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Mixité sociale à l'école : il faut autoriser l'ouverture de plus de classes dans le privé sous contrat

Le 11 mai dernier, le ministre a (enfin) présenté son plan pour la mixité sociale à l'école. Dans les établissements publics, un objectif non contraignant d'accroitre la mixité sociale de 20% a été fixé tandis que l'enseignement privé catholique a lui, signé un protocole où le secteur s’engage à doubler la part d’élèves boursiers inscrits et à généraliser des frais de scolarité dégressifs pour les familles plus modestes... une pratique déjà généralisée selon la dernière enquête de la Cour des comptes sur l'enseignement privé sous contrat. 

Il faut surtout déplorer que, dans ce débat, jamais il n'ait été proposé de faire sauter la règle du 80/20 pour permettre de développer l'enseignement privé sous contrat dans les zones moins favorisées. Si cette règle était vraiment respectée, plus de 330 000 élèves actuellement scolarisés dans le public devraient l’être dans le privé, ce qui demanderait de faire basculer 1 600 établissements publics vers le privé sous contrat. Une modification du paysage éducatif qui influencerait automatiquement l’actuelle carte de la mixité sociale des établissements scolaires.

Des expérimentations pour accroitre la mixité sociale dans le public pour toujours concluantes 

Du côté du public, les autorités académiques pourront choisir les mesures et expérimentations à mettre en place pour atteindre cet objectif… Tout au long du mois de juin, les rectorats devront ainsi tenir des instances académiques de dialogue et de pilotage de la mixité sociale, entre les établissements publics et privés, mais aussi les collectivités territoriales et les familles, afin de présenter des pistes à mettre en place dans le courant de l’année 2024 et ce, pour une période de 3 ans. Ces instances continueront à se tenir 2 fois par an, notamment pour évaluer les mesures mises en place.

On sait déjà que le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine et la ville de Rennes, qui expérimente un secteur multi-collèges depuis 2018, souhaitent consulter les familles des collégiens, via des ateliers tenus ce mois de juin, pour préparer une nouvelle carte scolaire favorisant la mixité sociale et évolutive de 2024 à 2026. Le président du conseil départemental, Jean-Luc Chenut, a déjà prévenu que pour le privé, le département travaille à concentrer les crédits vers les établissements « qui pratiquent la tarification à trois niveaux » et que, dans le public, « les écoles ne seront pas nécessairement rattachées au collège le plus proche ». Un volontarisme qui interroge alors que la DEEP soulignait en 2017 que la distance avec l’établissement le plus proche est l’un des critères déterminants dans le choix de l’inscription : aujourd’hui, l’établissement public le plus proche est, en moyenne, à 670m tandis que le privé le plus proche est à 3,8km.

Sans avoir été inscrites dans un grand plan de mixité sociale, les principales pistes mises à disposition des académies sont déjà connues :

  • Réserver ou augmenter l’ouverture de sections internationales dans les établissements en difficulté.

A la rentrée 2022, le ministre avait déjà annoncé l’ouverture de 43 nouvelles sections internationales dans les collèges les moins favorisés. Les sections internationales sont un dispositif bilingue où sont accueillis, dans la même section, des élèves français et étrangers et ce, pour 19 langues différentes. Elles permettent aux élèves d’obtenir le bac avec option internationale.

  • Revoir la carte scolaire en se basant sur les indices de positionnement social (IPS).

Une approche par la contrainte est discutable alors que le système éducatif français se caractérise déjà par une carte scolaire très rigide… et impopulaire. Un sondage CSA-Sénat de janvier 2022 concluait que pour la moitié des élus locaux, la carte scolaire était un point de tension. Hélène Gervais, inspectrice à la direction des services départementaux de l'Éducation nationale d'Indre-et-Loire, estimait de son côté qu’en 2017, pour l’entrée en collège, 10% des élèves demandaient une dérogation dans son département. Un taux équivalent à la moyenne nationale. Cela pour un taux d’acceptation de 72% dans son département contre 60% au niveau national.

Attention également à l’utilisation des IPS pour déterminer les nouvelles cartes car cet indice n’est pas unique : pour rappel, la carte de l’éducation prioritaire (REP et REP+), révisée pour la dernière fois en 2014, se fonde également sur un « indice social unique ». Or, les deux méthodes de calcul aboutissent à des résultats parfois contradictoires puisque, en 2022, 1 488 collèges publics ne sont pas en REP alors qu’ils affichent un IPS en dessous de la moyenne nationale dont 122 collèges qui ne sont pas classés en éducation prioritaire alors qu’ils affichent un IPS inférieur à la moyenne des REP. À l’inverse, 20 collèges classés en éducation prioritaire ont un IPS supérieur à la moyenne des collèges publics.

  • Généraliser les secteurs bi-collèges.

En 2017, une expérimentation a été lancée à Paris afin pour mélanger les élèves de collèges au profil sociologique différent. En juin 2021, si l’INJEP estime que l’expérience constitue « une piste prometteuse », on constate néanmoins que les échanges de profils d’élèves concernent principalement les PCS très favorisées et les PCS moyennes où les variations se compensent presque parfaitement tandis que la part d’élèves PCS défavorisés a très peu évolué.

Le privé se voit fixer des objectifs à atteindre… sans connaître le point de départ

Du côté du privé, le protocole signé avec le ministère engage le secteur à « définir un plan d’action partagé qui permette de renforcer la mixité sociale et scolaire » et dont les résultats devront être examinés annuellement. Sans mention de quota ou des IPS, le protocole engage néanmoins l’enseignement privé catholique sur deux objectifs chiffrés :

  • Doubler, au minium, le nombre d’établissements modulant les frais de scolarité ou contributions des familles en fonction des revenus du foyer.

Problème, la proportion d’établissements qui pratiquent déjà une modalité des frais de scolarité n’est pas connue, mais on sait que la pratique est déjà répandue. Dans son dernier rapport sur le sujet, la Cour des comptes précise bien que « la plupart des établissements privés sous contrat pratiquent des réductions de frais de scolarité lorsque plusieurs enfants d’une même famille sont scolarisés dans le même établissement », que « certains établissements déterminent leurs tarifs selon un système de quotient familial », que d’autres « accordent des réductions de scolarité au cas par cas ».

Aujourd’hui, la contribution moyenne des familles, par élève et par an, varie de 430 euros pour une école maternelle privée à 1 249 euros pour un lycée général privé. La Cour souligne également que la plupart des établissements n’affichent pas sur leur site internet les aides qu’ils proposent aux familles en difficulté et que ce manque de communication peut détourner une partie des foyers.

  • Doubler le nombre d’élèves boursiers en 5 ans… « dans les établissements où les familles bénéficient d'aides sociales égales à celles dont elles bénéficient quand elles scolarisent leur enfant dans un établissement public correspondant ».

La proportion d’établissements concernés est, pour l’instant, non connue, mais cela veut dire que ne seront concernés par le doublement du taux de boursiers, que les établissements privés sous contrat où les collectivités territoriales subventionnent à égalité les transports scolaires et la restauration du secteur public et du privé. La Cour des comptes citait le cas « du Conseil régional d’Île-de-France qui accorde une aide calculée aux élèves des lycées privés sous contrat d’association en fonction du quotient familial annuel sur la base d’un barème de cinq tranches (contre 10 tranches pour les lycéens des établissements publics). » Néanmoins, la Cour précise bien que « ces aides restent rares [bien qu’]il n’existe aucune limitation légale sur la prise en charge des tarifs sociaux des cantines par les collectivités ».

Ainsi, le protocole répond directement au frein soulevé par Philipe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, lors des négociations sur l’augmentation de la part de boursiers dans l’enseignement privé sous contrat : celui des frais incompressibles pour les familles des élèves du privé. En 2018, la FNOGEC estimait que les frais de cantine où le prix du repas dans les établissements scolaires privés s’élève à 4,75 euros en primaire, 6,19 euros au collège et 6,53 euros au lycée. À titre de comparaison, selon le CNESCO, en 2017, le prix moyen d’un repas dans un établissement public du second degré était de 3,30 euros… un prix inférieur au réel car les collectivités prennent, en partie, en charge les frais de cantines des établissements publics.

En 2021, la part d’élèves boursiers est 3 fois moindre dans l’enseignement privé que dans le public au collège et au lycée général. Ils composent 29,1% des élèves du public et 11,8% dans le privé. Outre la question des frais financiers à couvrir, augmenter la part d’élèves boursiers dans le privé pose également la question du nombre de places ouvertes dans l’enseignement privé. Pour rappel, l’Éducation nationale suit une pratique (la règle n’est pas écrite) qui veut que les moyens (financiers, matériels et humains) publics accordés à l’enseignement privé se limitent à 20% du total. Or, en 2017, Caroline Saliou, la présidente de l'Apel, association de parents de l'enseignement catholique, rappelait que les listes d’attente dans les établissements privés sous contrat ne cessent de s’allonger.

D’ailleurs si la règle du 80/20 était vraiment respectée, plus de 330 000 élèves actuellement scolarisés dans le public devraient l’être dans le privé, ce qui demanderait de faire basculer 1 600 établissements publics vers le privé sous contrat. Une modification du paysage éducatif qui influencerait automatiquement l’actuelle carte de l’IPS des établissements… et le débat sur la mixité sociale dans le milieu scolaire.

Les 4 graphiques à retenir de l’enquête de la Cour des comptes… et l’angle mort du rapport

En 20 ans, la part d’élèves issus de foyers PCS favorisés et très favorisés inscrits dans l’enseignement privé sous contrat a augmenté de +13,8 points tandis que celle des PCS défavorisées a baissé de 9 points. On notera également que la part d’élèves issus de foyers PCS favorisés et très favorisés inscrits dans l’enseignement public n’a pas changé.

Si cette statistique sert souvent à nourrir l’idée d’une plus faible mixité sociale dans l’enseignement privé, elle met surtout en lumière le désaveu d’une partie de la population envers l’enseignement public. Et en France métropolitaine, l’écart dépasse les 30 points uniquement en Île-de-France, et ce, dans tous les départements. Pour rappel, à Paris et pour le collège, le chercheur, Julien Grenet, estime qu’un enfant sur deux est concerné par une stratégie de contournement de la carte scolaire et n’intègre pas son établissement rattaché. Pour lui, à ce niveau de scolarité, 35% des élèves ont basculé dans le privé et que 15% ont bénéficié d’une dérogation en intégrant un établissement hors secteur.

On notera également que la Bretagne et le Pays de la Loire qui sont les seules régions où la place de l’enseignement privé est supérieure à la répartition du 80/20 (en termes du nombre d’élèves inscrits, respectivement +20 points et +17 points)… font également partie des régions où l’écart entre la part des PCS défavorisées au collège dans le 2nd degré privé et public est en dessous de 15 points.

Le rapport de la Cour permet également de normaliser la navette qui existe entre l’enseignement privé et le public… et inversement.  Pour rappel, la Ligue de l’enseignement estime que, chaque année, 200 000 à 300 000 élèves font des allers-retours entre le public et le privé et que 50% des familles ont recours, au moins une fois, à l’enseignement privé.

La Cour des comptes illustre ce phénomène en se penchant sur l’académie de Rennes et sur une période de 8 ans : si cette tendance n’est pas nouvelle et si la proportion d’élèves allant du privé vers le public est stable, celle des élèves passant du public vers le privé a augmenté de 1 000 élèves/par an depuis 2013.

Enfin, si la France fait partie des pays européens où la part de l’enseignement privé sous contrat est importante (environ 20%), nous sommes en dessous de l’Espagne (environ 72%) et de le Belgique (55%).

Ce dernier cas est particulièrement intéressant puisque la Belgique a multiplié les plans de mixité sociale depuis 2007. Par exemple, en 2010, il est décidé de réserver 20% des places dans les collèges les plus demandés aux élèves des écoles primaires à « indice socio-économique faible (ISEF) ». Néanmoins chacun de ces plans, largement impopulaires, qui ont créé des files d’attentes et dispatchées des élèves trop loin de leur domicile a dû être amendé et/ou allégé et en 2014, la Commission de pilotage du système éducatif ne notait qu’une « très légère amélioration de la mixité sociale » et la Cour souligne que « les objectifs de réduction des inégalités ne semblent guère atteints selon les évaluations disponibles ».

Enfin, il convient de souligner l’angle mort de l’enquête de la Cour des comptes qui n’aborde jamais la question du coût de l’éducation privé sous contrat versus celle de l’éducation public.

En 2019, la dépense par élève (1er et 2nd degré) était de 8 400 euros, mais ce chiffre fluctue énormément en fonction du type d’enseignement passant de 4 211 euros pour un élève du 1er degré de l’enseignement privé, en moyenne, à 7 149 euros pour le public et de 8 086 euros à 10 977 euros, respectivement, pour un élève du 2nd degré. En moyenne, il est ainsi dépensé, en 2019 :

  • 2 879 euros de plus pour les élèves du 1er degré public,
  • 2 883 euros de plus pour les élèves du 2nd degré public.

Cette sur-dépense qui est connue et dont la part est stable, la Fondation iFRAP l’avait déjà mis en évidence en 2014 et en 2016. En 2019, le surcoût du public par rapport au privé (sous et hors contrat) atteignait 29,4 milliards d’euros. Une dépense mieux contrôlée pour l'enseignement privé et ce, pour des résultats équivalents qui doit nous interpeller sur la bonne utilisation des moyens dans le public.