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France : une production industrielle par habitant deux fois plus faible qu'en Allemagne

Les résultats catastrophiques de notre balance commerciale en 2021 nous incitent à revenir à nouveau sur le problème de la grave désindustrialisation de notre pays. Bruno Le Maire, a qui il était demandé de commenter notre déficit commercial de 84,7 milliards d’euros, déclarait le 8 février 2022 sur France-Inter : « Il n’y a pas d’autre solution pour rétablir la balance commerciale extérieure de la France que de réindustrialiser massivement, rapidement, notre pays ». 3 mois plus tard, les derniers chiffres des Douanes parlent désormais d'un déficit commercial annuel de 100 milliards d'euros. 

Les exportations des pays développés étant constituées à 70% ou 75 % par des produits manufacturés, il est inévitable qu’un pays qui s’est désindustrialisé ait une balance commerciale déficitaire. Bruno Le Maire est donc allé droit au but pour formuler son diagnostic, alors que ses prédécesseurs avaient pour habitude de biaiser, expliquant nos déficits commerciaux par des phénomènes conjoncturels, notamment par des variations du prix de l’énergie.

La  France s’est bien désindustrialisée, peu à peu, depuis la fin des années 1970, et son secteur industriel ne participe plus que pour 10 % à la formation du PIB : elle est devenue le pays le plus désindustrialisé de tous les pays européens, la Grèce mise à part. Nos responsables politiques, curieusement, sont restés muets face à ce phénomène : il a fallu que ce soit, finalement, la crise du Covid-19 qui leur fasse mesurer les graves inconvénients de la désindustrialisation du pays, et  encore n’ont-ils vu que le problème de la sécurité de nos approvisionnements, sans faire un lien entre désindustrialisation et appauvrissement du pays. Pourtant, il y avait eu précédemment la crise des Gilets jaunes qui a été l’illustration même des effets sur la population du phénomène de désindustrialisation du pays : désertification du territoire, difficultés pour beaucoup de ménages  de boucler leurs fins de mois, sentiment d’abandon chez les personnes vivant dans les périphéries urbaines,  etc… 

Le rôle de l’industrie dans l’économie

L’industrie joue un rôle clé dans la création de richesse, et ce phénomène est aisé à mettre en évidence en examinant la relation existant, dans différents pays, entre leur production industrielle et le PIB par tête de leurs  habitants, le PIB/capita étant l’indicateur qu’utilisent les économistes  pour mesurer la richesse des pays. C’est ce que montre le graphique ci-dessous où il est pris, en abscisses, pour variable explicative, la production industrielle des pays calculée par habitant, et, en ordonnées, les PIB/capita de ces pays. Pour ce qui est des données sur la production industrielle, il s’agit des informations fournies par la BIRD qui inclut la construction dans l’industrie, les productions  industrielles étant mesurées, ici, en valeur ajoutée selon les données des comptabilités nationales des pays. Et  les  PIB/capita sont ceux fournis, également, par la Banque mondiale. 

La France, sur ce graphique, se situe sensiblement  au dessus de la droite de régression  du fait qu’elle a des activités tertiaires importantes, dont le tourisme ; de même, pour ce qui est du Danemark qui a, lui, des activités agricoles d’une importance toute particulière. On voit que La France avec une production industrielle faible de 6.432 US$ par habitant a un PIB/capita de seulement 39.030 US$ ; l’Allemagne avec un ratio bien meilleur de 12.279 US$  a un PIB/capita de 46.208 US$, et la Suisse avec un chiffre record de 22.209 dollars en est à un PIB/capita de 87.097 dollars, le plus  fort d’Europe.

L’Institut des Libertés, de son côté, dans une étude récente sur la Suisse, a montré le rôle moteur que joue l’industrie dans l’ économie de ce pays, et nous reproduisons ci-dessous le graphique qu’il a publié montrant comment ont évolué la production industrielle et le PIB, dans ce pays, entre   1980 et aujourd’hui.

On peut rajouter, pour ce qui est de l’intérêt de l’industrie dans un pays, plusieurs autres éléments : c’est des trois secteurs d’activité qui composent l’économie d’un pays celui où la productivité augmente le plus vite, c’est un secteur fort créateur d’emplois  puisque les économistes considèrent qu’un emploi créée dans l’industrie induit 3 emplois dans le secteur tertiaire, et c’est un remarquable instrument d’aménagement du territoire.

Comment réindustrialiser la France ?

Le redressement de l’économie française doit passer par la reconstruction de notre secteur industriel. Pour rétablir nos équilibres fondamentaux il nous faudrait pouvoir porter notre secteur industriel à 18 % du PIB (l’Allemagne et la Suisse sont bien au dessus), ce 18 % s’entendant hors le secteur de la construction. Avec les ratios anciens que nous fournissent les séries historiques il nous faudrait créer 1,8 million d’emplois nouveaux dans le secteur industriel, ce qui ferait passer les effectifs de ce secteur de 2,7 millions à 4,5 millions, un chiffre très inferieur à celui de l’Allemagne qui en est à 6,2 millions dans les entreprises de plus de 20 personnes.

Vu l’urgence, il conviendrait que cet objectif puisse être atteint en 10 ans, ce qui nécessiterait la création de 180.000 emplois industriels par an. Cette estimation résulte de ratios anciens et doit donc être corrigée : compte tenu des progrès de productivité considérables amenés par la numérisation dans les industries nouvelles il est probable que l’on doive plutôt retenir le chiffre de 100.000 emplois industriels nouveaux par an pour un rattrapage s’effectuant en 10 ans. C’est, évidemment, un chiffre considérable, qui n’a rien à voir avec la projection que France-Stratégie vient de faire dans son étude « Les métiers en 2030 » où cet organisme prévoit, selon les tendances actuelles, la création de seulement  45.000 postes nouveaux dans le secteur industriel.