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Les mises à disposition : une subvention cachée pour les syndicats

"Ce qui est certain c'est que les « mis à disposition » sont plusieurs milliers"

Dominique ANDOLFATTO est maître de conférences à l'Université de Nancy 2 et auteur (avec Dominique Labbé) d'”Histoire des syndicats 1906-2006” (Seuil, 2006). Ses recherches l'ont porté à s'intéresser au fonctionnement interne des syndicats et aux ressources que ces derniers utilisent. En décembre 2006, Dominique Andolfatto et Dominique Labbé ont publié l'article « Faut-il aider les syndicats ? » dans la revue Le débat. [1]

1. Comment fonctionne exactement le système des mises à disposition ?

Dans les fonctions publiques ou dans des entreprises à statut (type EDF ou SNCF), une partie des personnels sont « mis à disposition » des syndicats, c'est-à-dire qu'ils sont détachés (à temps partiel et, bien souvent, à temps plein) dans une organisation syndicale. Ils vont alors pouvoir se consacrer pleinement à des activités syndicales tout en continuant à percevoir leur rémunération d'origine (et leur carrière professionnelle se poursuivre). Ces mises à dispositions sont négociées entre les administrations et les organisations syndicales concernées.

2. En quoi cela pose-t-il un problème ?

On peut formuler plusieurs questions. Le contribuable ou l'usager des services publics doit-il financer des activités syndicales à travers les personnels ainsi détachés ? On peut éventuellement l'admettre puisque ces personnels sont censés favoriser le dialogue collectif et, donc, la performance des services ou entreprises en question. Mais il conviendrait alors que ces « mises à disposition » interviennent en toute transparence, que le nombre de personnes « détachées » par syndicat soit connu, qu'il y ait une publicité, ce qui n'est pas le cas actuellement. Le système demeure en effet d'une complète opacité (même si l'audience électorale semble un critère pris en compte pour les administrations concernées). J'ajoute qu'une partie des « mis à disposition » quittent en réalité leur administration ou entreprise d'origine pour se consacrer à des activités syndicales externes à celles-ci (par exemple dans une fédération ou dans une confédération syndicale). Dès lors est-il logique que ces tâches soient encore à la charge de ces administrations ou entreprises ? Cela ne conduit-il pas à certains abus ?

3. A combien évaluez-vous les mises à disposition en France ?

Il est très difficile d'avoir une vue d'ensemble des « mis à disposition ». Aucun rapport n'a dressé d'état des lieux et le rapport Hadas-Lebel, sur la représentativité et les moyens des organisations syndicales, est resté lacunaire sur le sujet et même en retrait par rapport à des informations antérieures. Ce qui est certain c'est que les « mis à disposition » sont plusieurs milliers. Avec mon collègue Dominique Labbé, observant que dans plusieurs administrations ou entreprises à statut, environ 0,7% à 1% du personnel était détaché dans des organisations syndicales, nous avons proposé le chiffre d'environ 40 000 « mis à disposition ». C'est là une hypothèse, sans doute basse. J'ajoute qu'il ne s'agit pas nécessairement de personnes physiques, mais de postes « équivalents temps plein ».

4. Les syndicats en profitent-ils beaucoup ?

Évidemment, ces personnels détachés sont une ressource très appréciable pour les syndicats. On peut même formuler l'hypothèse selon laquelle l'essentiel du fonctionnement des syndicats s'appuie sur ces « mis à disposition ». Beaucoup de responsables médiatisés sont eux-mêmes des « mis à disposition ». Le débat public sur le financement syndical ne doit évidemment pas ignorer ces ressources.

5. Normalement les organismes profitant des mises à disposition sont tenus à remboursement. Est-ce toujours le cas ?

A ma connaissance, les organisations syndicales bénéficiant de « mis à disposition » ne remboursent pas les coûts de ces personnels.

6. Est-ce vital pour les syndicats ?

Oui, ces « mises à disposition » sont aujourd'hui une ressource essentielle pour les syndicats. Cette ressource est d'autant plus importante que le nombre de syndiqués (et donc les rentrées de cotisations des adhérents) s'est effondré. Cela pose la nature du syndicalisme français qui serait, assez largement, fonctionnarisé. A contrario, cela pose la question des moyens des syndicats – et du dialogue social – dans le secteur privé où pareilles facilités n'existent pas. Il faudrait bien sûr un encadrement beaucoup plus strict. Au minimum que tout se passe au jour, que l'on sache combien d'agents sont versés dans les syndicats, que l'on sache aussi qui ils sont. Actuellement, ce système est très opaque.

7. La pratique des mises à disposition est-elle spéciale à la France ? Y a-t-il le même genre de pratique à l'étranger ?

A ma connaissance, ce système est effectivement une exception française. Dans les autres pays, les ressources des syndicats sont essentiellement constituées des cotisations de leurs adhérents. Cela implique certains devoirs et oblige à une offre syndicale plus cohérente.

8. Comment est-il possible de les encadrer ?

Ce que l'on peut dire c'est que bien des gouvernements – ou dirigeants d'entreprises à statut – ont généralement été très généreux avec le système des « mis à disposition », ne regardant guère à la dépense, étant persuadés que les avantages – ou plutôt les arrangements – ainsi consentis favoriseraient la paix sociale, voire la réforme.

[1] Pour aller plus loin, voir : Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, « Faut-il aider les syndicats ? « , Le débat, n° 142, décembre 2006.