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Administration : la complexité ne baisse pas pour les particuliers

Le gouvernement affiche sa détermination pour lutter contre l’inflation normative, qu’il s’agisse des circulaires, ou du suivi de l’inflation normative en général. Cependant, nous sommes encore loin du compte par rapport aux meilleures pratiques européennes en la matière (Belgique, Allemagne, Hollande). Notamment parce qu’en dehors du CNEN (conseil national d’évaluation des normes) mandaté par la loi pour évaluer la charge normative imposée aux collectivités territoriales, il n’existe pas d’organisme de centralisation et de publication des informations à raison du suivi de la charge administrative pour les particuliers et pour les entreprises (bien que ces données soient recueillies et tenues à jour par le SGG (le secrétariat général du gouvernement)). Bien du chemin reste donc à parcourir. Dans ces conditions il est intéressant d’analyser le retour des particuliers sur des « événements » de vie qui les confrontent à la complexité administrative, et de vérifier si l’on constate de loin en loin des améliorations. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le paysage est contrasté.

L’enquête événements sonde les particuliers, depuis 2008 tous les deux ans

A la demande de la DITP (direction interministérielle de la transformation publique) pour la version 2018, les services du Premier ministre ont demandé à l’institut de sondage BVA de réaliser une enquête sur 25 « événements de vie » auprès des usagers des services publics (dont 2, pour la première fois). Une étude qui est régulièrement renouvelée tous les deux ans depuis 2008.

Encadré méthodologique

Tous les deux ans depuis 2008, la « modernisation de l’Etat » fait réaliser une enquête par l’institut de sondage BVA avec deux volets : « le volet particuliers » et le « volet entreprises ». Nous nous concentrerons sur le sujet « particulier » et nous publions à la suite de cette note, l’ensemble des différents baromètres parus depuis 2008 sur le volet « particulier ».

En mettant en parallèle les résultats obtenus depuis 10 ans (2008/2018), il est possible de mesurer les améliorations réalisées et/ou le renforcement des difficultés administratives rencontrées par les particuliers dans leurs relations avec les services publics.

Première constatation, à périmètre constant, le taux moyen de complexité ressentie par les particuliers varie peu. On assiste ainsi à une moyenne entre 2010 et 2018 qui oscille entre 21% et 22%. Si l’on se base sur la moyenne à périmètre courant en revanche, on observe une complexité qui oscille un peu plus, entre 27% en 2008 (date de la 1ère étude) et 21% pour les deux dernières (2016 et 2018), avec un ressaut entre 2012 et 2014 (24% et 25%).

La complexité moyenne semble buter sur un pallier autour des 21%, pallier que les pouvoirs publics ne pourront enfoncer vraisemblablement qu’en procédant à un « choc de simplification » massif en devenir[1].

Baromètre 2008/2018 des « événements de vie » les plus complexes

La sommation des événements compliqués et très compliqués apparait globalement en repli par rapport à 2008. En particulier pour les ressortissants étrangers hors UE, dont la complexité diminue de 19 points en 12 ans[2], tout comme la cherche d’emploi. La perte d’un proche et les déclarations consécutives semblent plus simples (-17 points), alors même que le « dites-le-nous une fois » en la matière ne semble pas avoir substantiellement avancé. Idem pour la « naissance d’un enfant », -12 points 2008/2018. Cela témoigne du fait que la numérisation des services progresse (+16 points en huit ans pour la communication administration/administrés) bien que l’interconnexion entre ces mêmes services reste insuffisante.

Source : Baromètres 2008-2018.

A l’autre bout du spectre, « je conduis une voiture » dérape avec +15 points depuis 2008, dont +14 points depuis 2016 ! Il s’agit de l’effet ciseaux difficile entre la fermeture des guichets des préfectures et le lancement raté de l’ANTS (Agence nationale des titres sécurisés) en charge de la délivrance des cartes grises. Mais aussi la poursuite des études supérieures (+4 points), mais en baisse depuis 6 ans (puisque 2014 voyait un pic de complexité à 32%). Enfin la scolarisation des enfants et la déclaration des impôts sont plus complexes qu’il y a 12 ans, mais surtout dérapent de 3 points pour la déclaration des impôts depuis 2 ans. La « simplification » espérée avec le PAS (prélèvement à la source) semble donc également source de complexité (fracture numérique, déclaration quasi-généralisée en ligne, complexité du suivi de la réforme, etc.)

Il faut cependant distinguer la répartition entre qualification d’actes « compliqués » ou « très compliqués » :

Source : Baromètres 2008-2018.

En effet, il peut exister des phénomènes de bascule : un événement de vie peut ainsi passer de la qualification « compliqué » à « très compliqué » sans modifier le ratio de satisfaction global. Ainsi la perte d’emploi est l’événement de vie qui s’améliore le plus en 10 ans dans la catégorie « compliqué » (-11 points) mais augmente dans la catégorie très compliqué (+3 points). La complexité globale semble se réduire, mais elle augmente pour une population plus faible des sondés. Dans le même sens, l’événement « je conduis un véhicule » augmente de 2 points dans la catégorie compliqué, mais de 13 points dans la catégorie très compliqué. La complexité globale augmente de façon très importante.

Pour les ressortissants hors UE, le caractère complexe baisse de 5 points en 10 ans, mais de 4 points pour la qualification de très complexe. La complexité pour ces populations baisse substantiellement, même si à deux ans, elle augmente de respectivement +8 points et +3 points. La tendance s’inverse donc à court terme même si globalement sur longue période leur condition s’améliore.

Source : Baromètres 2008-2018.

Conclusion

Les efforts de « simplification » et de « modernisation » des services publics semblent buter sur la moyenne. A 21%/22% de complexité quel qu’en soit le niveau, depuis 12 ans, on comprend que l’absence d’objectif chiffré en termes de simplification (nombre de procédures, volume d’économies à dégager), d’analyse microéconomique pour chaque événement de vie, et de bouclage entre stock de mesures anciennes et flux de mesures nouvelles, empêchent les pouvoirs publics de s’assurer un pilotage efficace de la charge normative. L’analyse montre en revanche que ces derniers parviennent relativement bien à « gager » des mesures administrativement complexes par des « simplifications » sur d’autres segments. Ce qui choque finalement c’est qu’il n’y a pas de pilotage global intertemporel et aucun objectif cible, donc pas de convergence possible. En la matière donc, ce que révèle la prise de pouls des usagers, c’est que le plus dur reste à faire.


[1] Mais qu’il est bien difficile d’objectiver puisque le gouvernement ne se fixe aucun objectif en volume en la matière, contrairement à l’Allemagne ou à la Belgique.

[2] Mais en fort ressaut par rapport à 2016, +11 points.