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Fonctionnaires : le quota de logements HLM

Combien y a-t-il de fonctionnaires dans les logements HLM ? Si l'on extrapole à partir des chiffres fournis par le rapport de la Fondation Abbé Pierre 2010 [1], l'application de la « réserve préfectorale des fonctionnaires » constituerait un parc de 221.800 logements pour la France, soit pour la métropole, pas moins de 216.400 logements (97,5% du total). Ceci constitue le contingent réservé aux fonctionnaires de l'Etat et mis légalement à la disposition des préfets dans les départements.

Celui-ci doit donc s'ajouter aux 141.000 logements de fonction mis à la disposition des fonctionnaires civils et militaires par l'Etat, sur son propre domaine immobilier. Ainsi les logements à loyers « dérogatoires », concerneraient 362.800 logements, ce qui pourrait représenter au bas mot 16,4% des fonctionnaires d'Etat [2], soit près 1 fonctionnaire sur 6 [3] !

Logement des fonctionnaires : l'escalier à quatre marches

Les avantages des fonctionnaires en matière de logement peuvent se présenter comme un escalier à quatre marches :

- Le logement de fonction pour nécessité absolue de service (NAS) (normalement accordé en contrepartie de sujétions particulières liées à la fonction).

- Le logement de fonction pour utilité de service (US) (qui devrait être profondément réformé selon les volontés Présidentielles) qui se voit accordé parce que le logement du fonctionnaire à proximité de son lieu de travail présente un « intérêt certain » sans être « absolument nécessaire à la fonction ». C'est celui qui aura le plus défrayé la chronique.

- Le logement au sein du parc immobilier de l'Etat sous la forme de conventions d'occupation précaire (COP) qui doit donner lieu à paiement de redevances domaniales au prix du marché (moyennant toutefois un abattement légal de 15% sur leurs redevances d'occupation).

- Enfin, et c'est l'objet de notre étude aujourd'hui, les logements de fonctionnaires au sein du parc HLM, ce qui permet en réalité de bénéficier de logements disponibles à des coûts modiques, constitutifs de véritables avantages en nature, appuyés sur le 5% de la réserve préfectorale.

Comment en est-on arrivé à cette situation ? Pour ce qui relève des fonctionnaires logés au sein du parc locatif social, il a été conféré à l'origine aux préfets dans chaque département un « droit de réservation » de logements au sein du parc des bailleurs sociaux (offices publics de l'habitat (OPH) et entreprises sociales pour l'habitat (ESH)) que l'on appelle le « contingent préfectoral ». Celui-ci a été institué avec la double finalité de permettre l'attribution de logements à des candidats jugés prioritaires, mais également de permettre d'amortir les conséquences sociales des mutations des fonctionnaires d'Etat dans les services déconcentrés, alors même que la fonction publique d'Etat était en pleine croissance : près de 6,19% d'augmentation des effectifs entre 1980 et 1990 dont 5,26% simplement entre 1980 et 1986 [4].

C'est ainsi que la loi du 18 juillet 1985 « généralise le contingent préfectoral [5] » apparu dès 1977 pour les logements dits « conventionnés ». Désormais, le préfet dispose d'un droit de réservation de 30% de l'ensemble des logements sociaux de chaque organisme (articles L441-1 et R441-5 du code de la construction), dont 5% sont réservés au profit des agents civils et militaires de l'Etat sans contrepartie financière [6]. Les 25% restants sont dévolus aux personnes jugées prioritaires selon le droit commun et sont soumis aux commissions de médiation chargées de sélectionner les dossiers les plus urgents. Ces 25% de la réserve préfectorale peuvent cependant conduire à une délégation depuis 2004, au maire des communes concernées [7].

On l'aura compris, dans l'attribution d'un logement social, les fonctionnaires ne sont pas exactement des citoyens comme les autres. Ils disposent de leurs propres bureaux de logement interne à l'échelle du service puis du ministère. C'est lui qui ventile les fonctionnaires candidats en fonction des locaux vacants entre le parc de logement ministériel (logements de fonction classiques) et les logements sociaux interministériels (HLM). Ces logements sont par ailleurs accessibles aux fonctionnaires par l'intermédiaire d'un second circuit, celui des bureaux sociaux de chaque préfecture [8] en fonction des plafonds de ressources, dont on a par ailleurs déjà montré qu'ils étaient particulièrement élevés (au nom du concept de mixité sociale ?). Tout fonctionnaire peut donc a priori avoir droit à son logement social. Le mécanisme du « contingentement » évite d'ailleurs que l'on puisse dire que les fonctionnaires l'obtiennent par priorité ou à la place des candidats du secteur privé, puisque des places spécifiques leur sont de toute façon réservées… même si à grande échelle, cela revient strictement au même… puisque tout nouvel ensemble social construit, ouvre automatiquement 5% des logements aux fonctionnaires d'Etat.

Pour la fonction publique territoriale, il n'existe pas de réglementation comparable pour la simple raison que l'utilité du contingent préfectoral réservé de 5% n'existe qu'en raison des risques induits par les mutations géographiques, phénomène largement théorique au sein de la fonction publique locale [9]. C'est pourquoi les fonctionnaires territoriaux doivent s'en remettre aux contingents des maires qui sont conventionnellement retenus auprès des bailleurs sociaux à raison de leurs engagements financiers dans les programmes de construction réalisés. Ainsi, les fonctionnaires territoriaux sont mis théoriquement à égalité avec les candidats du secteur privé. D'où l'aspiration de certains à pouvoir bénéficier des mêmes droits que leurs homologues de la fonction publique d'Etat, surtout si le contingent discrétionnaire municipal tend à se réduire sous l'action du dispositif DALO (droit opposable au logement) depuis mars 2007 [10] (Il semble que celui-ci pourrait d'ailleurs avoir également écorné le contingent préfectoral de 5% [11]). Désormais, les maires se retrouvent donc dans l'obligation juridique de faire passer les sans-logement avant leurs fonctionnaires territoriaux sur leur propre contingent et éventuellement sur le contingent préfectoral délégué [12], au contraire de leurs homologues de la Fonction publique d'Etat.

Conclusion :

La politique des contingents réservés aux fonctionnaires produit nécessairement un effet d'éviction au détriment du privé. La suppression du 5% préfectoral devrait permettre de revenir à une attribution objective des logements sous condition de ressources, suivant des critères transparents et opposables à tous, sans distinction entre les bénéficiaires potentiels. Cette suppression permettrait sans doute de réallouer une part non négligeable des 221.000 logements actuellement réservés aux personnels de l'Etat, permettant de développer l'offre disponible et de contribuer à l'égalité public/privé.

[1] L'Etat du mal-logement en France, 15ème rapport annuel, 2010 p.153

[2] Une hypothèse particulièrement raisonnable puisqu'elle supposerait qu'il n'y ait pour cela qu'un fonctionnaire par couple et par logement. Or si le nombre de couples de fonctionnaires d'Etat est inconnu, il existe nécessairement ce qui pourrait faire grimper substantiellement les statistiques : peut-être à 1/5… mais la statistique n'est pas renseignée…

[3] hors fonction publique locale et hospitalière.

[4] Voir rapport thématique Cour des comptes, Les effectifs de l'Etat, 1980-2008, p.10.

[5] Voir en ce sens, Kamoun, P, Historique du peuplement. Un siècle d'habitat à « bon marché », Informations sociales, 2007/5, n°141 p.21. Précisons que cette « généralisation » sera effective à partir du décret du 19 mars 1986 qui va définir les contingents de réservation : 25% du parc pour le maire (rabaissé à 20% dès 1987 et conditionné par l'engagement financier de la commune concernant les programmes de lotissement).

[6] Voir par exemple, Question écrite n°44520 de M Axel Poniatowski (UMP Val-d'Oise) du 17/03/2009 et la Réponse du Ministre du logement et de l'urbanisme du 29/06/2010, publiée au J.O. 06/07/2010, p.7644.

[7] En vertu de l'art.60 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004.

[8] L'Île-de-France dispose d'un système particulier, avec sa propre bourse aux logements réservée aux fonctionnaires animée par la Préfecture de Paris. Par ailleurs, tous les fonctionnaires d'Île-de-France peuvent bénéficier d'un logement dit « CIAS » (logements attribués par le comité interministériel d'action sociale), ainsi qu'aux logements « SRIAS » (pour section régionale interministérielle d'action sociale).

[9] Le seul cas d'école individualisé étant celui fourni par des fonctionnaires territoriaux animant la « représentation extérieure » d'une région, en France ou à l'Etranger… mais cette « représentation » est rarement permanente.

[10] Cf, la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (J.O du 6 mars 2007). Une loi que le Conseil d'Etat va tenter rapidement de cantonner, voir CE.30 juin 2010 : «  Le simple fait pour un requérant d'invoquer la loi DALO pour s'opposer à son expulsion et l'absence de solution de relogement ne peut constituer un trouble à l'ordre public de nature à empêcher la mesure d'exécution de l'expulsion de locataires sans droit ni titre. » En 2009, sur 100.000 dossiers déposés, il y en avait 31.000 avis favorable et 13.000 relogés.

[11] Voir la Question laissée sans réponse du député socialiste Jacques Mahéas (Seine-Saint-Denis) au ministre de l'intérieur, n°11102, publiée au J.O. Sénat du 26/11/2009, p.2733.

[12] D'autant que les tensions sur le logement social entre les différentes fonctions publiques sont très disparates : entre 1980 et 2007 on assiste à +14,3% sur la fonction publique d'Etat, +54,3% sur la fonction publique hospitalière mais +71,2% sur la fonction publique territoriale, soit près de 700.000 fonctionnaires de plus ! (voir Cour des comptes, op.cit).