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Emploi public : Trop ou pas assez ?

Dans une très récente publication de France Stratégie intitulée « Tableau de bord de l’emploi public, situation de la France et comparaison internationale » (décembre 2017), les auteurs s’émeuvent (en particulier dans la synthèse) : « la France passe volontiers pour la championne toutes catégories en matière d’emploi public. Qu’en est-il réellement ? (…) La France est-elle sur-administrée ? » […] « La France se situe (…) [au contraire] dans « la moyenne haute », sans entrer pour autant dans des zones atypiques : son taux d’administration est proche de la moyenne des pays considérés » (89‰ (89 pour 1000 habitants) pour la France en 2015 contre 83‰ de moyenne pour les pays retenus par l’étude). Pour autant la France est parmi les plus mal classés en la matière, 5ème alors que 11 pays européens font mieux. Idem s'agissant des dépenses de masse salariale où la France est cette fois 4ème plus grosse dépensière (12,91% du PIB), contre 12 pays faisant là encore, mieux. En réalité pour bien cerner le phénomène il faut mettre en évidence des différences difficilement explicables, notamment avec la Suède, qui peuvent expliquer qu'un niveau d'administration supérieur se traduise par des dépenses de rémunérations plus faibles : la singularité du financement de nos retraites publiques (CAS pensions, régimes spéciaux, etc.) Reste les questions des périmètres. La France n'a pas encore décidé d'externaliser substantiellement ses politiques publiques. Un choix sur lequel France Stratégie ne se prononce pas mais qui devrait intéresser les travaux du CAP 2022.

Et la Presse spécialisée de s’en faire l’écho[1] : « N’en déplaise aux ultralibéraux, la marque de fabrique française, c’est l’amplitude des prestations sociales et non pas l’abondance de la ressource en fonctionnaires » […] « le secteur public français n’est « pas particulièrement volumineux [ni] pléthorique », d’où le déplacement nécessaire sur le niveau des autres dépenses publiques et avant tout sur le niveau des transferts sociaux (dont le volume atteint 35% du PIB en France) « un record en comparaison internationale ». La puissance publique ne se singulariserait pas non plus en matière de rémunérations : « le poids élevé des rémunérations dans le PIB relève davantage d’un effet volume (lié au taux d’administration) que d’un effet prix (lié aux salaires). » (p.4 de la note de synthèse), CQFD. Le rapport relève enfin que « La France est sans conteste parmi les pays qui dépensent le plus en proportion de son PIB, résultat d’un choix politique en faveur d’une forte socialisation des risques » ; « En comparaison avec les autres pays, la France apparaît ainsi plus socialisée qu’administrée. »

Il n’y a donc pas à chercher à ajuster l’emploi public à la baisse ou de contenir coûte que coût la masse salariale dans le cadre des discussions relatives au CAP 2022 (comité d’action publique 2022), le Think Tank de l’Etat, se mettant en quatre pour expliquer de façon beaucoup plus détaillée dans son document de travail, que le choix pour la socialisation des dépenses est un choix de société qui s’ajoute à un degré d’externalisation bien moindre qu’ailleurs : les consommations intermédiaires représentent 28% des dépenses de fonctionnement en France en 2015 contrairement à des pays comme le Royaume-Uni, la Suède ou les Pays-Bas qui affichent des taux de 48% et autour des 40% pour les deux derniers.

La Fondation iFRAP estime qu’il faut sans doute aller un peu plus loin et questionner les effets de périmètre retenus par l’Etude.

Caractère atypique ou non de l’emploi public en France

Ainsi que le relève avec prudence le rapport « tout dépend du périmètre retenu pour chaque pays pour ses administrations publiques », et d’enchaîner « dans bien des cas, une partie des emplois manquent à l’appel car ils ne relèvent pas d’une rémunération publique directe, alors même qu’ils sont in fine « solvabilisés » par la puissance publique. » et de citer l’exemple bien connu de l’Allemagne et de la France s’agissant du périmètre des systèmes de santés, classés ou non par leurs instituts statistiques nationaux au sein (France) des administrations publiques ou non (Allemagne). « Cet écart se trouve toutefois résorbé quand on sait que le personnel de santé hospitalier en Allemagne est en général payé par le biais de contrats privés passés par l’administration avec des fournisseurs de soins. »

Deux points essentiels sont à relever :

  1. Ce que l’étude ne met cependant pas en exergue directement c’est que puisque le périmètre est un critère qui joue un rôle décisif dans la présentation du poids de la dépense publique à volume de politique publique (par exemple de santé) équivalent, le choix du mode de gestion n’est absolument pas neutre et rétroagit sur le niveau de dépenses publiques engagées.Il est donc nécessaire dans le cadre de la réforme des administrations publiques de jouer sur ce levier indépendamment du niveau de dépenses (qui peut lui aussi être questionné séparément) afin de « faire sortir » de la dépense du périmètre public.
  2. Il existe en sens inverse des points de fuite pour la France notamment s’agissant des emplois de droit privé qui bien que non classés dans le cadre des APU, relèvent directement d’un organisme assurant une mission de service public ou d’une entité contrôlée directement par l’Etat. Dans ce cadre, le rapport annuel sur l’état de la Fonction publique[2], (voir p.219-223), met en exergue par exemple que l’emploi de la FP stricto sensu représente 5,535 millions de fonctionnaires, mais que les autres APU représentent un effectif complémentaire de 533.800 agents, auxquels il peut être ajouté 112.100 emplois hors comptabilité nationale, ainsi que 570.000 employés d’entreprises publiques classées dans le secteur marchand (p.226).

On le voit rapidement, les effets de périmètres ne sont pas minces et pourraient rajouter près d’1 million d’emplois directement ou indirectement dépendants de la sphère publique.

L’étude montre cependant que la France, avec un taux d’administration particulièrement élevé atteignant en 2015 à 88,5‰ est très fortement administrée, juste derrière le Canada (100,4‰) et les pays scandinaves (dont la Suède avec 138,1‰ et le Danemark 143,5‰), la Norvège culminant à 158,8‰ (mais le pays jouit d’une situation particulière liée à sa rente pétrolière qui lui permet de soutenir un niveau d’administration exorbitant sur le plan européen).

Si maintenant on s’intéresse au montant des dépenses de rémunération dans le PIB, la France là encore jouit d’une place privilégiée puisqu’elle arrive en quatrième position : à 12,91% du PIB, devant la Suède 12,50%, mais derrière la Finlande (13,89%), la Norvège et le Danemark (16,08%).

Le plus étonnant c’est qu’avec un taux d’administration largement plus faible que la Suède (88,5‰ contre 138,1‰), elle parvienne devant elle au montant des rémunérations dans le PIB avec un différentiel de 0,41 point. L’explication qui relève que « le poids élevé des rémunérations dans le PIB relè[ve] davantage d’un effet volume (taux d’administration) que d’un effet prix (salaires) », ne tient plus quand on compare la France à la Suède ou même à la Finlande. Pour un différentiel minime d’un point de PIB maximal, ces pays arrivent à un taux d’administration supérieur d’environ 1/3 au niveau français. L’effet rémunération est au contraire très significatif et sans doute lié au financement croissant du CAS pensions en France lié à la disparité des systèmes de retraites publics/privé.

Quelles évolutions ?

En reprenant certaines données en libre accès de l’étude nous avons tenté de faire apparaître des recoupements de données qui en sont pourtant absentes, en particulier mettre en évidence le taux d’administration des pays entre 2000 et 2015 par rapport au montant des rémunérations dans le PIB. Il est ainsi aisé de voir les pays qui ont fait des efforts, de ceux qui font en réalité du sur-place et ceux qui au contraire ont laissé filer soit les effectifs, soit les dépenses ou les deux.

Sources : OCDE, France Stratégie, calculs iFRAP 2018

Il apparaît que la France en 15 ans a laissé quelque peu filer la dépense de rémunération : 12,91% contre 12,85% du PIB contre une légère baisse des effectifs (92,9‰ en 2000 contre 88,5‰ en 2015). Cependant d’autres pays ont fait dans le même temps beaucoup mieux, ainsi la Suède qui a baissé de 7,7‰ contre une augmentation des rémunérations de 0,13 point. Mais aussi l’Italie qui joue sur les deux tableaux (-9,3‰ ainsi qu’une baisse du volume de rémunérations, -0,2 point), ainsi que le Portugal (-3,7‰ sur les effectifs et -2,44 points pour les rémunérations). L’Allemagne enfin, qui ressort avec un taux d’administration en baisse de -1,8‰, ainsi qu’une dépense salariale publique de -0,67 point.

Conclusion

L’étude de France stratégie est beaucoup plus riche, notamment par ses analyses sectorielles que ce que la synthèse ou même la Presse qui s’en fait l’écho veulent bien en dire. Il existe cependant des problèmes de fond que la remontée au niveau total de dépenses ne permet pas nécessairement d’adresser :

  • En particulier certains pays ont fait le choix de maîtriser sur la durée leurs effectifs publics et le montant des rémunérations associées en ayant recours à des externalisations et des prestations privées ; La France « Au final (…) a arbitré en faveur de l’emploi direct au détriment de la sous-traitance (…) alors que les pays du Nord de l’Europe combinent les deux dimensions ».
  • La France dans le même temps a pris à sa charge « une partie importante des rémunérations privées » (production indirecte) que l’on met en évidence via la prise en compte des transferts en nature massifs de la puissance publique dans le cadre de la protection sociale ;
  • La France « accumule les modes d’intervention plus qu’elle n’arbitre entre eux » développant ainsi une conception généraliste de l’Etat au lieu de spécialiser et de cibler ses interventions.;

Au lieu des « exagérations dont le débat public se fait l’écho » et du supposé « fonctionnaire bashing », l’étude vaut en réalité mieux que le commentaire ou la synthèse qui en est faits. Il aurait mérité que l’annexe pousse plus avant les difficultés liées aux effets de périmètres et les difficultés à accorder les différents halos des emplois publics et para-publics dans les différents pays, ainsi que les montants des rémunérations qui en découlent.

Si l’étude a le mérite de bien mettre en évidence les intérêts d’arbitrages avisés en matière d’externalisation des services publics (et le retard pris, voire le non choix français en la matière) et de tordre le cou à une prétendue neutralité des choix de gestion, elle devra à nouveau investiguer plus avant la question des effectifs tant il apparaît que suivant les normes choisies, l’observateur crée malheureusement les résultats qu’il se propose d’analyser, faute de pouvoir véritablement proposer un panorama exhaustif de l’emploi direct ou indirect public et d’en délimiter précisément les contours (économie sociale et solidaire, associations largement financées sur deniers publics, offices publics HLM (et plus largement le retraitement fin du compartiment des ISBLSM, etc.)


[1] Voir en particulier Acteurs publics, La France n’est pas sur-administrée, selon France Stratégie, 3 janvier 2018, https://www.acteurspublics.com/2018/01/03/la-france-n-est-pas-suradministree-selon-france-strategie

[2]https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/rapports_annuels/2017/Rapport_annuel-FP_2017.pdf, en particulier p.219 à 223.