprenait lui aussi l'étude menée en 2003... sans parvenir à actualiser les chiffres… L'affaire n'a semblé rebondir qu'en 2009 à l'initiative d'Eric Woerth alors Ministre du Budget. Il avait d'abord pensé procéder à une réforme unificatrice des modalités d'attribution [7] par amendement au sein du projet de loi de finances 2010. L'initiative ayant fait long feu, elle aurait dû rebondir au moyen d'une circulaire programmée pour janvier 2010 mais qui en définitive n'est jamais sortie des cartons de Bercy. La réforme présidentielle aura donc le mérite de trancher en faveur de la suppression des concessions pour utilité de service. Elle évitera surtout de rentrer dans une dynamique de « surenchère salariale » liée à la « réindexation » des redevances, les fonctionnaires désirant compenser la perte de leur ancien avantage en nature. Elle va enfin, venir s'adosser au lancement de la RGPP2 (seconde révision générale des politiques publiques) qui a pour ambition de dégager près de 10 milliards d'€ sur 3 ans dans le cadre plus général de la réduction des dépenses de l'Etat, et compléter la réduction des mesures de train de vie qui touchent les ministères (-10 000 véhicules de fonction en trois ans etc…). Il ne faudra pas cependant que l'on en oublie les logements en NAS (pour nécessité absolue de service) dont une remise à plat dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, devrait permettre de dégonfler le nombre. En effet, ils représentent actuellement plus de 90% des logements de fonction attribués au sein de la fonction publique d'Etat.

Aller plus loin… en s'intéressant aux opérateurs de l'Etat

Enfin, quid des 655 opérateurs de l'Etat ? Pour le moment, la Banque de France est la seule à communiquer sur ses engagements concernant ses logements de fonction. Ils demeurent pourtant significativement flous. Elle revendique l'augmentation de « 69% des loyers de ses locataires extérieurs », mais reste peu diserte quant à ses propres logements de fonction. Remarquons (voir notre dossier Immobilier de l'Etat, Société Civile n°87 p.17) toutefois que les personnels de la Banque jouissent toujours de logements de fonction à des coûts particulièrement cléments puisque les locataires extérieurs en 2007 représentaient 12% du parc loué (119 logements) mais généraient 30% des recettes locatives ! Les logements de fonction interne représentaient 88% du parc mais seulement 70% des recettes. Par ailleurs, il subsistait en 2008, 3 logements pour utilité de service qui continuaient à se voir attribués gratuitement à titre transitoire, bien que cette gratuité pour les cadres dirigeants ait été supprimée à compter du 1er janvier 2007 [8]. Il appartiendra de mettre définitivement fin à l'ensemble de ces avantages en nature et de produire une doctrine unifiée en la matière concernant l'ensemble des opérateurs. On voit mal en effet les raisons qui permettraient d'exclure les opérateurs et les organismes sui generis (Banque de France, Caisse des dépôts etc…) des efforts demandés à la fonction publique d'Etat en la matière.

[1] Nous rappellerons que pour le régime fiscal et financier des logements de fonction accordés pour « utilité de service », un certain nombre d'abattements peuvent se cumuler (voir en ce sens par exemple, projet de circulaire du MEDAD, p.4 Circulaire relative aux conditions d'occupation des logements de fonction) : 5% à raison de l'obligation de résidence dans les locaux concédés, 10% si l'agent est tenu d'assurer hors des heures de service, des fonctions non rémunérées, 3% de plus lorsque le local concédé est trop éloigné du centre de la localité considérée, 15% en raison du caractère précaire de l'occupation, 18% si on lui accorde un logement (sic !) trop grand pour ses besoins et ceux de sa famille !

[2] Voir les statistiques présentées par le rapport MEC (Mission d'évaluation et de contrôle), de 2005, annexe 2, p.61. Elles dataient cependant de 2003, et n'ont jamais été mises à jour depuis.

[3] Selon Bercy, les redevances domaniales des logements de fonction pour utilité de service en 2009 au sein du parc immobilier de l'Etat n'étaient payées que par 25% des locataires, pour un montant moyen de 50% de leur valeur de marché.

[4] Rappelons qu'en vertu de l'art.21 de la loi n°90-1067 du 28 novembre 1990 relative à la fonction publique territoriale et portant modification de certains articles du code des communes (modifié par l'art.67 de la loi du 19 février 2007), les organes délibérants des collectivités territoriales fixent la liste des emplois pour lesquels un logement de fonction peut être attribué (en NAS ou en US). Les avantages accessoires liés à l'usage du logement étant eux aussi fixés par délibération. En ce qui concerne l'attribution pour nécessité absolue de service la liste limitative permet d'entrevoir l'importance du nombre de bénéficiaires potentiels : emplois fonctionnels d'un département ou d'une région, directeur général des services d'une commune de plus de 5 000 habitants, directeur général d'un établissement public de coopération intercommunal à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants, directeur général adjoint des services d'une commune ou d'un EPCI à fiscalité propre de plus de 80 000 habitants, un seul emploi de collaborateur de cabinet du président de conseil général ou région, d'un maire ou d'un président d'un EPCI à fiscalité propre de plus de 80 000 habitants.

[5] Auparavant les logements de fonction étaient régis par l'article 72 du décret n°43-891 du 17 avril 1943, complété pour les attributions pour utilité de service par la circulaire n°160 du 2 septembre 1950 (l'absence de logement de fonction pour les personnels de direction justifiant l'allocation d'une indemnité supplémentaire de 10%). Un projet de décret était pourtant en préparation depuis 2004, mais resté sans suite jusqu'alors.

[6] Suite sans doute aux affaires récentes du directeur du CHU de Caen qui avait fait rénover et décorer son logement de fonction pour 836 997 €.

[7] Qui varient parfois grandement d'un ministère à l'autre au moyen de circulaires ad hoc.

[8] Voir rapport du sénateur Paul Girod, Le patrimoine immobilier de la Banque de France, n°396, 12 juin 2008.