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Flexicurité : mêlée ouverte et ballons crevés

Les solutions se bousculent pour faire sortir le ballon de la "flexicurité" de l'emploi d'une mêlée particulièrement incertaine et obscure : CPE, CNE, contrat unique, séparabilité, contrat de mission, sécurisation des parcours professionnels, qui dira mieux ?

Eté 2006. M. de Villepin, alors Premier ministre, tente, par le Contrat Première Embauche, de contourner les rigidités du licenciement en autorisant l'employeur à ne pas motiver celui-ci pendant les premiers temps du contrat : les jeunes de la rue le sifflent hors-jeu pour cause d'insupportable précarité.

Eté 2007. C'est la cour d'appel de Paris qui requalifie en contrat à durée déterminée le Contrat Nouvelles Embauches qui permettait d'étendre à deux années la période d'essai : sont du coup remis potentiellement en cause un petit million de contrats de travail signés par les employeurs sur la foi d'un texte voté par le Parlement. Pour les magistrats, une telle extension à deux années consacre "une régression qui va à l'encontre des principes fondamentaux du droit du travail". "dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et il est pour le moins paradoxal d'encourager les embauches en facilitant les licenciements". Voilà des juges qui n'ont pas entendu parler de la flexisécurité ou qui en ont une idée bien arrêtée, faisant fi des exemples venant des pays voisins aussi bien que des travaux des économistes, ainsi bien entendu que de la volonté du législateur. On se frotte les yeux. Toujours est-il que de nouveau M. De Villepin est sifflé hors-jeu, cette fois par le pouvoir judiciaire, mais il est déjà rentré aux vestiaires lorsque la décision intervient.

Le contrat unique plaqué au sol

Le nouveau patron de l'Elysée fait alors prudemment savoir qu'il ne poursuivrait pas dans la voie consistant à autoriser les employeurs à licencier sans motif [1]. Jusqu'à ces dernières semaines, l'Elysée croyait d'abord trouver la solution avec le "contrat unique", esquissé quelque temps plus tôt par MM. Kramarz et Cahuc, deux chercheurs de l'Insee [2]. Toutefois l'Elysée s'aperçoit vite qu'il se trouve en première ligne sur ce contrat unique, mais qu'il n'y a aucune autre ligne d'avants pour l'épauler, et notamment ni les syndicats ni le patronat. Et le Conseil d'orientation pour l'emploi exécute le contrat unique en un magistral placage. Le contrat unique, dont décidément personne ne veut, quitte donc le terrain sur un brancard.

La séparabilité sur la touche ou le contrat de mission ?

Mais il faut bien relancer la mêlée et le Medef vient à point nommé introduire un premier nouveau ballon, celui de la "séparabilité". L'Élysée se place clairement en pilier au soutien de l'initiative, comme en témoigne le discours du Président Sarkozy à l'Université du Medef. Il s'agit cette fois de remédier aux incertitudes des entreprises qui licencient, en prévoyant les conditions et conséquences de cette décision dès la signature du contrat de travail, comme un divorce par consentement mutuel ou encore une transaction "à l'avance". Les syndicats n'en veulent pas. En fait, on ne voit pas comment la séparation à l'amiable peut devenir la règle pour le CDI. D'abord, en tant que rupture d'un commun accord, elle exclut la possibilité pour le salarié de percevoir des indemnités de chômage. Ensuite, la transaction à l'avance est une hérésie juridique, puisqu'une transaction ne peut intervenir qu'après rupture du contrat. On ne connaît pas la cause de la rupture avant qu'elle intervienne et, par exemple, si le salarié soutient que la rupture est abusive, le recours aux tribunaux est incontournable. Ce sera donc toujours, soit un accord ne pouvant intervenir qu'après rupture soit un procès. Il semblerait d'ailleurs que le Medef hésite à pousser plus loin le ballon de la séparation amiable : dans sa note de problématique rédigée pour la réunion paritaire du 14 septembre 2007 sur la modernisation du marché du travail, le Medef paraît ne plus en faire une revendication indépendante, mais une simple modalité du "contrat de mission" dont le concept avait déjà été lancé il y a quelques années par le rapport Virville et repris récemment par le Medef dans son livre Besoin d'air. Il s'agirait alors d'un "CDI conclu pour la réalisationd'un objet précis", qui "comporterait une clause prévoyant l'expiration du contrat" à réalisation de cet objet.

De la sorte, le motif réel et sérieux du licenciement serait défini à l'avance. Il est exact que cette fois la clause ne rencontre plus les objections relevées plus haut à l'encontre de la séparation amiable généralisée. Mais on est très près du CDD, d'où, de nouveau, l'hostilité des syndicats.

Le Medef pour un "essai" plus long ?

Enfin, le Medef cherche à faire revenir sur le terrain l'allongement de la période d'essai, malgré l'exécution du CNE par la cour d'appel de Paris. Le Medef plaide pour la création d'une "période d'essai cohérente, d'une durée suffisante" pour permettre aux parties de se juger. Six mois, un an ou encore deux ans ? Ce n'est pas dit, mais il s'agirait d'un avatar discret du CNE, et à ce titre les syndicats n'apprécient guère. Toutefois, FO a déclaré que cette période d'essai "doit être fixée par branches professionnelles, selon les besoins de chaque secteur, et non dans le Code du travail". La flexibilité pourrait-elle venir de ce côté ? Il faut avouer que la loi française est particulièrement rigide au sujet de la période d'essai, le Code du travail la limitant à un maximum de deux semaines à trois mois selon les cas, alors que par exemple aucun maximum légal n'existe en Allemagne, au Royaume-Uni et en Irlande, ou qu'il est fixé à 6 mois en Belgique, Italie, Espagne ou Suède. Une idée à retenir qui semble au moins avoir l'aval des partenaires sociaux. Dans ce cas, on peut penser que le Chef de l'État se joindrait à l'équipe, sauf à se méfier de la rue, qui avait fait précisément reculer État et partenaires sociaux sur le CNE ! Un essai. à transformer ?

Les syndicats seraient quant à eux enclins à négocier certains allégements de la procédure de licenciement en contrepartie de mesures prises en faveur de la "sécurisation des parcours professionnels", autre terme chic pour définir l'accompagnement des chômeurs. Mais de quoi s'agit-il ? Les propositions qui viennent d'être énumérées insistent sur l'aspect flexibilité en faveur des employeurs. Il n'est pas surprenant que les syndicats comme la CGT mettent quant à eux l'accent sur l'aspect sécurité, c'est-à-dire la définition de droits universels garantis par la collectivité, indépendants de l'existence d'un contrat de travail. Ce serait une sécurité sociale professionnelle, concept qui va beaucoup plus loin que le droit à la formation permanente ou encore le renforcement des droits à l'assurance chômage. On peut dès lors rester sceptique sur les chances que les discussions entre partenaires sociaux puissent aboutir, d'autant que les mesures augmentant la sécurité sont forcément coûteuses et sont de la compétence du politique.

Pour une vision complète du jeu

Il y a en définitive beaucoup de ballons, dont incontestablement une bonne proportion est crevée. Mais qui sera le demi de mêlée ? Le Medef, les syndicats, l'Élysée ou encore la rue ? Ou bien la mêlée s'effondrera-t-elle ? Autant de questions pour les mois qui suivent. Mais on ne peut s'empêcher d'estimer que les solutions évoquées tiennent assez du bricolage du système sans s'attacher à réduire ses errements fondamentaux. La France ne devrait pas faire l'économie de deux types de mesures : l'assouplissement du motif justifiant les licenciements économiques (et aussi de leur procédure) d'une part, et la simplification des obligations pesant sur les petites et très petites entreprises d'autre part.

++DECOUPE++

Les licenciements économiques

++NOCHAPEAU++

C'est un point que Société Civile a déjà traité. Comme le remarquent MM. Kramarz et Cahuc, la loi française admet comme cause économique du licenciement la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise mais non l'amélioration de cette compétitivité, autrement dit elle interdit en pratique l'adaptation prospective de l'entreprise à de nouveaux contextes : le chef d'entreprise doit gouverner mais est empêché d'agir en fonction de ses prévisions, ce que l'on sait depuis toujours être antinomique. Il faudra qu'un jour cessent les discours creux sur les "travailleurs variables d'ajustement" : tout dans une entreprise doit s'ajuster et s'adapter en permanence. Voilà pourquoi nous avons suggéré de réécrire ainsi l'article 321-1 du Code du travail : "Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail destinées à faire face à des difficultés économiques actuelles ou prévisibles, à des mutations intervenant dans la technologie, pour s'adapter au marché, à la concurrence ou encore pour assurer le redéploiement de l'entreprise. Le juge peut s'assurer de la réalité du motif invoqué, sans pouvoir se substituer au chef d'entreprise dans l'appréciation de ce motif en vue de la décision que ce dernier a été amené à prendre".

Une observation à ce sujet : les statistiques révèlent qu'une proportion infime des licenciements économiques, environ 2 %, font l'objet d'une contestation judiciaire (sans oublier cependant que la France est championne du recours judiciaire en matière de relations de travail). Certes, mais ceci n'est que la traduction de l'impossibilité pour l'employeur de parvenir au stade même du licenciement, en raison de la complexité de la procédure et du barrage effectué par la loi quant au motif admissible. Un autre indice vient corroborer cette observation. Ce sont encore MM. Kramarz et Cahuc qui relèvent que sur une période de quinze années le nombre de licenciements économiques a été divisé par 2,9 cependant que les licenciements pour motif personnel ont augmenté de 50 %. Les mêmes auteurs concluent que "tous les témoignages obtenus suggèrent que les licenciements pour motif personnel sont fréquemment des licenciements économiques déguisés. La rigidité excessive de la loi conduit comme si souvent à un détournement du droit.

Les mesures en faveur des Petites et Très petites Entreprises (PE et TPE)

C'est devenu, et tant mieux, un lieu commun de dire que les réserves d'emplois en France se situent dans les petites et très petites entreprises, qui représenteraient 97 % du nombre total d'entreprises. Les grandes entreprises ont depuis longtemps cessé d'être un réservoir d'emplois et les très grandes ont pour les trois quarts voire plus des activités, du chiffre d'affaires, du personnel et des actionnaires situés en dehors de France. On ajoutera que le droit du travail a évolué sous la pression des syndicats de salariés qui ne sont quasiment présents que dans les grandes entreprises. On disait autrefois qu'"il ne fallait pas désespérer Billancourt". Aujourd'hui, Renault s'appelle Renault-Nissan, la Logan, fer de lance économique du groupe, est fabriquée en Roumanie et la même entreprise s'installe au Maroc. La France doit maintenant gérer le paradoxe d'une réglementation excessive imaginée à l'heure de la lutte des classes pour les grands groupes qui ont quitté le pays, à l'initiative de syndicats qui ne sont pas présents dans les entreprises qui souffrent le plus de cette réglementation. Quant aux médias, ils ne sont présents que lorsqu'il s'agit de grandes entreprises. Les PE et TPE souffrent en effet d'un droit du travail excessivement lourd. Schématiquement, on peut résumer ces excès sous trois rubriques.

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La définition restrictive de la cause réelle et sérieuse

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On a déjà souligné que le juge avait fréquemment pour habitude de se substituer au chef d'entreprise dans l'appréciation du motif du licenciement pour motif personnel, en exigeant de satisfaire à des critères objectifs et de préconstituer la preuve, ce qui se révèle souvent impossible. On sait toutefois qu'abolir le contrôle du juge sur le motif risque d'être un vœu pieux, au surplus en contradiction avec la réglementation de l'OIT opposable à la France, que le chef de l'État n'y est pas favorable et que la rédaction d'un texte diminuant les pouvoirs de ce juge relève encore du tour de force. Néanmoins, l'exercice mériterait d'être tenté. Et sait-on par exemple que l'obligation de motiver le licenciement n'existe pas en Allemagne pour les entreprises de moins de 10 salariés ? Aux USA (horresco referens !), la règle est la séparation à volonté, même si elle subit de nombreuses exceptions.

La limite du nombre de salariés en deçà de laquelle certaines obligations liées à l'emploi sont allégées est trop basse. Un nombre non négligeable de contraintes sont allégées pour les entreprises de moins de onze salariés, et particulièrement :

- La procédure de licenciement économique n'exige pas de plan de sauvegarde de l'emploi, de réunions des délégués du personnel, de notification à l'administration et ses délais sont plus courts ;
- Il n'y a pas l'obligation d'y désigner des délégués du personnel ;
- Les forfaits légaux d'indemnités de rupture abusive (1 mois pour le non respect de la procédure et 6 mois pour l'absence de cause réelle et sérieuse) ne sont pas applicables, le juge devant fixer ces indemnités en fonction du préjudice subi (ce qui n'est d'ailleurs pas un signe de prévisibilité !).

Ces allégements sont justifiés mais réservés à une catégorie trop faible d'entreprises. Imagine-t-on qu'une entreprise d'une douzaine de salariés puisse faire face sans pénalisation aux mêmes obligations qu'une PME de cent salariés, et que le chef d'entreprise puisse sans dommage pour l'activité consacrer son temps à se familiariser avec les complexités du droit du travail et à en respecter les lourds impératifs ? La limite de dix salariés est véritablement trop basse. Et pourtant elle constitue un frein notable à l'emploi, beaucoup d'entrepreneurs préférant ne pas embaucher. C'est ainsi que les statistiques indiquent (pour 1997) 1,16 million d'entreprises françaises sans aucun salarié, 1,02 million entre 1 et 9 salariés, et seulement 0,14 million entre 10 et 49 salariés. Il est incontestable que le "vivons cachés", et aussi le "vivons petits", est une tendance lourde en France, tendance due pour une large part au caractère excessif de la réglementation. Élever le seuil ci-dessus, ne serait-ce que de 11 à 20 ou 30 salariés, ne serait-il pas susceptible d'avoir un effet non négligeable sur l'emploi, surtout si parallèlement on allégeait pour ces mêmes entreprises le contrôle du juge sur les licenciements ?

Nombre d'obligations liées au contrat de travail ne sont pas justifiées lorsqu'elles pèsent sur les PE et TPE À titre d'exemple, les règles suivantes ne devraient pas s'appliquer à des entreprises de taille très modeste :

- Le formalisme extrême du licenciement (lettres recommandées, délais impératifs, mentions obligatoires.) n'a pas de raison d'être ou de donner lieu à sanction ;
- L'obligation de proposer un autre emploi compatible avec l'état physique d'un salarié jugé inapte ou victime d'une maladie ou d'un accident est parfaitement virtuelle dans une TPE qui n'aura la plupart du temps aucun autre poste à offrir (3).
- Est-il raisonnable de contraindre une TPE à accorder des congés de 20 ou 10 jours pour se présenter à des fonctions publiques ?
- Ou encore de faire bénéficier ces mêmes salariés du régime du congé parental, qui leur permet de prendre un congé d'une année, renouvelable deux fois avec un préavis réduit à 1 mois pour l'employeur. Celui-ci est tenu de réembaucher le salarié par priorité. Comment le petit entrepreneur peut-il gérer la situation ?

Idem pour le congé sabbatique.

Conclusion

Le monde paraît se diviser en France entre ceux qui pensent qu'il faut assouplir le droit du travail, et en particulier celui du licenciement, et ceux - magistrats parisiens, syndicats de salariés - qui s'y refusent. Les premiers tireront la corde vers plus de flexibilité, les seconds vers une sécurité accrue. Pour le moment, on ne voit guère sur quelle proposition un rapprochement significatif pourrait intervenir entre les partenaires sociaux. Une suggestion toutefois : dans les déclarations des uns et des autres, comme d'ailleurs dans les études du Conseil d'orientation pour l'emploi, les oppositions se cristallisent autour des conditions du licenciement. Trop peut-être, car les freins à l'emploi se logent aussi fréquemment dans une réglementation du travail excessive, tant dans sa nature purement formaliste que dans le contenu des obligations. C'est particulièrement vrai pour les PE et TPE. Les syndicats, obnubilés qu'ils sont, tout comme les médias, par les grandes entreprises, sauront-ils accepter les assouplissements nécessaires à ces PE et TPE qui ne sont pas leur préoccupation première ?

Les préconisations de l' iFRAP

- Élargir les conditions de la cause légitime, en particulier pour les licenciments économiques, en permettant à l'employeur d'être seul juge, sauf abus caractérisé, de l'emploi dans son entreprise.
- Alléger le carctère formaliste des obligations de l'employeur et le caractère automatiquement et forfaitairement sanctionnable de leur non-respect.
- Remonter le seuil d'application de certaines dispositions, de onze salariés à au moins vingt ou trente salariés.
- Dispenser PE et TPE des obligations qu'il n'est pas raisonnable de leur imposer.

[1] l'allongement de la période d'essai n'aurait cependant pas dit son dernier mot, voir ci après.

[2] Il s'agirait de définir un contrat d'acquisition progressive de droits par les salariés, avec paiement des indemnités de licenciement par l'employeur mais décharge sur la collectivité des obligations de reclassement en contrepartie d'une contribution de solidarité de 1,6% des salaires payée par l'employeur, et renforcement de l'accompagnement des chômeurs par l'Etat.